Acte VII : Forger des Alliances

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La porte s’ouvrit sur une pièce particulièrement sombre. Sans lâcher la poignée, elle fit un pas en avant. Dans le fond, elle devinait une table, non, plutôt un bureau, derrière, l’obscurité. Entre elle et le bureau, le sol était couvert d’une moquette rouge foncée, sur laquelle, là où semblait se trouver le milieu de la pièce, un tapis noir était étendu. Un spot éclairait depuis le plafond ce point précis, quasiment sans diffusion de lumière périphérique. Ce faisceau lumineux perturbait sa vision au point qu’elle n’avait pas distingué l’homme assis au bureau.

— Tu sais pourquoi ton projet a échoué, n’est-ce pas ?

— Mon projet ?

— Bien sûr, ma chère. Ton projet. Car tu le mûrissais depuis longtemps, évidemment.

— Non, ça c’est vous. C’est vous qui êtes assez tordu pour ça.

Avançant sous le spot, elle en vint presque à éblouir son interlocuteur quand la lumière se refléta sur ses cheveux blonds platine. Gardant la maîtrise de ses nerfs, Nathalie retourna son hypothèse vers l’homme assis.

— C’est vous qui m’avez proposé votre aide pour ça. C’était peut-être même bien votre projet, non ?

— Disons que ton projet a trouvé sa place, comme par enchantement, dans un plan de plus grande ampleur… Tu as assez bien servi mes intérêts, même si ton projet a échoué…

— Ne vous inquiétez pas pour moi. J’aurai ma revanche. Cette petite salope souffrira, et lui ne s’en remettra pas, je le jure.

— Je n’en doute pas, il s’est déjà mis à ta recherche. Tu sais que je peux organiser votre rencontre.

— Pour le moment, j’ai besoin de récupérer… Mais il ne perd rien pour attendre.

— En es-tu sûre ?

— Écoutez, à cause de votre tireur d’élite à la con, il y a eu trois morts inutiles. Alors votre petit coup de main, pour les opérations spéciales, je vais m’en passer.

— Là, je te trouve un peu dure avec lui. Il est quand même venu te chercher alors que tu étais au plus mal…

— Il n’avait pas à canarder la salle de contrôle. Cet abruti a confondu des antennes avec des canons.

— Ne l’accable pas, très chère. Demande-toi plutôt pourquoi ton projet a échoué…

— Je sais, je n’étais pas prête. Et lui l’était plus que ce que j’imaginais. Je n’aurais pas dû y aller tout de suite après vous avoir rencontré. Et puis, je dois améliorer mon armure…

— Non, ton armure est bonne, c’est toi, juste toi. Trop de colère, ç’a réduit tes capacités d’analyse, de réflexion, et, donc, d’action. Note que ça me va, à moi… ç’aurait été dommage que tu réussisses. J’ai encore tellement de petites ficelles à tirer…

— Et quelles ficelles ?

— Non, je ne vais pas gâcher la surprise. Souviens-toi juste qu’un plan de grande ampleur se met en place. Et tu auras apporté ta pierre à l’édifice. J’espère que tu en seras fière, au bout du compte.

— Bon, votre plan machiavélique, c’est votre truc, pas le mien. Tout ce qui m’intéresse, c’est l’aide logistique et matérielle que vous allez pouvoir m’apporter. Après tout, c’est vous qui êtes venu jusqu’à moi. Vous deviez bien vous douter que j’irais jusqu’au bout, et que ça mettrait votre plan en péril.

— À vrai dire, j’aurais été très surpris que tu réussisses. Je te connais, plus que tu ne crois.

— Comment ça ?

— Allons ! Tu ne crois tout de même pas qu’une personne avec de tels moyens s’engage à la légère avec des inconnus dont il ne connaît pas tous les vilains petits secrets… Si je t’ai proposé mon aide, c’est parce que ça me rendait service, mais c’est aussi parce que je savais ce dont tu étais capable… et incapable…

— Je n’arrive pas à décider si vous êtes un génie, un type super organisé avec des moyens illimités, ou un malade obsessionnel…

— Non, nous savons tous les deux qui est un malade obsessionnel, je crois. Tu as payé assez cher pour le savoir, non ? Et c’est justement ça qui te ronge… tu veux lui présenter ta note de frais… J’ai pas raison ?

— Cette obsession a failli me tuer, oui, j’en sais quelque chose.

— Te tuer, tu dis ?

— Je croyais que vous étiez bien renseigné… oui, les électrochocs, l’autre taré voulait forcément me tuer…

— Est-ce que c’est lui qui te l’a dit.

— Je croyais que vous connaissiez tous mes vilains petits secrets…

— Trop de colère en toi… tu risques d’échouer de nouveau. Je t’invite à rejoindre tes quartiers et à te reposer. Demain, il fera jour…

Nathalie, s’était laissée guider dans une chambre par Vanessa, une domestique de la propriété. Lasse, seule, elle s’endormit. Elle fit un rêve, souvenir du jour où tout avait changé. Elle était assise près de ce radiateur, par terre, et faisait face à ce soldat confortablement assis dans ce fauteuil Voltaire.

— Et vous voulez quoi, alors ? Vous allez me tuer ?

