Chapitre 5 - Luminescence

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- V -

Luminescence

Catalina avait de l’amour dans les idées. Elle m’a approché tout doucement, comme la plus trouillarde des forteresses assiégées. Au départ, elle inventait des excuses farfelues pour venir me voir le soir. Puis elle est restée de plus en plus tard et de plus en plus près. Une nuit, elle s’est assoupie sur mon lit et je n’ai pas pu la réveiller ; j’ai donc fini par m’endormir à côté d’elle. Et le lendemain, je me suis réveillé Dans Ces Bras-Là.

Petit à petit, l’oiseau-lyre a fait son nid. Finalement, elle a pris l’habitude de se cramponner à moi tous les soirs, et je dois dire que je ne protestais pas très fort. Mes nuits hantées et cauchemardesques sont devenues claires comme Le Songe d’une Nuit d’Eté. Je savais que Catalina ne me ferait pas de mal. Elle était L’Espoir et la vie. Ses doigts dansaient sur mon cœur, son souffle veillait sur mon sommeil, son rire berçait mon avenir ; et son corps frémissait comme une onde oblongue et danubienne.

Pourtant, elle a mis des semaines avant de pouvoir caresser ma joue sans me faire sursauter. J’imaginais ses mains chaudes et désarmantes comme son amour ; mais je ne pouvais pas m’empêcher d’en avoir une peur bleue comme Le Silence de la Mer. Pendant longtemps, nous avons tout fait comme des amoureux, sauf l’amour. Je ne voulais pas engluer sa tendresse dans Le Parfum de mes souvenirs obscènes.

Je n’avais jamais pu parler d’elle à Catalina. A part Diego, seul le médecin du foyer savait dans quel état j’étais : mon dos était une plaie béante à mon arrivée, et il m’avait soigné patiemment. J’étais roulé dans tellement de cicatrices qu’il avait compris les coups et les viols. Il m’avait demandé si je voulais en parler, j’avais répondu non. Alors il m’avait fait jurer que mon tortionnaire anonyme ne rôdait plus autour de moi, et qu’il pouvait me laisser sortir de son cabinet sans craindre ni récidive ni rebelote. Elle était loin et j’ai juré. Le docteur m’a dit que sa porte serait toujours ouverte si j’avais besoin de parler, mais il ne m’a plus jamais posé des questions auxquelles il savait que je ne répondrais pas. Et j’ai gardé mon secret comme une enclume.

Puis un jour, Diego a eu un accident et il a fallu trouver de l'argent, très vite. Alors je suis allé en ville, et je me suis laissé tripoter dans un coin par un gros Teuton haletant ; trois heures plus tard j’apportais à l’hôpital l’argent nécessaire à l’opération de mon ami. Je suis rentré au foyer au petit matin, et Catalina m’attendait dans ma chambre.

Ce geste sordide n’était pas un sacrifice mais une vieille habitude indélébile. Et j'ai trouvé cela parfaitement normal, jusqu'à ce que La Douce Catalina me demande où j'avais trouvé cet argent et où j’avais passé la nuit. Je lui ai répondu la vérité, un peu bêtement, comme une terrible évidence. Mais On ne Badine pas avec l’Amour, et j'ai profondément blessé le sien.

J'étais assis près d'elle, tranquille dans mon affligeante naïveté. Catalina m’en a voulu entre Stupeur et Tremblements, puis elle m'a giflé pour la première et unique fois de sa vie, très violemment. Et elle est partie sans se retourner.

Alors je crois que je me suis évanoui.

Quand je me suis réveillé, trois jours avaient glissé dans l’automne, j’avais la fièvre et la trouille, et Catalina était assise sur le rebord de ma fenêtre. Peu à peu, la brume a daigné quitter mon cerveau, et le médecin est venu me voir. Il a relevé mon t-shirt pour m’ausculter, et c’est là que Catalina a vu les fissures de ma peau pour la première fois. Ses yeux se sont arrondis, son souffle s’est coupé ; elle a attendu en silence le départ du docteur, puis elle s’est approchée de moi, et elle m’a dit « je t’écoute ».

Et en effet, elle m’a écouté pendant des heures. Je lui ai tout déballé parce que c’était le seul moyen de ne pas la perdre. Pourtant je savais que chacun de mes mots allait lui plomber le cœur, à cause de tous ses coups et de tous ces corps. Je lui ai dit ces trois années humides et effroyables qui me collaient à la peau. J’ai longuement remué mes entrailles et mes souvenirs suintants comme de la nitroglycérine.

J’avais peur d’exploser à chaque syllabe mais je n’ai pas versé une larme. Catalina a retenu les siennes de toutes ses forces, mais ses yeux brillaient d’une eau étrange. Je crois qu’elle aurait étranglé l’insatiable Corse si elle avait été à portée de mains. En tout cas elle ne m’a pas tourné le dos. Elle a compris pourquoi j’avais fait cela pour Diego, et j’ai compris pourquoi je n’avais plus le droit de le faire.

Je n’ai plus jamais reculé devant l’amour de Catalina, ni porté un t-shirt pour dormir avec elle. Le Premier Amour est Toujours le Dernier. Et jamais une autre main que la sienne n’a dormi sur mon ventre.

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