Les Tristes Vies de Talemilia et Lelelitio Grave: l'enlèvement

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À leurs heures perdues, la mère et la fille aidaient dans une sorte de crèche qui gardait les enfants des travailleurs et travailleuses. Là-bas, elles y servaient des repas gratuits pour petits et grands, Talemilia y faisait même des représentations musicales très appréciées par la communauté – cela compensait les bénédictions de la reine qui ne les atteignaient pas. Certains avaient même l'outrecuidance de comparer ses chants à ceux d'un héraut comme la reine voire de la réincarnation d'une déesse à l'entente de sa voix si majestueuse et si reposante, on l'appelait même pour des veillées funèbres pour apaiser les âmes des défunts et les guider dans l'au-delà. Aimée des adultes comme des enfants qui l'adoraient, sa renommée fit tout le tour des Basfonds jusqu'à atteindre des oreilles bien malintentionnées.

Un groupe de mercenaires Féériques, qui s'était infiltré dans l'enceinte des murs de Sylvania, prêta l'oreille à cette rumeur disant qu'une fée à la voix superbe et aux ailes somptueuses vivait dans les Basfonds de Sylvania. Eux qui étaient venus capturer la descendante déchue du dit-royaume ne pourraient se contenter que de cela, et si elle est aussi ravissante que la rumeur le dit, ils pourraient bien la faire passer comme telle auprès des marchands d'esclaves Féériques de Vicenti voire d'autres coins aussi malfamés que cette ville mais qui rapportaient beaucoup moins, même pour une aussi grosse prise.

Ratissant le bidonville à l'aide de leurs informateurs et de différents gadgets qui échappaient à la surveillance des gardes, ils réussirent en à peu près deux jours à la retrouver. Ils envoyèrent alors leur meilleur agent la courtiser avec de belles paroles. D'abord méfiante, c'est à l'annonce d'une offre incroyablement alléchante que Talemilia se laissa tenter : devenir chanteuse dans un grand cabaret d'une grande ville dans le nord de Franca, près de Paris-la-Déchue, qui lui permettrait d'obtenir beaucoup d'argent pour sortir tous les gens des Basfonds de la misère. Son cœur d'artichaut ne pouvait laisser une telle offre lui passer sous le nez, elle qui avait pour but d'aider tous ses concitoyens à son échelle. Là, elle avait l'incroyable occasion de faire une pierre deux coups.

Néanmoins, c'était sans compter ce rabat-joie de Lelelitio qui arriva plus tôt que prévu chez eux et qui rentra dans la discussion.

- Je ne sais pas qui vous êtes et d'où vous venez mais Talemilia ne partira en aucun cas avec vous.

- Pourtant, elle avait l'air de bien vouloir suivre son destin, dit l'inconnu.

- Hé bien, je me mettrai en travers de ce destin, rétorqua Lelelitio, Talemilia ne partira pas de chez nous pour aller dans une ville inconnue avec un type louche qu'on ne connaît pas.

- Leli ! protesta Talemilia.

- C'est non !

- Comme vous voudrez, haussa-t-il les épaules, mais si la demoiselle tient à réaliser son rêve et aider les siens, elle pourra me retrouver à l'Hôtel de la Bonne Fée avant la sortie du Basfonds.

Et en même temps que l'homme sortit, il croisa Malalalivia toute heureuse de rentrer à la maison. Il la salua cordialement et fit mine de s'en aller avant de glissaer son oreille sur la porte pour écouter ce qu'il se disait à l'intérieur.

- Qui était cet homme ? demanda la mère de famille.

- Un homme qui apprécie ma voix, déclara Talemilia.

- Sois plus précise, abrutie, dit Lelelitio.

- Hé !

- Cet homme voulait embarquer Talemilia pour faire des spectacles je ne sais où dans une ville près de Paris-la-Déchue, vociféra Lelelitio.

- Mais il n'y a rien là-bas, s'étonna la mère elfe.

- C'est bien ça le problème ! Et elle allait se faire embobiner par ce baratineur de mes deux si je n'étais pas intervenu. Faut qu'elle murisse. Je veux bien qu'elle soit naïve mais pas au point qu'elle fasse confiance au premier venu comme un enfant d'humain.

