— Chaplin, c’est ton tour ! Passe voir mamie et apporte-lui ce pack de bière, s’il te plaît, c’est sa marque préférée. Vas-y, mon grand !

Tous les week-ends, c’était la même chose. Ma sœur ou moi devions passer voir notre grand-mère, qui habitait à l’autre bout du village. Comme elle vivait seule, ma mère voulait que quelqu’un passe s’assurer que tout allait bien. Cette fois, c’était mon tour, et le pack de bière jouait le rôle de prétexte. La semaine dernière, ma sœur avait dû lui apporter un pot de beurre et une galette.

Nous aimions beaucoup notre grand-mère, mais notre mère trouvait toujours le moyen de nous envoyer chez elle au pire moment imaginable. Là, tout de suite, j’avais prévu un match de League of Legends. Mais bon… Obéissant à ma mère, j’attrapai le pack de bière et pris le chemin de chez ma mamie qui n’était pas une petite vieille comme les autres. Elle ne se laissait impressionner par personne, et certainement pas par le pack de bière que je lui apportais et qui, je l’aurais parié, ne passerait pas le week-end.

Arrivant devant la maison de mamie, je compris que quelque chose clochait. Des traces de sang maculaient l’entrée. Le pack de bière m’échappa des mains et tomba par terre. La porte d’entrée était entrouverte, ce que mamie n’aurait jamais fait en temps normal. J’étais paralysé, d’abord par la surprise, puis par la peur. Que faire ? J’avançai doucement vers la maison, la bouche ouverte et le cœur battant. La voix de mamie retentit.

— Nom de Dieu, Chaplin, c’est toi, mon gars ? Approche, mon grand ! Fais attention, y’a du sang partout !

Ma grand-mère tenait son balai-brosse d’une main ferme et épongeait le sang répandu sur le sol de sa cuisine. Dans le couloir, un gros chien-loup gisait, le ventre ouvert et les tripes à l’air.

— Je vais t’aider, mamie, mais… que s’est-il passé ?

— Pffft, si tu savais ! Ce chien m’a attaquée alors que je traversais le jardin pour remettre des graines dans la mangeoire à oiseaux. Il m’a fait une de ces peurs ! Tu n’imagines pas !

— Mais, mamie, comment t’as dégommé ce gros clebs ?

— Je me suis sauvée comme j’ai pu, mais il m’a suivie en grognant jusque dans la maison. Tu te souviens que j’ai toujours ma machette accrochée dans le vestibule, sous le tableau de tonton Fernand ? Eh bien, je l’ai attrapée et… couic ! Hasta la vista, sale con !

Quand je vous disais que mamie n’est pas une petite vieille comme les autres !

— Eh bien, mamie, quelle émotion ! dis-je en lui faisant un gros bisou. Tu as dû avoir une sacrée frayeur !

— Oui, mais ce qui m’a vraiment chamboulée, c’est le chasseur qui s’est précipité chez moi en hurlant que son chien était entré dans ma maison et qu’il voulait le récupérer. Il était furieux et brandissait son flingue en gesticulant.

J’imaginais mamie devant un chasseur armé. Je me remis à trembler.

— Mais… mamie… comment t’as fait ?

— M’en parle pas, fiston. Le gars est devenu complètement fou quand il a vu que j’avais buté son chien.

— Mais ??? Il ne t’a pas fait de mal ? Il est parti maintenant ?

— D’une certaine façon, oui, il est parti, et il ne reviendra plus jamais. Je l’ai traîné à l’arrière du jardin. Il était sacrément lourd, d’ailleurs.

Mon cerveau ne répondait plus.

— Au fait, Chaplin, mon grand… ce n’est pas un pack de bière que je vois près du portail d’entrée ?