CHAPITRE 5

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Theodore

Il est parti. Je ne dois pas me sentir mal parce qu’il est parti sans se retourner. J’espère encore, après une heure sans le voir, qu’il revienne vers nous. Sa présence est réconfortante et d’une manière que je ne comprends pas, j’ai du mal à le laisser partir. Je peux admettre que mon loup a vu en lui une sorte de bouée de sauvetage, mais ma conscience me souffle par moment que je me fourvoie, que cet homme n’est pas fait pour moi. Je vois que Raphaël est en quelque sorte une brute, usant de cynisme et de dérision, une personne stupide le verrait. Assis sur un banc, je vois Samuel et Alice s’approcher de moi, tout sourire. Skate sous le bras, chacun semble pétiller. Ils ont une idée derrière la tête.

— J’ai une question, commence Samuel essoufflé, qu’est-ce que tu penses de Raphaël après plusieurs jours passés à la maison ?

Le séjour aux côtés de la famille Nore s’est passé calmement. Rose n’a pas réapparu depuis l’enterrement de son mari, tandis que Raphaël est resté bouche fermée. Sauf aujourd’hui.

— Je ne sais pas, dis-je.

— Menteur ! Je n’ai vu qu’un court instant vos réactions et vous étiez sans cesse en train de vous regarder.

Les divagations d’Alice me fatiguent. Je ne veux pas espérer, car ça va finir par faire la même chose qu’avec Paul. C’est un humain qui avait vite fait de profiter de moi une fois qu’il avait compris que je l’appréciais. Je ne veux pas reproduire la même erreur, je veux prendre mon temps, sans être forcé par qui que ce soit.

— C’est un chasseur et je dois rester loin de lui, conclus-je.

Samuel pouffe de rire, posant ses fesses à côté de moi.

— Sois pas aussi dramatique, je reconnais que mon frère a bien changé.

Je reste soufflé par ce qu’il vient de me sortir. C’est lui qui m’a demandé de faire attention à Raphaël, bien que je l’aie écouté sommairement, et maintenant il me dit de ne pas dramatiser ?

— C’est l’hôpital qui se fout de la charité !

Alice s’assit sur sa planche, ricanant. Même à trente-deux ans, cette femme agit comme une enfant. Je n’arrive jamais à la prendre au sérieux, sauf quand elle a son rôle de Luna. Elle a une place importante parmi la meute.

— Théo, ça se voit que toi et ton loup êtes attirés par ce mec aux gros muscles, commence Alice, et ce n’est pas un drame. Bon, pour ton père je n’en sais rien, mais pour moi, sache que tu as mon approbation.

— Je n’ai pas besoin de ton approbation pour être attiré par Raphaël.

— Enfin un aveu, s’empresse de dire Samuel, avoue que mon frère est à tomber.

Je ne dis rien. Que dire dans ces cas-là ? Ils vont tout faire pour que j’espère une possible relation avec un homme qui ne me regarde même pas comme je le regarde. Je l’ai bien vu, ce matin, son regard parle pour lui. Il n’a pas arrêté de bouger lorsque je me suis approché de lui et même à la bibliothèque il m’a semblé contrarié.

— Ses beaux cheveux blonds, son regard perçant, ses lèvres charnues et sa mâchoire virile. Sans parler de sa stature puissante et imposante, de sa voix sensuelle et son cul rond et ferme, divague Alice.

La description qu’elle fait de lui reflète bien la réalité. Un poids au fond de ma poitrine me fait mal et me met mal à l’aise, je suis jaloux. Jaloux de ma tante, terrifié à l’idée que Raphaël puisse être attiré par elle. Si Alice apprécie le corps de Raphaël, alors il ne va pas résister longtemps si elle se met à le draguer. Une bouffée de panique me fait trembler.

— Rêve pas Alice, Raphaël n’est pas du tout de ce bord-là, annonce Samuel.

Comme un ange descendu du ciel. Mon meilleur ami prêche la bonne parole, rassurant mon être et mon loup d’une simple phrase.

— Tu ne connais pas le pouvoir de ce corps, ça se voit.

C’est dans des moments comme celui-ci que je n’aime pas mon statut d’oméga. J’aimerais gronder, pousser des cris, hurler que Raphaël m’appartient. Mais je ne peux pas, je n’y arrive pas. Alice a l’art et la manière d’être une garce, usant de son pouvoir sur moi pour faire et dire n’importe quoi. C’est ainsi qu’elle a réussi à devenir la Luna. Mon père a laissé cette femme le manipuler, écoutant ses plaintes concernant mon statut et mon incapacité à diriger. Sur ce point, je suis d’accord avec elle, pour que je puisse prétendre à diriger la meute, il me faut un compagnon bien plus fort mentalement. Elle a compris que Raphaël est l’homme que mon loup convoite et va tout faire pour se l’approprier.