- Mais il a promis que grâce à l'argent généré par mes spectacles de chant là-bas, je pourrais aider les Basfonds. On pourrait même enfin vivre convenablement, précisa-t-elle avec enthousiasme, à ma manière, je me rapprocherai des actes du héros de la légende, comme lui qui apportera l'ordre et la prospérité dans le monde en vainquant le Maléfique et en rallumant les étoiles dans le ciel ! Moi j'apporterai ordre et prospérité aux Basfonds ! Les enfants n'auront plus besoin de fouiller dans les poubelles pour se nourrir ou traquer des cafards ou des rongeurs pour survivre !

- Arrête de nous bassiner avec ce héros de la légende, rouspéta Lelelitio en frappant sur la table de la salle à manger, ça fait cinq mille ans qu'il aurait dû rallumer les étoiles dans le ciel et il ne l'a toujours pas fait. Cette foutue légende est une illusion collective qui s'est éparpillée dans le monde pour que les gens gardent espoir même dans le malheur. Il y a plus de chance que les dieux existent que ce héros de pacotille.

- Lelelitio ! cria Malalalivia.

Sans demander son reste, il s'en alla dans sa chambre et s'y isola. Malalalivia prit Talemilia dans ses bras et lui caressa les cheveux.

- Ne lui en veux pas. Il est plutôt à cran en ce moment. Les licenciements se font de plus en plus nombreux et rien n'est fait pour que cela change. Tout ce qu'on peut espérer c'est que la reine se reprenne et fasse face à ses marionnettistes. Avec de la chance tu pourrais même loger au Sanctuaire, loin de la crasse et de la précarité de ce lieu.

- Moi, ça ne me gêne pas de vivre ici.

- Tu devrais car personne ne devrait vivre dans de telles conditions. Surtout pas toi, lui dit-elle en passant ses tendres mains dans ses cheveux, un jour tu pourras revêtir de nouveau le nom d'Avelilinélia et vivre comme toutes les princesses.

- Vous viendrez vivre avec moi si ça arrive ? lui demanda innocemment Talemilia, parce que si vous ne venez pas, je ne partirai pas, bouda-t-elle.

- Bien sûr qu'on viendra avec toi, car après tout, nous sommes les serviteurs de son Altesse.

Son étrange imitation fit rire Talemilia qui se sentit moins triste. Quel bonheur c'était de vivre en leur compagnie. Cependant cette conversation n'était pas restée privée, le faux promoteur avait tout entendu et le prénom de Avelilinélia ne lui était pas inconnu, puisqu'il était justement le nom de la personne qu'il recherchait.

- Ça, ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd.

Et il s'empressa d'en avertir son patron qui le félicita de cette précieuse information recueillie par son subordonné.

Son chef était un Aberios, une race d'amphibien humanoïde grise aux joues qui se gonflent d'air lorsqu'ils accumulent de l'air pour en faire une deuxième réserve d'oxygène au-delà de leurs poumons, affublés de doigts collants et de palmes aux mains, extrêmement bons nageurs. Ils n'étaient pas connus pour être des êtres malfaisants, ni bienfaisants, juste de très bons nageurs. À cause de leur peau grasse, ils se recouvraient de vêtements spéciaux pour ne pas gêner les interlocuteurs terrestres qu'ils pouvaient avoir en mouillant leurs vêtements en tissus.

Parmi cette race, Zajo se distinguait des autres du fait de sa réputation qui était connue de tout Franca : un Féérique braconnant tous les êtres qui peuplaient cette planète pour son propre profit. Il était certain qu'il finirait par tenter de capturer une fée appartenant au royaume autarcique de Sylvania. Un homme balafré à la bouche et à l'œil gauche, et adorant les bons gros cigares des nains des mines de Lillester.

- Zajo, allons-nous la chercher ?

- Mais non, mon cher Yarwuik, tous les êtres de ce monde sont manipulables. Nous n'avons qu'à cultiver son envie pour qu'elle vienne à nous sans bouger le moindre petit doigt ! Le seul caillou, et pas des moindres, qui pourrait se mettre sur notre chemin n'est autre que la reine de cet endroit qui est réputée pour ses coups de folie. Surtout qu'il n'est jamais certain de ne pas croiser sa route, particulièrement quand on est des étrangers.

