Les uns et les autres
Envie de faire connaissance. Une option s’offre à moi : OVS. Traduction : On va sortir. C’est un site internet gratuit qui a l’air de fonctionner depuis la nuit des temps, peut-être de Mathusalem tant l’interface est vieillotte. Peu importe. Le principe: des personnes proposent des activités sportives, culturelles ou autres, à certaines heures et avec un quota maximum de participants. C’est simple, si ça me tente, je m’inscris. Oui, mais je passe un temps fou à scruter les propositions de sorties afin de cibler un minimum ma tranche d’âge et l’activité qui va bien.
Au bout de plusieurs jours d’ardues recherches croisées… je me dégote une sortie : assister à une pièce de théâtre improvisée avec d’autres personnes solitaires. Les acteurs de la pièce sont top et j’interviens dans la consigne de choisir les tenues des acteurs. Je m’en donne à coeur joie : haut fleuri, mini-short léopard, bottes santiags et serre-tête écossais, bref, genre Zézette dans le Père Noël est une ordure. C’est du délire, l’actrice sublime son personnage. Je passe une excellente soirée. Il n’empêche que je ne connecte pas vraiment avec mes co-amis d’OVS. Nous sommes très différents et briser la glace n’est pas évident. J’ai l’impression d’être dans un fast-food de l’amitié, du one shot, sans engagement, pour ne pas être seul, en gros. Je comprends que l’organisatrice fait ça régulièrement et depuis un moment. Mais est-ce qu’elle a de vrais amis avec qui elle sort régulièrement ? Elle nous raconte, le regard dans le vide et en passant les doigts dans les boucles de ses longs cheveux frisés que sa passion, c’est l’aérobic. Elle revient de trois jours de stage, sept heures par jour. Comment est-ce possible de rebondir autant sur une si longue période ? Passion quand tu nous tiens. Sur le trajet du retour, j’essaye d’échanger avec un des gars, mais la tâche est ardue, car apparemment il n’entend pas le son de ma voix donc je répète tout deux fois.
Je retente ma chance lors d’une deuxième sortie. Soirée concert dessiné dans un restaurant brésilien. Qui dit concert, dit musique entrainante distillée par un DJ en fond sonore. Un des dessinateurs, déjà bien éméché, est visiblement intimidé par le fait que ce qu’il dessine est projeté en direct sur un grand écran. C’est ballot, car c’est le concept même de la soirée. Notre show man gribouille, massacre les dessins des autres et à la fin déchire tout, se lève et demande à boire, pour varier. On repassera pour la technicité du dessin, mais l’ambiance foutraque y est et ça reste bon enfant. Bonne soirée en compagnie de nouvelles personnes sympathiques, mais voilà encore une fois plus de contact une fois la soirée finie. Sorte d’abonnement résilié.
Je m’entête. La troisième sortie m'emmène sur une place bétonnée me dandiner au son de DJs électro, façon Ibiza in the city. Le groupe que nous formons est une nouvelle fois hétéroclite et ne fonctionne pas. L’organisatrice est joviale, mais les trois gars présents me paraissent transparents. Deux font clairement bande à part. De l’autre se dégage une profonde fragilité doublée d’une timidité maladroite. Originaire du coin, il revient après plusieurs années de déplacements professionnels autour de la planète. Il est consultant. De quoi ? Je n’ai pas compris. Alors j’observe la foule, je me demande ce que je fais là. Après tout, la même chose que tous les autres : inonder mes tympans de ce boum-boum incessant qui nous berce et qui en abrutit certains. Un de ceux-là passe d’ailleurs en me frôlant légèrement. Il est très grand et arbore une tronche ingrate. Un regard sombre et hagard, une bouche de traviole entrouverte, un nez sacrément aquilin. De plus, une longue cicatrice orne le milieu de son torse nu et arc-bouté. Il erre comme un meurtrier à la recherche d’une proie. Un frisson de terreur me parcourt. Je ne serai jamais venue me perdre seule ici. Merci tout de même mes amis d’un soir.
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