— Je lance le pari, jamais tu n'auras mon frère dans ton lit.

Samuel, je te déteste. Mon regard se fane, amplifiant le sourire d’Alice. Il a pu éviter ce genre de chose, mais mon meilleur ami a le chic pour créer des situations compliquées.

— Je tiens le pari ! Si je réussis à l’avoir dans mon lit, Théodore devra s’engager à ne pas avoir de compagnon et pour être certain de sa bonne parole, c’est toi, Samuel, qui fera le rituel.

Nous blanchissons. Ça va trop loin là. Je n’ai pas le temps de jeter un coup d'œil à Samuel, qu’il prend déjà la parole.

— J’accepte Alice, mais si tu ne réussis pas dans les trois mois à venir et que c’est Théodore qui le met dans son lit, cette conversation sera rapportée à l’Alpha.

Cette fois, Alice devient livide, mais c’est trop tard. Une lueur blanche et chaude s’illumine contre nos trois poitrines, le sort est scellé. Nos vies, à moi et Alice, viennent d’être enfermées dans la magie de Samuel.

— Et si nous ne réussissons pas ? demande froidement Alice.

— Ma magie me fera mourir, mais sache que si je meurs, ma mère aura accès à mes souvenirs.

C’est des sujets de sorciers que je ne maîtrise pas. Seulement quand Samuel dit quelque chose, généralement c’est vrai et ça se réalise. Un peu comme la promesse qu’a fait Raphaël à son père. C’est flippant.

— Non mais en fait je rigolais, débite Alice.

— Tu aurais peur ? se moque Samuel.

Elle ne dit rien et s’en va, faisant rire Samuel qui joue avec sa planche à roulette. Je reste quelques instants silencieux. Sincèrement, je m’attends à quoi ? Je n’ai même plus le droit d’avoir une vie si elle réussit à avoir Raphaël. Une honte me monte, mal à l’aise avec le fait que l’on utilise Raphaël.

— Ne t’inquiète pas, mon frère ne la mettra pas dans son lit.

— Qui te dit que moi j’y arriverai ?

— Tu es bien parti pour, il n’a pas regardé une seule fois Alice quand je lui ai présenté.

— Ça ne change rien Samuel, il va croire qu’on joue avec sa vie sentimentale, ce n’est pas correct !

— Raphaël n’a jamais parlé à un loup, jamais. Et voilà qu’il te rencontre et qu’il t’adresse la parole en formant des phrases complètes.

— Ça ne veut rien dire.

Samuel a l’air certain de ce qu’il avance, pourtant je ne peux m’empêcher de douter. Alice m’a foutu un doute. Jamais Raphaël ne peut s’intéresser à moi, tant qu’Alice est dans les parages.

— À part pour me bouffer tout cru parce qu’il ne m’aime pas, ce sera tout ce qu’il fera.

— Imaginer une seule seconde mon frère dans cette position avec toi Théo me fait penser que ça se réalisera vraiment.

Les joues en feu, je mordille ma lèvre inférieure sans oser répondre. Bien que Samuel accepte cette possibilité, moi, je doute fort de ça. Je ne dois pas me faire trop d’idées, comme avec mon ex, car je risque de tomber des nues. Il faut que je me prépare à vivre dans une solitude bien amère, alors que Raphaël et Alice vivront le parfait amour, dans la meute. Cette image me donne un coup dans le ventre, je ne peux pas accepter ça. Je ne suis pas indifférent au charme ravageur de Raphaël et ça me tue, ma condition d’oméga, de loup, ne me permet pas d’avoir une possible relation avec lui, car c’est ça le fond du problème. Je suis un loup.

— Rentrons, murmuré-je.

***

Le trajet s’est fait en silence. Samuel n’a plus osé ouvrir la bouche, trop peur de faire une boulette. Je l’en remercie. Je peux lui en vouloir de sa connerie, mais ça sert à quoi au fond ? Il n’y a plus rien à espérer, à tenter. Lorsque nous arrivons dans l’allée de la maison Nore, je m’arrête. Alice aguiche Raphaël et il semble totalement plonger dans cette mascarade. Samuel à mes côtés se tend, ébahi par ce qu’il voit. La gorge sèche, je baisse la tête, m’engageant dans l’allée. Les rires dégoûtants et agaçants de la garce me font grincer des dents. Le cœur battant rapidement, l’estomac lourd, je me dépêche pour rentrer. Une voix me fait arrêter tous mouvements.

— Théodore, prends avec toi cette chienne, elle me gave depuis tout à l’heure.

