La belle-mère rit aux éclats. Le beau-Père décortique son poulet en silence. Ma femme, discute avec la vieille en posant sa main par intermittence sur mon bras et susurre assez souvent et d'une manière terriblement agaçante : "N'est-ce pas Loulou ?" Je sais même pas de quoi elles parlent. Je souris, je montre mes dents. Si y'a un bout de brocoli coincé entre mes incisives qui dégoûte la Jacqueline-là, ça m'arrange. Loulou. Depuis quand elle m'affuble d'un pareil surnom l'autre ? Oh, je suis profondément aigri. Je déteste les repas de famille. Belle-maman éclate de rire, je sursaute si violemment que j'en fais tomber ma fourchette. Bien envie de la planter dans la gorge de la ridée.

Bordel, mais qu'est-ce que j'fous là ? J'en peux plus. J'ai besoin d'une pause. Je jette ma serviette sur la nappe blanche à l'origine et à présent couverte de taches rouges tout autour de mon assiette. Y'a même pas de sauce tomate, je ne sais pas comment je me suis débrouillé pour reproduire la guerre des tranchées façon Picasso.

• Veuillez m'excuser.

Je m'incline gentiment comme Clotilde me l'a appris. Beau papa est toujours concentré sur son poulet. Franchement, qui peut se vanter de dépiauter de la cuisse de volaille avec ses couverts ? Personne, sauf lui. Ca aussi, ça m'agace. Tout leur réussi, et ce,  jusque dans l'arrachage, distingué évidemment, d'os de poularde. Personnellement, je préfère leur arracher leur petite culotte. Et je suis sur que j'ai plus de pratique que le vieux à ce niveau là. Vu la tête qu'il tire, il ne doit plus avoir sorti le petit oiseau depuis des lustres.

Je quitte la salle à manger de manière élégante. En tournant le dos à la table, je lève les yeux au plafond. Je ne survivrais pas longtemps à toutes ces manières guindées et ridicules. Nous n'en sommes même pas au dessert ! M'étonnerait d'ailleurs, qu'on nous serve des Pets de Nonne au vu du bénédicité interminable dont j'ai été la victime. Il me faut une pause de cinq minutes. Peut-être dix. Ils me donnent mal au crâne. Et ce rire horrible qui résonne toujours dans ma tête...   Quelle plaie !

J'ouvre la divine porte et m'installe sur le trône. Faut que j'évacue toute cette aigreur avant que ma fourchette maléfique se plante innocemment au milieu d'un des trois fronts autour de cette maudite table. Je vais peut-être pas viser l'beau-père, il va m'en vouloir de le faire crever avant d'être arrivé au bout de son poulet. Mes yeux fatigués se posent sur le rouleau de pq. Tiens, il n'est pas comme d'habitude. Il semblerait que Dame Jacqueline et Monsieur Charles aient investi dans du triple épaisseur. Mon anus les remercie. J'observe avec attention la nouveauté tandis que mon corps lâche du lest. Je détache chaque feuille une à une. Pourquoi du rose d'ailleurs ? Des canards, à la limite, c'est fun, mais du rose ? C'est fade. Néanmoins, je dois avouer que ça fait très princier, mais si c'est l'effet recherché, j'aimerais que mon valet vienne me torcher le cul immédiatement ! Je soupire. Je jette un regard à ma montre caché sous la manche de ma chemise. Tiens, la bataille sanguine est remontée jusqu'au poignet.

Le temps réglementaire de ma pause est presque écoulé. Je ferme les yeux en profitant encore une minute de la quiétude de ce lieu sacré. Je pourrais adresser une prière à Jésus. Je suis certain qu'il doit avoir pitié de moi la-haut. Il a de la chance de pas avoir sa belle-mère à supporter tous les vendredis soirs, lui. Si il faut me clouer les mains pour avoir un peu de répit, je ne dis pas non. J’inspire profondément et c'est parti. On y retourne. Bon. Où est mon valet ?