CHAPITRE 3

7 minutes de lecture

Théodore

 Je ne suis là que pour mon meilleur ami. Cette phrase, je me la suis répétée une bonne centaine de fois. Chaque chasseurs qui entrent dans la crypte me menacent ou me regardent méchamment. C’est normal. Je suis devant l’endroit où reposent les chasseurs. C’est dans cet endroit que mes ennemis finissent, lorsqu’ils meurent. Fort heureusement, nous sommes en territoire neutre. Ça me sauve, car ils peuvent me tuer si je me trouve dans le sud de Clearwater.

 Je suis là pour mon meilleur ami.

 Je vais finir par en faire une comptine. J’ai pourtant dit que je ne vais pas m’approcher de ce chasseur, Raphaël. Un frisson me traverse de la base de mon crâne, jusqu’à mes orteils. Je n’ai pas envie d’être là. Bon sang, comment faire pour ne pas m’évanouir ? Déjà pour venir jusqu’ici ça été une vraie galère. Je n’ai pas pu rejoindre Samuel chez lui, il doit parler de la meute à Raphaël pour éviter qu’il ne me saute dessus. Pour m’égorger, bien entendu.

 L’épaisse forêt encerclant le cimetière n’est pas facile d’accès, Logan, mon cousin, m’a aidé à arriver jusqu’ici, ignorant ma demande de rester à mes côtés. Je ne sais pas si je vais avoir assez de courage pour faire face à Raphaël et tous les chasseurs. Jouant avec la boue accrochée à mes chaussures, je relève la tête lorsqu’une voiture se gare à côté des autres. Je peux entendre de là où je suis des voix, celle de Samuel, Rose mais aussi une inconnue.

 Je n’ai jamais entendu une voix aussi chaude, mais froide à la fois. C’est comme du papier doux, mais rêche. Un paradoxe exaltant. Un frisson bloque ma respiration, ébranlant mon corps qui vacille. J’ai envie de voir le visage associé à cette vibration qui me fait trembler. Je sais qui c’est, ce chasseur, Raphaël, c’est de lui dont il est question. J’ai envie de croire que c’est un homme entre deux âges, bien trop vieux pour me plaire, bien trop vieux pour susciter de tels sentiments en moi. Il faut que je me fasse une raison, Raphaël ne peut simplement pas être un vieux monsieur, c’est le frère de Samuel, un jeune homme.

 Une plainte sort de ma bouche inconsciemment lorsque le conducteur sort de l’habitacle. Il est divin, cet homme est tout simplement à couper le souffle. D’ailleurs, il me faut me concentrer pour reprendre une respiration normale. Les yeux rivés vers Raphaël, je ne peux m’empêcher de détailler chaque mouvement qu’il fait. Ses cheveux blonds en bataille, ses muscles ronds, cette carrure, j’ai l’impression de tourner de l'œil.

 — Théo !

 L’appel de Samuel me fait sursauter. Raphaël me regarde d’un drôle d'œil, passant son regard sur mon corps, j’ai le feu aux joues. Samuel me fait une accolade que je lui rends distraitement.

 — Merci d’être là.

 — C’est normal, murmuré-je.

 — Tu fricote avec les loups Raphaël ?

 Un vieil homme, que je ne connais pas, s’avance vers nous un rictus aux lèvres. Il semble connaître Raphaël. Je me tourne vers le frère de Samuel qui pose sa main sur l’épaule de l’inconnu.

 — Crois ce que tu veux Carl, j’ai passé l’âge d’expliquer mes moindres faits et gestes.

 Je n’aime pas cet homme. Il dégage quelque chose de plus vicieux que Raphaël. Samuel m’a prévenu que son frère est une personne difficile, mais contrairement à Carl, la personne de Raphaël me donne confiance. C’est d’instinct, s’il faut choisir, c’est vers Raphaël que porte mon choix.

 — Ton père serait déçu de toi, assène Carl.

 — Mon père a toujours été déçu de moi.

 Carl se crispe, s’éloignant de Raphaël.

 — Il faut qu’on parle de l’héritage.

 — Pas la peine, je pars dans pas longtemps, répond Raphaël du tac au tac.

 — Donc tu peux signer les papiers ?

 Les épaules de Raphaël se tendent brusquement. Une brûlure à mon ventre me fait mal, c’est désagréable. Une envie de le prendre dans mes bras, de le rassurer, se fait de plus en plus intense. Parler de ce genre de chose en ce moment n’est clairement pas la meilleure chose à faire. Carl a l’air de s’en foutre royalement, patientant une réponse.

 — Nous en parlerons plus tard.

 Carl n’a pas l’air d’être content, pourtant Raphaël fait un signe à Samuel et Rose pour qu’ils entrent dans la bâtisse en pierre grise. Il se tourne vers moi et pose sa main sur mon dos, me poussant vers la porte de la crypte. Le sol me paraît plus attirant, soudainement gêné par la chaleur de la grande main du chasseur. Alors que je descends les escaliers, Raphaël prend la parole.

 — Fait attention, c’est glissant.

 J’hoche la tête, mais soudainement, mes pieds glissent contre une pierre luisante de mousse et de boue. Alors que je pars vers l’arrière, Raphaël peste en saisissant mon buste, ramenant mon corps contre lui. Dos contre cet inconnu, je prie pour me sortir de cette situation au plus vite.