Les joues écarlate, l’envie de hurler ma joie, je me tourne dans la direction de Raphaël. Il a le visage sérieux, les sourcils froncés, une hache à la main. Alice s’est calmée, le visage contrarié. J’ouvre la bouche, mais ce n’est pas ma voix qui sort de ma gorge, Alice me devance, coupant mon élan.

— Mais Raph, pourquoi tu agis comme ça ?

— Ne m’appelle pas comme ça.

Elle le regarde les yeux battants, essayant de le faire sourire. Ça m'agace profondément, cette mascarade doit cesser.

— Tu lui trouves quoi sérieusement ? interrompt Alice.

— Trouver quoi à qui ?

— Théodore, tu lui trouves quoi ? J’ai essayé de te faire la conversation et toi, tout ce que tu trouves à faire c’est parler à Théodore ?

Raphaël a les yeux grands ouverts, un sourire moqueur du coin des lèvres. Je ne veux pas entendre ça, je me tourne, la tête baissée, mais le bras de Samuel me retient.

— Ce que je lui trouve ? Tu te prends pour qui au juste ? Je ne te connais pas.

— Ce n’est pas comme si tu connaissais Théodore, crache-t-elle.

— Contrairement à toi, lui ne me fais pas chier à essayer de savoir qui de vous deux je préfère.

Samuel a un grand sourire plaqué aux lèvres tandis que moi, je ne comprends rien. Je suis censé remarquer quoi, au juste, dans cette phrase ? Mordillant mes lèvres par la réflexion, je ne fais pas attention à Raphaël qui s’est approché de moi. Je prends conscience de sa présence uniquement lorsqu’il saisit mon menton avec douceur, approchant son visage à un demi-centimètre du mien. Le souffle coupé, je ne bouge plus, tremblant. J’ai peur. Bordel, qu’est-ce qu’il me veut ?

— Je me suis trompé, je crois, dit Raphaël d’une voix forte. Je sais qui je préfère, finalement.

Alice s’approche à une vitesse hallucinante, encercle ses bras contre le biceps de Raphaël et accole sa poitrine dégoutante contre lui. Raphaël se tourne vers elle, le visage contrarié.

— C’est lui que je veux, Alice. N’essaye plus de vouloir jouer avec mes relations, c’est quelque chose qui m'insupporte.

Liant le geste à la parole, il la repousse sèchement, m’emportant avec lui dans la maison. Soudain, il prend la parole d’une voix forte.

— Ne reviens pas ici, tu seras accueilli aussi froidement que maintenant, chienne.

Je reste silencieux, le visage en feu, l’envie de fuir. Dans le salon, Raphaël retire sa main de mon dos, prenant la parole.

— Vous pouvez me dire ce qu’il se passe ?

— Alice est une louve qui n’aime pas beaucoup Théodore et elle fait tout pour l’emmerder, explique simplement Samuel.

Je garde ma tête baissée, jouant avec mes pieds. Qu’est-ce que je peux rajouter à ça ? Samuel a tout dit. Je n’aime pas vraiment étaler mes problèmes à la vue de tous, mais Raphaël semble différent, il ne se fait pas facilement influencer. Mon cœur gonfle à mesure que l’idée s'imprègne. Il ne m’a pas rejeté.

— Je ne vais pas chercher des réponses qui, de toute façon, ne m'intéressent pas. Essayez de ne pas vous attirer d’ennuis, d’accord ?

Un hochement de tête synchronisé, Raphaël monte les escaliers une fois qu’il a l’air satisfait. Samuel se tourne vers moi, un sourire immense aux lèvres. Je n’aime vraiment pas quand il fait cette tête. Ça signifie qu’il a raison et que j’ai tort.

— Pitié, ne me dis pas “je te l’avais dit”, dis-je en interrompant Samuel qui trépigne.

— Je te l’avais dit !

Une chance que je lui ai dit de ne pas le dire.

— Il est en total kiff sur toi mon pote ! Faut fêter ça, absolument.

Laissant mon meilleur ami dans ses divagations, je mets dans l’ordre mes idées sur le sujet Raphaël. Un gars froid et cynique me parle d’une manière courtoise, il fait de son mieux, et en plus de ça, il n’est pas tombé dans les bras de cette garce d’Alice. C’est plutôt une bonne nouvelle, moi qui espère, un tout petit peu, qu’il s’intéresse à moi. Je peux essayer de cacher ça pendant longtemps, ça ne va pas me faire avancer. La jalousie évidente que je ressens ainsi que les grondements de mon loup possessif ne trompent personne. Ça ne fait que quatre jours que je le côtoie et je suis déjà amoureux.

Je me déteste, moi, ma condition d’oméga et mon cœur tendre.

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