— Non ! Je ne vais pas te tuer. Je vais te faire mal… très, très, très mal. Et ça va lui faire mal… très, très, très mal. Parce qu’il t’aime bien, quand même. Il voulait te protéger en te laissant au centre. Mais on savait tous que tu ne l’écouterais pas. Florence, ta petite sœur… S’il a de la chance, il va sauver la belle, mais… non, en fait, il n’y arrivera pas… Ensuite, il te trouvera dans l’état où on va te laisser, et normalement, il devrait péter les plombs. Et quand il sera au trente-sixième dessous, on en fera des croquettes pour chien-chien.

Nathalie se réveilla en sursaut. Elle se rendit à la salle de gym du manoir, qu’elle avait vue à son arrivée, et roua de coups un sac de cuir suspendu.

Dans son bureau sombre, l’homme tenait une conversation téléphonique.

— Bonsoir docteur, oui, tout va bien. Non, non, c’est autre chose. J’aurai quelqu’un à vous présenter, un de ces jours. Oui, Quelqu’un qui aura sûrement besoin de vos services prochainement. Oui, je n’y manquerai pas. Je vous tiens informé dans les jours à venir. Certainement. Bonsoir.

L’homme enfonça un bouton. Après quelques secondes, Vanessa entra dans le bureau.

— Monsieur ?

— Vanessa, veuillez me préparer le spa, mon petit, vous serez bien aimable. Ensuite vous pourrez disposer.

— Tout de suite, Monsieur. Merci Monsieur. Bonne soirée, Monsieur.

— Bonne soirée, mon petit.

-

L’homme, dans son bain, aussi peu éclairé que pouvait l’être son bureau, fumait le cigare. Un verre plein était posé au bord du spa.

— Eh bien, mon ami, il semble que les choses se précisent. Tu crois sûrement avoir souffert, ces derniers temps… Mais avec tous tes jouets high-tech, tu ne t’es jamais réellement mis en danger, tu n’as rien vu… Tu vas enfin faire connaissance avec la vraie douleur, celle qui attaque les chairs. Non, on ne me fera pas croire que la douleur morale, la perte d’un être cher, ou de plusieurs, est plus insupportable qu’une multiplication de blessures physiques bien localisées, une souffrance qui s’éternise. Voilà ce que tu vas devoir endurer, après avoir pleuré tous ces êtres si fragiles d’avoir eu ton affection. Et quand tu ne le supporteras plus, quand tu seras à bout de forces, quand la douleur te fera perdre tes moyens, alors tu me demanderas d’achever tes souffrances. Et moi, je prendrai bien soin de ne pas t’exaucer. Alors, on pourra enfin relancer un cycle.

Le rire sinistre de l’homme résonna sur les murs carrelés du spa.

-

Le lendemain matin, dans sa chambre, où Nathalie avait finalement réussi à s’endormir, un interphone la réveilla.

— Ma chère, j’ai des projets pour toi, pour les jours à venir. Et puis, j’ai réfléchi, on va améliorer ton armure, tu avais raison. J’ai déjà préparé les schémas, je suis prêt à les donner à mon atelier pour la mise en œuvre ; si tu veux d’autres mises à jour, je t’invite à me rejoindre dans mon bureau.

Nathalie se leva, enfila rapidement un survêtement et se rendit au bureau, où l’homme l’attendait à côté d’un écran géant. Les volets étaient fermés, il faisait toujours aussi sombre, Nathalie ne distinguait que la silhouette de son hôte, en contre-jour.

— Bonjour mon amie, j’espère que tu t’es bien reposée, nous avons des milliers de choses à voir ensemble ce matin. As-tu bu un café ? Non ?

Il enfonça le bouton.

— Vanessa, apportez-nous un plateau, je vous prie. Dans mon bureau, mon petit.

Puis il s’adressa de nouveau à Nathalie.

— Alors voilà, ton armure est trop lourde, ce qui nuit à ta rapidité, nous sommes d’accord ? Nouvel alliage, plus résistant, moins d’épaisseur, plus de mobilité.

— Bien. Mais encore ?

— Pour prendre l’avantage, tu dois commencer par rattraper ton retard. Il vole ? Tu voles aussi, mais plus vite. Il est invisible ?…

— Il ne l’est plus.

— Oui, bon, ben toi tu l’es, à présent ! Et même pour un scanner thermique…

— OK, c’est pas mal…

— Évidemment tu gardes tes griffes au bout des bras. Et puis tu en as aussi aux articulations, coudes, genoux, et sous les semelles.

— D’accord…

— Dis-moi, as-tu déjà piloté un avion de chasse ?

— Vous le savez déjà, non ?

— C’est vrai, tu n’as pas eu cette chance. Tu n’en auras plus besoin, tu seras équipée comme eux. Plus de projectiles balistiques, mais des micro-missiles à tête chercheuse, chargées selon le besoin, avec guidage sur marqueur à vidéo-programmation. Pilotage dans le casque via électrodes de neurotransmission.

— Les charges ?

— Toute une gamme, de la pointe de flèche à la charge explosive en passant par diverses petites choses rigolotes. Voilà, c’est cadeau ! Tu aurais voulu autre chose ?

— Vous avez allégé l’armure. Faudrait pas que tout ce bazar en annule le bénéfice…

— Rassure-toi, ton ancienne armure était un char d’assaut désarmé. Maintenant, c’est une carapace indestructible qui te sera comme une seconde peau. Tu l’essaieras dès qu’elle sera prête ! En attendant, tu peux continuer à parfaire ta condition mentale. Pour le physique, tu l’es déjà, parfaite.

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