Chapitre 11 - Déliquescence - partie 2
- XI -
Déliquescence
(partie 2)
Mon doux amour,
Jamais rien dans ma vie ne m’a angoissé autant que ces trois petits mots. Je me sens nul et ridicule face à une telle évidence. Mais je crois qu’il est temps pour moi de prendre ma plume et mon courage, et de t’écrire enfin tout ce que je tais depuis des années.
Perdu au milieu de cette guerre infinie et indéfinissable, je mesure la douceur veloutée avec laquelle tu as construit notre vie. Et je vois enfin à quel point je t’aime. Je t’aime au-delà de tous les mots de toutes mes langues, depuis si longtemps que ça me donne le vertige, avec tellement de force et de fragilité que ça me terrorise.
Ton amour est ma vie et je lui dois tout, même mes filles merveilleuses et lumineuses comme toi seule sais l’être. Comment as-tu pu accepter si souvent que je me défile devant tes mots d’amour ? Comment ai-je pu fuir si intensément devant un sentiment que je vivais pourtant avec délectation ? Je suis bien incapable de répondre à mes propres questions.
Tu mérites un homme qui sache te dire ce qu’il ressent, qui puisse te rendre tout ce que tu donnes ; et je n’ai pas su être cet homme-là. Je constate cela aujourd’hui avec stupeur mais aussi avec une frousse viscérale ; car j’ai peur d’arriver trop tard et que mon mutisme obstiné ne m’ait fait perdre la lumière de ma vie.
Tu me manques, Catalina. J’ai besoin de toi, de ton souffle sur mon épaule et de ton premier sourire du matin. Je rêve de te serrer contre ma poitrine, d’entendre tes mots doux et ton petit accent, de poser ma joue sur ton ventre qui a donné la vie à mes enfants. Je ne sais pas où je trouve la force de me réveiller seul tous les matins et de ne pas mourir seul toutes les nuits.
Ton absence me cisaille le cœur et me ronge les poumons. J’ai construit toute ma vie autour de toi, et je me retrouve inutile et insignifiant, puisque tu n’es pas là, puisque j’ai été incapable de te donner ce dont tu avais besoin et de te dire tout ce que tu représentais et représentes encore.
J’espère que tu pourras me pardonner d’être si indigne de toi. Et que tu sauras désormais que je t’aime, de toutes mes forces vives, de tout mon pauvre cœur, et ce depuis toujours. L’absence ne fait que révéler, en silence, presque en cachette, ce qui existait depuis bien longtemps. J’étais tellement convaincu que je ne méritais pas ton amour que je n’ai pas vu la splendeur de ce que je tenais entre mes mains, entre mes bras, entre mes draps.
Je t’aime et cela me glace comme une absence, me hante comme une ombre, m’épuise comme une cause perdue. Mais je t’aime et cela me brûle comme un espoir, me porte comme un flambeau, me guide comme une étoile filante. Même de loin, c’est toi qui me soutiens lorsque je vacille, c’est toi qui me ramasses lorsque je trébuche.
Et je me relèverai, encore et toujours, tant que mes paupières closes reflèteront la beauté joyeuse de nos filles, et tant que je trouverai pour toi, au fond de mes entrailles, une once d’amour sans faille et un grain d’espérance.
Prends soin de toi, je t’en prie.
Sandro.
Alessandro Nikolaïevitch Karenine
PS : Tant qu’à avouer enfin quelque chose qui ressemble furieusement à des sentiments, dis s’il te plaît à nos filles que je les aime autant que faire se peut, que leur absence me ruine le cœur mais que leurs frimousses sont les béquilles auxquelles je me raccroche tous les jours.
Dis à Diego que son amitié infaillible me soutient jusqu’ici ; parfois la nuit, je l’entends me secouer les puces dans le creux de mon oreille et ça me fait du bien.
Dis à Fatou que je pense bien à elle et que je suis heureux de savoir sa force et sa noblesse auprès de mon amour et de mon ami.
Dis à ma sœur et à mon beau-frère que j’ai bien reçu le faire-part de naissance de leur fille, que le deuxième prénom qu’ils ont choisi de lui donner m’est allé droit au cœur et que je les embrasse au-delà des mers.
Et dis-toi bien que je t’aime infiniment.
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