4.4
Le pacte, lieu inconnu
Les lames luisaient dans la semi-pénombre ambiante. Elles réfléchissaient les quelques sources de lumière orangée avec la même efficacité qu’un miroir.
L’homme qui les tenait prenait une à une ces lames en sortant chacune d'elles de la sacoche de cuir qui les avait protégées jusqu’à maintenant avec le plus grand des soins. Il les prenait ainsi pour aiguiser leurs fils auprès d’une petite pierre présente sur la table. Les gestes étaient appliqués, les lames sifflaient et bientôt, ce fut l’homme qui se joignit au son de l’acier en sifflotant.
La mélodie résonnait dans la salle, brisant le silence qui avait étreint le lieu et plus le temps passait plus le bruit des lames et de l’homme se mélangeaient pour ne faire qu’un. Mais nul instant n’était gâché dans tout ce processus, car le temps pris en valait bien la peine. Bientôt, la table accueillit une bonne dizaine de couteaux aux tailles ou formes variées et chacun d’eux était lié par une chose. Leur tranchant aiguisé digne des meilleures lames des royaumes centraux.
Le sifflement de l’acier sur la pierre cessa et bientôt ce fut l’homme qui les avait entretenues qui s'arrêta à son tour en plantant sa dernière lame dans le bois de la table.
— Bien ! Pouvons-nous commencer ? fit-il en amenant la parole en ce lieu.
Malgré la clarté plus que relative de la pièce, il se déplaçait avec aisance.
— Il y avait cette personne, commença-t-il avec une voix presque amicale et enjouée. Je ne sais plus comment il s’appelle, son nom m'échappe à chaque fois… Ha, oui, voilà ! Maître Léryon, finit-il en s'arrêtant face à une chaise accueillant une personne immobile. C’était un homme simple, mais un boucher… D’exception. Il me disait toujours qu'un professionnel digne de ce nom devait toujours avoir des outils pour son travail. Et si cette personne voulait être respectable, elle se devait d'avoir des outils irréprochables. Un conseil bien inutile au vu de sa logique, tu me diras. Mais c'est fou le nombre de personnes qui l’oublies et tu sais pas à qu’elle point je trouve qu’il a raison. Et tu m'écoutes !? finit-il par dire avec un ton énervé face à la personne assise en face de lui qui fermait les yeux.
Et il lui donna une gifle bien audible qui le réveilla.
— Ou j’en étais… Ha, oui ! Le fameux conseil, si tout un chacun l’appliquait, je ne serais même pas ici face à toi tu sais, fit l’homme en rigolant. Tiens, regarde, dit-il en s’agenouillant proche de la chaise pour être presque à la même hauteur que la personne avec laquelle il échangeait. Regarde mes cicatrices, si un professionnel s'était occupé de moi, tu ne verrais pas la toile qu’est mon corps à présent…
L'homme qui parlait était torse nu et son buste comme en témoignaient ses dires était effectivement couvert de marques. De nombreuses cicatrices, de coupures et autres traces de blessure couraient sur tout son corps. Chaque partie de sa peau découverte était zébrée de ces décorations qu’il semblait porter avec fierté.
— Connais-tu, la folie… La peur, le désespoir et l’envie de la mort. Ce sont des sentiments qui te sont accessibles uniquement lorsque tu te tiens sur le fil de la vie. Quand tu es ni mort, ni vivant. Quand ton corps rend les armes et que seul ton esprit te retient sur terre. Te garde en vie. Ha, que de sensations, dit-il en respirant longuement avant de fermer les yeux. Tu vas la connaitre bien assez vite.
Un instant de suspens et de silence prit lorsque l'homme s'arrêta de parler pendant un court instant.
— Qu'y a-t-il ? fit l'homme aux cicatrices à présent debout en observant la personne enchaînée à la chaise. On dirait que tu n’as d’yeux que pour mon visage. C'est étonnant ce que les hommes de l’inquisition ont comme appréciation du feu et de ses ravages, dit-il en rigolant, suivi des quelques personnes présentes dans la salle qui ajoutèrent ainsi leurs petits rires sadiques aux siens.
— Moi, je préfère les lames vois-tu.
Et l'homme aux cicatrices défit la tunique de son prisonnier en la coupant.
Ses couteaux comme on pouvait s'y attendre glissaient dans le tissu. Le coupant comme du beurre en dévoilant bientôt le torse du prisonnier.
— Ha ! Une toile vierge, quelle heureuse surprise. C'est que tu ne dois pas avoir une vie des plus reposante ou sécuritaire avec ton supérieur. Mais je t’en remercie. Si, si, reprit il en se rapprochant de l’homme comme pour le convaincre. Tu me fais là un grand honneur, tu sais.
L’homme chauve commença alors son nouveau chef-d'œuvre. Sa lame vint bientôt au contact de la peau et sans quelques efforts, l’acier coupa le cuir de l’homme avec presque autant d’efficacité que les précédents tissus.
Le prisonnier ne pouvait que protester mollement face aux sévices qu’il subissait. Ses liens et son ballon étaient fermement serrés et ses poignets rougirent bientôt face à la force qu’il exerçait pour lutter avec ses entraves.
L’homme chauve aux nombreuses cicatrices était à présent assis sur les jambes de son prisonnier et il sifflotait à nouveau pour se concentrer sur sa tâche.