Les jours suivants, avec un peu d'aide, les dires du brigand se confirmèrent, ils attisèrent la flamme du devoir, de la curiosité mais surtout de la jalousie de Talemilia avec une méthode simple : faire visiter Yarwuik plusieurs filles pour leur proposer la même offre, ensuite, appâter toutes ces Féériques en organisant une compétition de chant et de danse pour leur promettre la gloire. Puis les piéger et les enlever. Mais la cerise sur le gâteau serait qu'ils obtiennent une noble de sang royal ! Ils obtiendraient avec cela une richesse éternelle – surtout si elle provient de la nation en autarcie de Sylvania.

Tout se passa comme ils l'avaient prévu, et comme ils l'espéraient, Talemilia vint passer l'audition. Toutes les Féériques invitées à l'audition, et aussi les petits curieux se rendirent dans la salle aménagée par les mercenaires pour leur guet-apens. Une fois toutes réunies, les mercenaires fermèrent tous les accès menant à l'extérieur et encerclèrent leurs otages à l'aide de leurs armes et de mages de Sylvania.

- Bonsoir mes demoiselles, les salua Zajo, je suis le maître de cérémonie de cette petite sauterie et vous me voyez ravi que vous soyez venues aussi nombreuses. Je suis désolé de vous l'apprendre, mais je suis un homme indécis, j'ai donc décidé de toutes vous emporter avec moi ! Félicitations à vous toutes !

Comprenant la supercherie, les Féériques tentèrent de s'enfuir mais les mercenaires leur firent comprendre très rapidement que si elles faisaient un pas de travers, elles finiraient six pieds sous terre.

Alors tous suivirent leur tortionnaire jusqu'à une immense pièce sombre en sous-sol où se trouvait un imposant cercle magique bleu sur le mur. Aucune des filles présentes ne savaient de quoi il s'agissait, sauf la princesse qui avait été éduquée à une magie au-delà de la basique : elles avaient en face d'elle un portail de téléportation. Il était très rare d'en voir car il était très rare de trouver des gens assez compétents pour en faire et pouvoir l'utiliser sans finir téléporté dans une autre dimension – elle pouvait dire merci à tous les livres achetés par Malalalivia et à l'éducation qu'elle a pu lui offrir malgré la précarité de leur quotidien et le manque d'éducation de sa mère adoptive. Elle se souvenait qu'à moins d'être très bon dans ce genre de magie spatiale, il fallait être au moins un ecapse pour voyager de cette façon aisément. Malheureusement, ces gens ont disparu.

Si Avelilinélia-Talemilia n'agissait pas, elles finiraient toutes dans un endroit inconnu à être esclave des humains. Joignant ses mains, elle se répéta « Qu'est-ce que ferait le héros de la légende ? » pour se donner la force d'agir.

À l'extérieur, Lelelitio était parti à sa recherche, se doutant qu'elle ne s'était pas résignée à l'idée de ne pas aller voir ce faune louche qui s'était incrusté chez eux. Il questionna tous les gardes qu'il put trouver sur son chemin – ils devaient se compter sur les doigts d'une main, pas assez payés pour s'occuper de pouilleux – et aucun d'eux ne consentit à lui adresser la parole, le snobant même. Il était complètement perdu, il ne pourrait pas se pardonner qu'il lui arrive le moindre mal. C'était comme si son vœu d'il y a dix ans comme quoi il voulait la voir disparaître se réalisait contre son gré alors qu'il était passé à autre chose.

Courant dans tous les sens sans regarder devant lui, il se heurta contre le torse de quelqu'un sans même apercevoir son visage. Il présenta ses excuses puis tenta de filer pour reprendre ses recherches mais l'homme aux ailes étincelantes lui attrapa le poignet et le ramena vers lui.

- Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! s'égosilla-t-il, je me suis excusé alors laissez-moi partir, je n'ai vraiment pas de temps à perdre avec vous ! Je dois la retrouver de toute urgence !

Il s'agitait dans tous les sens pour s'extraire de la poigne de fer de cet inconnu qu'il avait heurté mais rien n'y faisait, cette fée était juste trop forte.

