Les uns contre les autres
Me voilà face au vent, les pieds dans le sable. La proximité de l’océan est un luxe. Je ne l’associerai plus désormais qu’aux souvenirs de vacances d’été. Il n’est plus ce fantasme idéalisé et saisonnier, mais bel et bien la réalité. Une claque violente et fragile à la fois. Le pur bonheur d’être là me permet de ressentir tout plus intensément et je distingue très vite ce corps étranger, sous mes pieds. Comme moi, il a atterri là par hasard. Comme moi, il s’est retrouvé parachuté ici suite à un cheminement complexe. Comment n’ai-je pas pu le voir avant ? Ces petits résidus multicolores en plastique sont mélangés au sable par milliers. La plage jusqu’alors synonyme de beauté se retrouve être un lieu infesté de bouts de plastique en tout genre. Un vrai supermarché du déchet où paillasson côtoie bidon, chaise et vieille semelle sans énumérer la ribambelle de bouchons et de bâtonnets (de coton-tige).
À quel moment précis arrive le déchet exactement ? J’ai rarement vu une chaise flotter dans l’eau lors d’une baignade –cela dit, j’ai, une fois, esquivé un étron, oh my gosh yes, mais qui défèque sur une plage bondée ?
Débarque-t-il uniquement en catimini la nuit ? Je m’interroge sur son parcours et s’il était beaucoup moins discret, la baignade de jour, en été, pourrait se transformer en parcours du combattant. Et paf, un bidon dans la tronche. Et pif, un sac plastique entre les orteils. Oups, je viens de gober un bouchon. Une profusion d’objets flottants, un danger de chaque seconde. Il y aurait une patrouille sous-marine en train de ratisser en permanence sous nos pieds. Nous pourrions nous baigner qu’en nombre limité et vêtu d’une combinaison antichoc, anti-allergie, antivirus, anti-bronzage. Des pseudo nageurs scaphandriers du dimanche. J’avoue que ce serait dérangeant. Je ne préfère pas imaginer plus.
Je poursuis ma marche au bord de l’eau en essayant de ne pas trop scruter le sol à la recherche de ces nombreux cadeaux empoisonnés. Mais je ne peux m’y empêcher. Dans mes pensées donc, en train de regarder par terre, j’aperçois soudain des pieds devant moi. Mon regard s’élève le long de jambes nues et je distingue bientôt un appendice génital battant nonchalamment la mesure d’une cuisse à l’autre. Il a l’air libre comme l’air, dans son élément. Je viens de pénétrer le royaume des sans-culottes. Je me dis qu’il serait temps que je fasse demi-tour alors même que les vagues se fracassent sur le sable durci par ces incessants va-et-vient. L’autre option est de tenter l’envolée vestimentaire. Une autre fois par contre, loin de la promiscuité. Point envie de reluquer, contrainte et forcée, tous ces devants et derrières intergénérationnels.
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