Chapitre 18 - Silence

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- XVIII -

Silence

Trois jours après l’enterrement de Livia, j’ai accompagné John à l’aéroport, direction l’Ecosse. Il comptait passer les dix prochaines années à s'abrutir de travail. Il a emmené avec lui sa jolie Claire, mais il m’a confié son petit Frank ; je n’ai jamais vraiment compris pourquoi mon beau-frère a agi ainsi, mais j’ai été heureux de garder près de moi l’enfant de ma sœur.

Si j’avais été seul, jamais je n’aurais surmonté le suicide de Livia. Mais j’avais deux grandes filles vanillées cramponnées à mes doigts, et deux garçons si fragiles assoupis sur mes bras.

Alors je ne suis pas mort.

Je n’ai pas tout de suite recommencé à vivre : j’ai d’abord survécu un moment. Je n’ai rien mangé pendant trois mois. Je ne dormais pas, ne bougeais pas. Catalina a fini par me faire admettre à l’hôpital, parce que mon état lui faisait peur.

J’ai pris le dessus tout doucement, encore une fois, parce que La femme solaire m’aimait encore, parce que mes jumelles m’éblouissaient toujours, parce que les garçons avaient deux vies à vivre, parce que Marie téléphonait tous les soirs pour que je n’oublie pas sa lointaine mais précieuse présence.

Pour Qui Sonne le Glas ? Ma sœur est morte mais je ne le suis pas. Cette évidence fut terrible à avaler, mais j’ai pourtant fini par accuser le coup et digérer la mort. La vie ne fut cependant pas tendre et le bonheur resta longtemps Le Pays Où l’on n’Arrive Jamais.

Il y a d’abord eu son procès à Vancouver. Elle restait assise et indifférente dans le noir du tribunal, elle ruminait les heures sans mesurer ses crimes. Je me tenais debout face à elle, mes nerfs se liquéfiaient quand j’évoquais mon père et elle regardait ailleurs : ma douleur ne lui était rien. Et si elle daignait m’accorder une seconde d’attention, elle m’effleurait à peine d’un œil suprême et comateux, comme les lions du Jardin des Plantes devant les rires chocolatés d’écoliers auxquels ils font peur.

J’ai attendu sa fin comme ces viols que je laissais venir à moi dans une brume d’habitude et de résignation. Je restais englué dans leurs nuits spongieuses, assiégé par ma honte puante et palpable comme l’était mon enfance. Je m’accrochais aux racines de la mort qu’elle avait plantées en moi, comme si son sang roulait dans mon cœur. Et j’ai retrouvée intacte cette peur visqueuse et ventrale qui me laissait sailli et souillé aux entrailles de l’Europe.

J’ai dû dérouler ma biographie enfantine, sordide et giclante comme l’étendard infini de ses crimes. Ce fut lourd et épuisant, mais ce ne fut pas vain.

Elle a été enfermée bien au frais dans une cellule où elle est morte au bout de quelques mois : Crime et Châtiment auront eu raison de ses forces et de son orgueil. Elle est morte seule et impuissante, je reste sur mes pieds comme un roseau qui plie mais ne rompt pas.

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