- Calme-toi, jeune homme, lui dit le jeune chevalier, déjà, d'après une femme agaçante que j'ai côtoyé y a très longtemps, pas si longtemps que ça, en fin de compte, si j'y réfléchis bien, on ne doit pas s'excuser soi-même. Une bouffonnerie humaine qui m'est restée en tête, mais surtout, si je t'ai arrêté c'est bien parce que je vois à ton visage que tu as l'air bien plus inquiet à propos de cette personne que tu recherches. Je suis sur une affaire plus ou moins urgente, je peux t'aider.

Lelelitio observa la fée qui lui faisait face et vit qu'il portait une remarquablement belle armure de plate, il lui semblait même qu'il reconnaissait les armoiries qui étaient gravés dessus alors qu'il n'en connaissait aucune des nobles hormis celle de la famille royale – autant celle déchue que la légitime –, armé d'une somptueuse épée qui paraissait cristalline, sans doute magique, et coiffé d'un heaume qui laissait son visage découvert, il lui sembla reconnaître un héros du royaume.

- Vous ne feriez pas partie de la famille royale, vous ? lui demanda Lelelitio, songeur.

- Absolument pas ! lui répondit le chevalier, je suis juste un chevalier travaillant au service de la reine. Mais je ne crois pas que tu es vraiment le temps pour un interrogatoire.

Il relâcha l'elfe et Lelelitio découvrit que pour une fée, il était un peu plus grand que la moyenne.

- Dis-moi ce que tu sais sur la personne que tu recherches.

- Elle s'appelle Ave... euh... Talemilia.

- Comme la princesse déchue qui est morte ? demanda le chevalier intrigué.

- Un simple homonyme, esquiva-t-il la question, ça ressemble, mais ce n'est pas la même chose. Elle a été accostée par un faune que personne ne connaît qui lui a fait miroiter une vie de chanteuse dans je ne sais quel cabaret près de Paris-la-Déchue et cet après-midi, elle est sortie alors qu'elle m'avait dit à moi et ma mère qu'elle n'avait rien à faire aujourd'hui. Elle n'était pas la seule à qui on a fait cette offre, et bizarrement, elles aussi ont mystérieusement disparu, mais elles n'ont pas dit où elles allaient, ces greluches ! perdit-il son sang-froid.

Un faune..., pensa le chevalier, cela voudrait dire que les informations qu'on nous a rapportées sur les agissements d'un groupe d'individus plus qu'étranges n'étaient pas infondées contrairement à ce qu'ils ont voulu nous faire croire. Quelle bande de cloportes ! Qu'est-ce qu'ils ont fait ?

- Tu as une idée d'où il pourrait bien être ?

- Non, non ! La majorité du temps, je travaille sur la carapace de la tortue, donc je ne m'occupe pas vraiment de ce qu'ils se racontent ici, trop fatigué. Putain ! Si je ne passais pas mon temps à faire des siestes, j'aurais pu la surveiller ! Non, j'aurais dû la surveiller pour qu'il ne lui arrive rien !

- Cette fille, elle est importante pour toi ?

Lelelitio rougit.

- Bien sûr ! affirma-t-il avec conviction, surtout pour ma mère, elle est ma cousine bien que ma mère l'ait recueillie et qu'elle l'appelle maman. On a eu des différends par le passé, précisa-t-il honteux en se grattant la tête, mais je tiens vraiment à elle et je ne veux pas qu'il lui arrive malheur, surtout qu'elle est assez maladroite et naïve. C'est tout le temps moi qui la surveille pour qu'on ne profite pas d'elle, dit-il fièrement, mais après tout, elle est assez débrouillarde et forte physiquement elle a toujours réussi à s'en sortir malgré les ennuis qu'elle se créait à cause de sa trop grande bonté d'âme et de sa profonde conviction envers le héros de la légende.

La fée-chevalier souffla du nez et sourit.

- J'en connais une aussi qui est dans ce cas.

Il attrapa l'elfe par les épaules et le rassura en lui disant :

- Je vois l'amour que tu portes pour cette Talemilia, alors sache que je vais t'aider à la retrouver pour qu'il ne lui arrive rien.

- C'est vrai ?

- Tu as la parole d'un chevalier de Sa Majesté.