 — Je t’ai dit de faire attention, bordel, est-ce que tous les loups sont aussi empotés ou tu es l’exception ?

 La respiration hachée par la frayeur que je viens de me faire, je ne réponds pas. La main de Raphaël contre mon ventre enflamme mes reins alors que son odeur musquée me fait tourner la tête. Je ferme les yeux, me concentrant sur les tremblements de mon corps. Je sursaute lorsque le souffle de Raphaël caresse mon cou.

 — Est-ce que l’empoté sait marcher, ou faut-il que je l’aide à descendre ces foutu escaliers ?

 Je mords violemment ma lèvre, calmant la frénésie intérieure de mon loup. Le feu de mes reins se propage dans tout mon corps, cherchant un maximum de chaleur. Mes fesses touchent une partie bien plus chaude et sensible, coupant ma respiration qui commence à devenir incontrôlable. Raphaël se détache de moi lorsque Samuel demande si ça va.

 — On arrive, dis-je.

 C’est gênant, affreusement gênant. J’ai envie de me cacher, comme une petite souris. Lorsque nous sommes dans les couloirs humides de la crypte, je m’accroche au bras de Samuel, passant devant Raphaël. Je peux sentir son regard lourd dans mon dos, si bien qu’il me faut un certain temps pour m’y habituer.

 Le lieu lugubre n’est pas entretenu. Froid et humide, les murs sont trempés d’eau et de moisissure. Les épines des sapins de la surface s’embourbent, ce qui par endroit forme des amas brunâtres. Ce lieu me fout la trouille. Alors que nous dépassons les différentes chambres funéraires, je peux y lire brièvement les noms de familles des chasseurs morts. C’est tellement en opposition avec ce que nous faisons de nos morts. Ils sont enterrés dans les montagnes, là où le soleil reflète la forêt, là où ils sont protégés par les grands sapins, dans notre territoire. Ça me fend le cœur de voir des hommes, femmes et enfants enfermé dans ce sous-sol.

 L’intérieur de la crypte principale m’intimide. Toutes ces personnes, hommes et femmes, chuchotent par groupe, me jetant des œillades menaçantes. La chambre des leaders a cinq cercueils, sans compter celui de Ugo qui se trouve au milieu de la pièce. Raphaël s'intègre avec les autres, laissant Samuel et Rose seuls.

 — Il ne reste pas ?

 Samuel hausse les épaules, presque indifférent à la froideur de son frère.

 — Je ne comprends pas, Raphaël ne semble pas être un homme aussi menaçant que les autres chasseurs, dis-je distraitement.

 — Sans doute, il a bien changé, depuis le temps.

 Nous restons en retrait, Rose est partie près d’un homme qui la prend dans ses bras. Je ne suis pas à ma place. Samuel n’a pas l’air d’être aussi triste, pourtant, lors de l’annonce de la mort de son père, il était dévasté.

 — Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

 — De quoi ? murmure Samuel en tirant sur sa chemise.

 — Avec ton père, tu n’es pas aussi mal que Rose.

 Il reste muet. Je patiente, lui laissant le temps de rassembler ses idées. Entretemps je passe en revue la pièce, les chasseurs parlent, assez bas, mais pas suffisamment pour moi. Raphaël a le visage crispé, il bouge ses lèvres.

 — Je ne suis pas responsable de ça.

 — Quand même, un loup Raph’, ton père ne-

 — Mon père a accepté ce traité.

 — Mais il est mort, tu va reprendre la succession donc tu-

 — On ne touche pas à ce loup, Clara, coupe à nouveau Raphaël.

 Une chaleur irradie mon thorax, me faisant sourire comme un idiot. Il prend ma défense, certes parce que Samuel lui en a parlé, mais c’est déjà un bon début.

 — Maman s’est occupée de moi depuis que je suis né, Ugo n’a jamais pris soin de moi comme il le faisait pour Raphaël. Finalement, Raphaël avait père tandis que moi j’avais maman. Il y a eu beaucoup de jalousie quand nous étions enfant, mais au final nous avons parlé et ça s’est arrangé. Maman et père faisaient tout pour nous éloigner l’un de l’autre, c’était un vrai calvaire.

 Je comprends mieux. Bien que la dispute entre Raphaël et son père reste floue, je cible mieux les problèmes de la famille Nore. Ce n’est pas simple lorsque les problèmes d’adultes reflètent les relations familiales.

 La cérémonie commence, le cercueil d’Ugo s’ouvre, créant un silence de mort dans la pièce funéraire. Raphaël s’avance, fait un geste de croix avant de s’approcher de nous, le visage indéchiffrable.

 — Fait un dernier adieu à papa Sam, nous rentrons après.

 Mon ami se tend, hoche la tête et répète les mêmes gestes que Raphaël. Lorsqu'il arrive à mes côtés, la tête baissée, il prend la parole d'un murmure.

 — Ne me laisse pas…

 Mes bras contre lui, j'embrasse son front, le guidant dans les couloirs, Raphaël en tête.

 — Rose ne vient pas ? dis-je.

 — Elle reste près de Frank, le meilleur ami de mon père, grommelle Raphaël.

 Je n'aime pas cette situation. Je me sens inutile pour Samuel, je ne suis qu'un étranger. Une scène que je n’arrive pas à transposer sur mes propres sentiments. La seule chose qui me rend triste, c’est de ressentir ce trouble. Comme-ci la mort de cet homme donne un froid.

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