Il était tout à son œuvre et chacun de ses gestes était précis, l’aiguisage n’était que la partie émergée de ses nombreux “talents”.
Le sang coulait sur la peau du supplicié et plus ce liquide rouge venait, plus les protestations du prisonnier se dissipèrent.
De temps à autre, le tortionnaire aux cicatrices tendait l’une de ses mains gantées et ses hommes lui amenaient toujours plus de ses “outils” de travail.— Ne t’en fais pas, glissa l’homme chauve à l’oreille de son prisonnier. Je ferais de toi une œuvre d’exception.
Mais le torturé ne semblait plus prêter attention à son tortionnaire. Ce dernier le vit bien vite et observant la chaise, son occupant. Il revêtait à présent le masque de la déception alors qu'il prenait comme une pause face au prisonnier qui n’était plus réellement présent.
— Je ne te cache pas que je suis, déçu…
Et il rendit son couteau à l’un de ses hommes alors qu’il quitta les jambes du supplicié pour se dresser face à lui.
— Mais bon, tu sais ce qu’on dit. Il faut combattre le feu par le feu !
L’homme aux cicatrices fit signe à ses camarades qui tirèrent la chaise et le prisonnier proche du seul brasero de la pièce. La chaise grinçait alors qu’elle supportait le poids de son occupant et bientôt elle fut arrêtée à côté du feu.
Les hommes saisirent le prisonnier et le basculèrent contre l’avide brasier. Les flammèches qui sortaient du brasero étaient nombreuses.
Le prisonnier à demi-conscient reprit bien vite ses esprits lorsque le feu lécha le tissu de ses habits et sa peau. Il se débattit à nouveau avec force face aux caresses des flammes qui chauffaient son dos et sa nuque.
— Attention, ATTENTION ! s’écria l’homme aux cicatrices quand ce fut la chaise et non pas la peau qui noircit face aux flammes.
Il avait pris la parole avec plus d'énervement que de peur dans la voix et ses hommes s’écartèrent bien vite. Le tortionnaire reprit alors sa place sur le prisonnier à nouveau pleinement conscient de ce qui l’entourait. De ce qui se passait.
— Ha, je m'excuse… Un peu plus et ces malins allaient brûler ta chaise. Nous dirons qu’ils essayaient juste de trop en faire.
Le tortionnaire ne cachait pas sa déception quant aux compétences de ses propres hommes. Mais il reprit bien vite la parole.
— Je sais que ce n'est pas vraiment l’inquisition ou la foi des Trois que tu suis, mais plus ton chef… Ce Kreisth. Sais-tu au moins qu’il joue cavalier seul à présent ? J'avais appris qu’il roulait pour les Veilleurs, mais à présent, il semble les combattre. Les chasser, dit-il avec un sourire carnassier. Il suit une voix qui m’est bien inconnue et je suis… du genre curieux, tu comprends? C'est des plus intrigant n’est il pas ? demanda l’homme aux cicatrices en rigolant légèrement. Ton maître pensait avoir fait fuir le culte de ses terres pour en prendre possession, mais il n’en est rien. Nous rassemblions juste nos forces. Nous étions dans l’ombre protectrice en attendant la bonne heure pour revenir, en attendant mon heure. Sais-tu qui je suis ?
Mais nulle réponse ne fut formulée ou même pensée par le prisonnier.
— Je suis l'homme que le culte appelle en dernier recours. Quand la situation prend un mauvais tournant. On me nommait Varèsse, fut un temps. Mais à présent, je ne suis que l’outil du Créateur. La personne qui exerce les basses besognes pour son culte. La situation était si… dit l’homme aux cicatrices avec un air enjoué en se relevant, remplie d'opportunités pour nous et à présent regarde. Regarde ce royaume, c'est un vrai chaos, un gâchis, je n'aime pas ça, pas du tout non, non, non. Un ménage doit être fait…
Et le tortionnaire sentit le regard du prisonnier le fixer, comme il l’avait désiré.
— Et un ménage des plus appliqué si tu me suis. Vous n'êtes plus en position de force mon ami. Vous croyez que les Veilleurs sont les seuls à avoir infiltré la foi des Trois, qu’ils sont maintenant la plus grande menace ? Nous aussi nous sommes dans cette pomme pourrie et nos agents remontent jusqu'aux conseils du patriarche. Certains Eidhöles sont d’ailleurs nos agents… Qu’est-ce que ça te fait de savoir ça ? demanda le tortionnaire en sentant l'effroi de son prisonnier qui écarquillait les yeux. Comprends-tu la futilité de votre lutte ? Le retour du père de toute chose est inévitable. Mais bon pour toi, tout ça c'est fini, hein ?
Avant que le malheureux ne comprenne ce qui lui arrivait, le tortionnaire lui chuchota un “merci” en lui tranchant nettement la gorge. La précision du geste fut cependant bousculée par la nature même du tortionnaire qui se mit alors à larder de coups le corps du pauvre homme en des grognements animaux à chaque attaque qu'il lui portait.
L’effrayant spectacle prit fin lorsque le tortionnaire dénommé Varèsse se releva, le torse couvert du sang du malheureux. Les cicatrices de son torse maculé ainsi que les brûlures de sa tête. Il soufflait, lentement, après cette scène qui devait être salvatrice à ses yeux.
Son travail, son œuvre commençait...
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