Avec l'aide de ce mystérieux chevalier, il fut bien plus simple d'obtenir des informations ; les langues se déliaient beaucoup plus facilement que quand c'était le pouilleux des couches les plus basses des Basfonds qui posait ces mêmes questions. Ils réussirent à savoir où se trouvaient le lieu de la rencontre pour toutes les Féériques qui avaient suivi le faux impresario.

Une fois le cœur rempli de courage grâce aux souvenirs de ses lectures sur le héros de la légende, Talemilia se mit à élaborer un plan pour que toutes puissent s'en sortir et elle se dit que finalement l'un des meilleurs moments serait d'agir lorsqu'elles se retrouveront de l'autre côté puisqu'une partie des mercenaires devra franchir le portail pour s'assurer de leur sécurité ou qu'elles ne s'enfuient pas, elle devra alors se mettre parmi les premières pour agir. Cependant, cela pouvait être totalement faux et il y avait des gens pour les accueillir de l'autre côté et qui les emmèneront directement vers le lieu qui leur privera de leur liberté à tout jamais, et il faudrait qu'elle agisse dès maintenant pour pouvoir sauver ses congénères.

Mais en avait-elle les moyens ? Bien qu'elle maîtrisait la magie et qu'elle fut dotée d'une force hors du commun – bien qu'elle la cachait à Lelelitio pour qu'il ne se sente pas inutile lorsqu'il la défendait ou lorsqu'elle faisait semblant d'être incapable d'ouvrir ou porter une boîte –, elle ne s'en était jamais sortie seule jusque-là, doutant même de sa propre intelligence. Malalalivia et Lelelitio étaient toujours là pour assurer ses arrières au cas où elle se retrouverait en danger ou dans une situation complexe. Mais là, actuellement, il n'y avait personne pour l'aider, elle allait finir à l'autre bout du pays sans jamais pouvoir revoir sa famille.

Je ne suis pas douée, maman... Désolée de ne pas être à la hauteur de nos ancêtres et de ternir notre lignée.

Une petite fée vint voir la fée et lui tira la manche de sa robe débraillée et aux couleurs délavées, elle se tourna vers elle et la voyant, dans ce contexte où leur minable quotidien allait s'effondrer pour devenir encore plus désespérant, elle se rendit compte de la détresse et de l'insalubrité de leur mode de vie. Cette petite fille aux belles bouclettes était remplie de crasse et de boutons, les cheveux gras et les lèvres gercées, le regard morne. Elle allait subir une vie encore plus lamentable qu'elle ne l'était présentement, dans un lieu qui leur était totalement inconnu. Et cette remarque pouvait se reporter à toutes les jeunes filles présentes avec elle, toutes ces jeunes âmes qui s'étaient habituées à ce quotidien insalubre comme s'il était normal de vivre dans ces conditions alors que d'autres, plus en haut, se gaussaient de vivre une vie bien plus luxueuse que la leur.

Talemilia tendit l'oreille vers cette petite fée et celle-ci lui demanda où ils allaient :

- Je ne sais pas, lui chuchota-t-elle.

- Est-ce qu'il y aura à manger, là-bas ?

- Sûrement, vu qu'ils doivent nous maintenir en vie.

- Alors ça doit être un meilleur endroit qu'ici, sourit-elle.

Malgré ses paroles, sa main était tremblotante, elle ne croyait pas en ce qu'elle disait mais la seule perspective de manger à sa faim lui donnait l'espoir que leur funeste destin lui serait bénéfique. Le cœur de Talemilia n'était plus empli que de courage, mais aussi d'une rage effroyable. Elle n'allait pas laisser une gamine croire qu'une vie d'esclave était mieux que d'être libre. Leur bonheur ne se trouvait qu'à un kilomètre et pourtant ils vivaient comme des parias à cause de concepts humains !

Les Féériques n'étaient pas si différents de ceux qu'ils méprisaient et ce qu'ils haïssaient.

Elle écarta la petite fée et prépara son plan.

- Désolée de vous avoir dérangé, s'excusa la petite fille.

- Nul besoin de te confondre en excuses, je devrais plutôt te remercier d'avoir réaffermi mes convictions. Tu vas vivre libre et à ta faim, je peux te le jurer.

Sa détermination était à son plus haut. Elle comptait bien toutes les faire sortir de ce lugubre endroit.

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