Réponse à "Incipit"
de Charlie Russel
J+5 (approximatif)
Il faut que je me souvienne.
Le docteur Edmure est venu me voir hier. Il a posé ce carnet sur l’unique table de ma chambre et il m’a dit : « Il faut que tu te souviennes ». Il dit qu’écrire aide. Il dit que personne ne lira jamais ce que j’inscrirai sur les feuilles beiges du calepin. Que je dois le faire pour moi. Pour ma santé mentale. Il est gentil, lui.
Alors j’écris.
Si j’y pense bien fort, ce qui me revient c’est que l’alarme hurlait. Elle hurlait si fort que je ne me rappelle de rien d’autre si ce n’est de la silhouette floue d’Alice et des grands gestes désordonnés qu’elle faisait pour tenter de s’enfuir alors qu’elle était emportée par les militaires. Peut-être que j’ai essayé vainement de la rejoindre, mais de ça je n’en suis même pas sûre. Le docteur Edmure m’a dit plus tard qu’il y avait eu une bousculade parmi les prisonniers, qui ont profité de la faille pour prendre la fuite, mais quand je tente de revoir la scène, il n’y a qu’Alice et les militaires. Et moi bien sûr. Je crois - mais là encore c’est assez confus - que j’ai eu soudain très mal à la tempe. Quelque chose de si déchirant que j’hésite à accorder crédit à ces réminiscences. Après, je ne sais plus. Je crois qu’il y a eu le noir et cela me terrifie encore. J’ai beau essayer de comprendre ce qu’il s’est passé, je bute sur cette obscurité et la sensation d’effroi qui en découle. Si je devais la décrire, là, maintenant, je la comparerais à ce que doit ressentir un plongeur coincé sous une eau noire, puante et froide, sans possibilité de retours à la surface, condamné à éviter jusqu’à l’épuisement ces tentacules glissantes aux ventouses vénéneuses qui tentent sans relâche de l’attirer au fond. Cela, en pire, mille fois pire, à cause de la souffrance qui n’a jamais cessé d’accompagner la nuit.
Le docteur Edmure ne veut pas me parler de cette période. Ce qui l’intéresse c’est aujourd’hui et avant. Il dit que cela ne sert à rien de se pencher trop sur la pénombre, car on finit par y perdre ce qu’on a réussi à lui arracher. Il dit que c’est terminé, alors à quoi bon.
Pourtant, quand je me suis réveillée dans cette salle trop blanche, j’ai cru un moment que j’étais morte.
Peut-être au fond que cela aurait mieux valu. Je ne sais pas.
En tous cas, la première chose que j’ai perçue en ouvrant l’œil, c’est l’étrange impression que quelque chose avait changé dans mon corps. J’ai sur le coup eu cette certitude fugace qu’il y avait plus atroce que les enfers. Cinq jour après, je crois bien que j’avais tort. Après tout, docteur Edmure est vraiment gentil, et ma chambre est confortable.
Ce que j’ai vécu durant les jours, les semaines ou les mois, je ne sais, pendant lesquels je voguais parmi les eaux sombres et froides que je vous ai décrites, je n’ose l’imaginer. J’ai honte de ces pensées qui tournent sans cesse autour de ce trou noir. Le docteur Edmure ne veut pas que j’y songe trop, et sans doute a-t-il raison.
Souvent, le docteur Edmure vient me voir, m'ausculte. Il enlève ma chemise de nuit et fait courir sur mon corps entier ses instruments de mesure. Il prend des notes, photographie. Cela ne me gêne pas, même si le contact de sa réglette est parfois froid. Je sais qu’autrefois j’aurai eu honte. Aujourd’hui, je ne ressens plus grand chose. Parfois, le docteur Edmure m’explique ce qu’il fait. Il dit toujours que les transformations sur mon corps sont les promesses d’une nouvelle ère, plus belle et plus généreuse. Il a dit une fois que la grande action que j'ai faite pour le monde est inestimable.
J’ai bien réfléchi et je ne sais toujours pas de quelle action il parle.
Table des matières
En réponse au défi
Incipit
Bonjour !
Pour ce défi je vous propose d'écrire un incipit, ce mot vient du latin et désigne le début d'un texte.
Il faut donc écrire le début d'une nouvelle, peu importe le genre. En revanche cela ne doit pas faire plus de deux pages.
J'ai moi-même fait l'exercice avec mon oeuvre "la lettre".
A vos plumes !
Commentaires & Discussions
Incipit sans titre | Chapitre | 6 messages | 4 ans |
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