Elle referma le dossier et grinça des dents. Pourquoi lui cachait-on des informations ? « Peut-être que le patron veut que je fasse mes preuves ? » se demande-t-elle d’une voix bougonne. Après tout, elle avait fini sa formation que très récemment. Elle avait été débauchée alors qu’elle postulait pour l’académie de police cinq ans auparavant. Son profil avait intéressé l’agence, elle n’en a jamais su davantage. Elle s’était alors lancée dans cette folle aventure et Aaron avait été nommé mentor. Il l’avait été pendant presque trois ans, la poussant dans ses plus sombres retranchements afin de lui permettre d’être aujourd’hui un agent d’exception, faisant fi des sensibleries et faiblesses qui la définissaient par le passé. Voilà deux ans qu’ils étaient aujourd’hui coéquipier et amant.

Alors qu’un léger sourire naissait sur ses lèvres face à ces souvenirs, elle secoua la tête dans le but de se reconcentrer sur son travail. Elle aurait aimé avoir le droit de découvrir ce dossier avant son affectation à Whitewood mais cela n’était pas leur façon de faire. Sans doute pour éviter justement que les agents posent des questions et essaient d’en savoir davantage. Elle était donc isolée ici pour un temps indéfini dans cette ville et ce avec un minimum d’information sur ce qu’on attendait d’elle précisément.

Lasse, elle rangeait le dossier dans une valise et sortit son ordinateur pour commencer ses recherches. Les heures défilèrent rapidement tandis que les pages de recherche concernant la wicca se multipliaient sur son écran d’ordinateur.

La nuit était sans doute sur le point de tomber et elle commençait à avoir faim. Elle n’avait pas pensé à regarder si le frigo avait été rempli pour son arrivée et ce fut avec grande déception qu’elle le découvrit vide.

Elle allait finalement devoir faire première sortie en ville et enfiler la peau de son personnage alors qu’elle ne le maîtrisait pas encore totalement.

« Ce n’est pas grave » se dit-elle comme pour s’encourager. « L’impro, ça me connait ! »

Elle enfila la première tenue d’Ellen, toute en sobriété : Un jean clair ajusté avec un large sweat à capuche gris. Elle attacha ses longs cheveux ébène en une queue haute et rehaussa son regard bleu azur d’un coup de mascara. Cette simplicité lui fit du bien et lui permis de se sentir vraiment dans la peau d’une autre, elle qui avait l’habitude de plus d’excentricité, de glamour. Dans un sens, elle se serait cru de retour en adolescence lorsqu’elle n’avait pas encore pris conscience de ses atouts féminins. Encore une chose qu’elle devait à Aaron.

Une paire de bottine en plus, un sac à main noir très sobre et enfin un perfecto en cuir et son personnage était terminé. Elle jeta un coup d’œil dans le miroir de la salle de douche et se trouva presque mignonne si seulement elle n’avait pas la peau si pâle. Elle aurait aimé au moins se rajouter une touche de blush mais il n’y en avait pas dans les affaires d’Ellen.

Elle sortit finalement son téléphone portable et fit une recherche rapide pour trouver le magasin le plus proche. Lorsqu’elle vit le temps de marche, elle se promit d’aller récupérer un véhicule de location dès le lendemain. Elle se félicita néanmoins d’avoir une hygiène de vie telle que la sienne, la marche ne lui faisait pas peur.

Quarante-cinq minutes plus tard, les joues encore rougies par le froid, elle était à la caisse du petit magasin du coin avec ses achats. Entre chaque article, le caissier – un jeune homme de seize ans peut-être qui finissait péniblement une période d’acné sévère – lui jetait des regards en biais. Sa peau, déjà pas très belle rougissait de temps à autre, donnant envie à Rose de pouffer discrètement.

Aaron l’avait poussé à croire en elle, à se trouver belle et attirante. Elle avait appris qu’en mission, toutes formes de manipulation étaient bonnes à utiliser tant que celles-ci se faisaient en finesse. Elle avait également découvert que pour une femme, c’était sa beauté et son intelligence ses meilleures armes.

Alors qu’il y a peu, elle aurait battu des paupières et jouer à la jouvencelle, aujourd’hui elle se contenta d’offrir au jeune homme un sourire franc et cordial avant de simplement lui adresser la parole.

« Excusez-moi, je suis certaine que vous pourriez me renseigner » Le garçon suspendit ses gestes, oubliant même un instant de respirer, impressionné par la situation. « Je suis de passage dans la région et ne connais rien ni personne ici. » Rose s’interrompit un instant et offrit un dernier sourire au garçon avant de lancer plein d’entrain : « Alors selon vous, quel serait le meilleur établissement si je veux boire un verre ? »

Un instant, elle crut qu’il ne répondrait pas. La bouche légèrement entrouverte, il la regardait d’un air hébété. Elle ne sut dire ce qui lui donna le courage mais il finit par se reprendre. Il lui indiqua, tout rougissant, un bar country en plein centre. L’un des seuls de la ville qui, selon lui, vaille la peine de faire le déplacement. Il eut même suffisamment de vaillance pour lui dire qu’il s’y croiserait peut-être avant de lui souhaiter une belle soirée.

Tout en lui adressant un clin d’œil charmeur, elle prit congé et s’éloigna chargée de son sac de course. D’un pas souple, elle plongea dans la noirceur de la nuit tombée alors que son cerveau fonctionnait à plein régime. Son regard s’était fait plus dur, plus assuré tandis qu’un sourire bien différent étirait à présent ses lèvres. Un plan commençait à émerger.