Chapitre 24
— Elle s’est endormie.
Devant mon regard terrorisé, l’infirmière me sourit.
— Je lui ai administré un calmant. Tout va bien. Elle se réveillera demain en ayant probablement oublié cette crise. Je reste joignable si vous avez besoin.
— Merci Sofia, je t’appelle, lui répondit Henry avant de poser la main au creux du dos de la jeune femme pour la raccompagner.
Ce geste retint toute mon attention au point de me piquer le cœur. L’infirmière lui adressa un sourire et s’éclipsa.
Tétanisée par une multitude de sentiments, je restai plantée au milieu de la cuisine.
— Asseyez-vous.
Henry me tira doucement le bras pour me faire asseoir et décrocha une casserole au-dessus de l’évier qu’il remplit avant d’actionner la gazinière.
— Que s’est-il passé ? me demanda-t-il d’un ton dénué de reproches.
Je lui confiai ma peur de voir ma grand-mère perdre ses souvenirs, mon besoin de l’entendre me raconter sa vie pour en garder une trace par écrit. Je lui parlai de son enfance auprès d’un père abject, le décès de sa mère, sa rencontre avec Augustine, les sentiments confus que j’avais décelés et la dégradation de son état depuis son dernier récit.
Je me pris la tête entre les mains.
— J’ai tout aggravé.
— Vous n’avez rien à vous reprocher. Et c’est louable à vous d’être restée vous occuper de votre grand-mère. Votre… envie d’écrire son histoire est également une très belle chose.
— Voyez où ça la mène !
— Vous n’avez rien fait de mal Coraline. Bien au contraire.
L’entendre m’appeler par mon prénom me fit monter les larmes aux yeux. Sa voix était douce et chantante. Bienveillante aussi.
— Vous aviez remarqué, vous, qu’elle perdait la tête ? lui demandai-je.
— Je ne la vois qu’une demie-heure à chaque séance, vous savez...
— Mais elle ne vous jamais semblé incohérente ?
— Non.
Je me levai pour verser l’eau dans deux tasses et y longeai des sachets d’infusion. Henry m’observait. Je sentais son regard me détailler et le rouge me monter aux joues.
— Vous n’avez plus vos canards ?
Je mis quelques secondes avant de comprendre.
— Ce sont des mouettes, pas des canards, répondis-je, lasse que tout le monde se méprenne sur mes chaussons.
**
L’infirmière avait raison. Mamé semblait avoir oublié l’incident de la veille. C’était peut-être l’avantage de sa perte de mémoire. Si elle effaçait de précieux souvenirs, elle s’attaquait aussi aux mauvais.
Ma mémoire à moi restait intacte et le visage de Henry ne quittait plus mon esprit. Je revoyais parfaitement ses yeux s’étirer en amande et ses fossettes se creuser lorsque je l’avais repris sur mes précieux chaussons.
— Oh toi, tu broies du rose !
— Quoi ?!
Mamé se mit à rire.
— À quel homme es-tu en train de penser ?
— Qu’est-ce qui te fait dire que je pense à quelqu’un ? À un homme en plus ?
— Les cœurs dans tes yeux ?
— N’importe quoi !
— Laisse-moi deviner… Le bel Henry ?
— Pas du tout ! Alors là…
— Oh ma Lili Divine, t’as jamais été douée pour mentir.
— Je ne pensais pas à Henry ! De toute façon je crois qu’il a quelqu’un dans sa vie…
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Je repensai à Sofia. À ses cheveux qui ondulaient sur sa veste, à ses yeux brillants qu’elle avait posés sur Henry, à sa main à lui posée en bas de son dos.
Devant mon silence, Mamé reprit.
— Je vais me renseigner !
— Hein ? Quoi ?!
— Je lui demanderai mardi.
— Mais tu ne vas pas faire ça !
— Et pourquoi pas ?
— Parce que je me suis déjà assez ridiculisée devant lui !
— Je ne dirai pas que c’est pour toi. Je dirai que c’est pour moi. Tu ne crois pas que je vais rester veuve toute ma vie !
Sur ces mots, Mamé m’adressa un clin d’œil. Si son besoin d’intervenir dans ma vie amoureuse m’agaçait, j’étais bienheureuse de voir qu’elle était complètement passée à autre chose et qu’elle avait retrouvé son humour.
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