Chapitre 18

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Jacinthe

Je raccroche, surprise. Éléonore vient-elle réellement de s’excuser pour sa conduite lors de sa venue à la maison ? Je peine à y croire, ne la voyant pas faire le premier pas lors d’une dispute. Plus étonnant encore, elle souhaite me voir. Elle voudrait me parler de quelque chose qui lui semble important. Devrais-je y aller ? Mon petit doigt me dit que tu n’en serais pas très content. Si tu étais là, tu me dissuaderais probablement de la rejoindre. Mais je suis intriguée, et il m’arrive d’être une tête de mule. La curiosité l’emporte, c’est décidé, j’irai. Elle m’a donné rendez-vous dans un parc dans une heure, m’affirmant qu’elle y serait et qu’elle me laisserait tranquille si je ne venais pas.

Je revêts une jupe patineuse rouge et un débardeur blanc. Je prends un léger cardigan avec moi au cas où une brise se manifesterait. Je serai normalement de retour avant toi, je prends donc le risque de ne pas te laisser de petit mot. J’apporte Jane Eyre avec moi. Avoir un livre auprès de moi m’apporte un sentiment de sécurité. C’est un peu absurde.

Lorsque j’arrive au parc, Éléonore est assise sur un banc. Elle se tient droite comme un piquet, les lèvres serrées, l’air sévère. Je m’approche d’elle avec un sourire timide. Je ne voudrais pas avoir à subir un sermon si je ne suis pas assez agréable à son goût. Je la sens tendue lorsqu’elle me voit, même si elle me fait un petit signe de la main. Son éternel chignon est présent, lui aussi.

- Bonjour Éléonore.

- Bonjour Jacinthe.

Elle esquisse un geste pour m’inciter à m’asseoir auprès d’elle, puis elle se tourne vers moi. Elle se lance enfin, après un silence.

- Une nouvelle fois, excusez-moi pour mes paroles. J’en ai parlé avec mon mari, qui m’a fait comprendre que je n’avais pas eu une bonne réaction et qu’Anton avait des raisons de me… mettre à la porte, si je puis dire. Comprenez-moi, Jacinthe. Mon fils n’a jamais été aussi heureux que depuis qu’il vous connaît. Si vous n’étiez plus là, que deviendrait-il ? C’est pour cela que j’ai qualifié votre geste d’égoïste.

- Je comprends. Je me sens terriblement mal d’avoir tenté de mettre fin à mes jours, pour la même raison que vous. Moi non plus, je ne sais pas ce que je ferais sans Anton. Mais s’il avait tenté de se suicider, j’aurais essayé de comprendre. Je ne l’aurais accusé de rien, je ne l’aurais pas fait se sentir mal. Votre fils est l’homme idéal, je ne voudrais pas lui faire de mal. Simplement, quand vous arrivez au bout de vos forces, parfois, vous ne trouvez plus de solutions. Et je n’accepterai pas que vous me critiquiez pour cela, ajouté-je d’une voix ferme.

- Il faut essayer, se battre encore et encore…

- Le désespoir peut vous faire perdre la tête et vous faire croire que peu importe les efforts que vous ferez, tout ira mal.

Un nouveau silence plane au-dessus de nous. Après quelques minutes, Éléonore se racle la gorge et m’annonce :

- J’ai un aveu à vous faire. Mais je veux que vous m’assuriez de votre discrétion. Mon fils n’est pas au courant, et je tiens à ce qu’il ne le soit pas.

- Je partage absolument tout avec Anton.

Sauf quand je rencontre ta mère dans ton dos… Je me fais horreur. Ce n’est pas quelque chose que je devrais te cacher, bien au contraire ! Je te raconterai mon après-midi dès mon retour.

- J’apprécierais réellement que vous ne lui en parliez pas… Ce n’est pas que j’aie particulièrement envie de me confier, mais je pense que vous pourriez ainsi mieux me comprendre.

- Je ne sais pas si je garderais le secret, Éléonore. Pourquoi Anton ne devrait-il pas savoir ?

Suis-je en train de rêver ? Des larmes voilent-elles vraiment les iris de ta mère ?

- Il verrait les faiblesses que je me suis toujours contrainte à ne pas lui montrer, répond-elle d’une voix faible.

- Anton n’est pas contre les faiblesses. Tout le monde en a. Justement, ce qui le gêne, c’est qu’il a toujours eu l’impression qu’il devait être parfait en toutes circonstances.

- J’ai l’impression de bien mal connaître mon fils…

Que répondre à cela ? Je ressens sa douleur de mère. Après tout, malgré son tempérament, Éléonore est ta maman, on ne peut pas lui enlever ça.

- Peut-être que si vous lui parliez… Il vous écouterait sûrement plus que moi, continue-t-elle.

- Je ne le ferai pas sans votre accord.

- Je vous le donne. Maintenant, je vais vous expliquer…

Elle inspire profondément, se remet bien droite puis annonce la couleur de ses confidences :

- J’ai moi aussi perdu un enfant, tout comme vous, Jacinthe.

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