Chapitre 9 : Riham : La gloire du combattant

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La douleur éclata dans mon corps, mon cœur sembla quitter ma poitrine. Mes côtes explosèrent et le sang gicla sur le sol. Démonus m'avait réduit à un tas de chair sanguinolente d'un mouvement. Sa magie était plus que redoutable et destructrice.

J'ouvris douloureusement les yeux, pour voir ce monstre s'avancer vers moi. Le pas léger, le sourire d'un fou et un air de supériorité, sa massue à la main.

— Alors ? On est déjà mort ?

Je voulus répondre mais un flot de sang s'échappa de ma bouche. Il ricana :

— Apparemment oui...

Il se détourna de moi pour s'avancer vers mes amis. Ma vue se brouilla, je n'entendais plus les cris de mes compagnons.

C'est donc ça, pensais-je. Tant d'années d'entraînements, d'apprentissages, pour mourir ici... Je suis un prince, je suis censé incarner la puissance... Je n'ai pas le droit de perdre... maintenant...

— Reviens... C'est... notre combat...

Démonus se retourna et prit un air surpris en me voyant debout. Malgré les blessures qu'il m'avait infligées et le sang dont j'étais couvert, je m'étais relevé, épée à la main.

Je vais me battre...

— On en a pas fini...

Démonus semblait aux anges :

— En voilà un qui a de la volonté ! Toi, tu m'intéresses...

Je courus vers lui, en estoc. Il esquiva facilement avant de me mettre un nouveau coup, me fauchant la jambe gauche. Je tombais, mais, étrangement, sans douleur. Il rit :

— Tu sais quoi ? Je ne vais activer mon pourvoir tout de suite. Ainsi, le combat restera équitable.

Rien d'équitable dans tout ça... Je suis déjà tellement amoché...

Démonus continua :

— Quand je serais sûr que tu as perdu tout espoir et que tu seras suffisamment blessé, je l'activerai.

Je me relevais malgré tout, un peu chancelant mais pas le temps de réagir. Il attaquait vite et fort. Dès que j'étais debout, il prenait un malin plaisir à me faire retomber. Je tentais de le toucher, de l'atteindre, balançant mon épée à droite et à gauche dès qu'il disparaissait. Je ne baissais jamais ma garde ou, du moins, j'essayais.

Je vais te tuer...

Même si je n'arrivais pas à l'atteindre, mes coups le frôlaient de plus en plus. J'arrivais même à esquiver certaines de ses attaques. Cela semblait l'agacer, car il redoublait d'effort pour m'atteindre.

Il disparut à nouveau. Un craquement se fit entendre à ma gauche. Mut par un instinct nouveau, j'enfonçais ma lame dans le sol. Il n'y eut pas de sang, rien qu'un puissant cri de douleur :

— Tu m'agaces ! Tu es censé mourir ! Et tu oses me toucher ! Tu es un Homme ! La race la plus faible !

Je pris ce qui me restais de courage pour lui répondre, grinçant des dents et en laissant une gerbe de sang couler de ma bouche, en le fixant dans ses prunelles rougeoyantes :

— Oui, mais un Homme qui te vaincra...

Je m'étonnais de mon insolence. L'adrénaline, sûrement. Il sembla outré de ma réplique. Puis, à nouveau, il quitta mon champ de visions. Sa voix retentit dans ce champ brûlé, mais impossible de savoir d'où elle venait :

— Je vais devoir passer à l'étape supérieur... Daemon Cavea...

Aussitôt, mes poumons se comprimèrent, mes os se tordirent et mes organes se rétractèrent. Mes genoux heurtèrent le sol alors que mon corps émettait des craquements effrayants. Je ne sentais plus rien. La douleur m'aveuglait, je m'effondrais complétement. Démonus souffla :

— Et ce n'est pas fini, petit prince... Tu m'as blessé et ça m'a vexé car personne ne me blesse... Je vais te laisser agoniser, car c'est tout ce que tu mérites... Daemon Cavea... Surpuissant, n'est-ce pas ? Cette attaque permet d'invoquer des démons à l'intérieur et autour de toi. Chacun essaye de te posséder, si bien que tu peux en mourir. Mais tu es tellement fort que tu vas survivre ! Et tu te feras posséder par l'un d'entre-nous... Bonne chance. Je vais juste rester là et te regarder souffrir. Ou crever.

Des voix commençaient à envahir mon esprit et malgré ma lutte, mes yeux se fermèrent. J'ouvris les yeux dans une salle dont le sol était couvert de dalles noires et blanches. Je levais la tête et remarquais qu'elle ne possédait pas de plafond, rien qu'une immensité noire et infinie. Une musique classique se lança. Des formes humanoïdes, faites dans une sorte de fumée noire apparurent devant moi. L'une d'entres-elles se mit à siffloter :

— Un, deux, trois, je t'arracherai les bras... Quatre, cinq, six, je mangerai tes cuisses... Sept, huit, neuf... Sept, huit, neuf... Rah, j'ai plus d'idées !

Une deuxième créature se moqua :

— C'est parce que t'as le QI d'un Troll, Floid !

— Emerich ?

— Oui ?

— Ta gueule.

Une troisième renifla :

— Mais ce que vous êtes pathétiques... Je vous rappelle que Maître Démonus nous a appelé pour une bonne raison... N'est-ce pas Arvold ?

— Oui, c'est vrai Triculoie... répondit un quatrième monstre.

Les démons semblaient réfléchir quand ils tournèrent subitement la tête vers moi. Leurs dents acérées me souriaient, mais aucune trace de chaleur là-dedans. Juste de la psychopathie et de la cruauté. Pendant un instant, rien. Puis, ils se jetèrent sur moi. Mon épée semblait avoir disparue, il ne me restait que mes jambes pour fuir. Apparemment, une fois ici, mes blessures disparaissaient car je ne saignais plus et ne ressentais aucune douleur particulière.

Mais le dénommé Arvold agrippa mon avant-bras de toutes ses dents, me forçant à m'arrêter.

— Ton corps sera à moi !

Je secouais le bras, et il lâcha prise, retombant un peu plus loin.

— Mais c'est qu'il est tenace, le prince de mes deux !

— Emerich, langage !

— J'en ai rien à foutre Floid, t'es juste coincé. Avoue, t'as une griffe de dragon dans le...

— Emerich !

— Désolé Triculoie...

— Pourquoi tu ne respectes que Triculoie ?!

— Parce que je l'aime bien.

— Tu le blesses Floid...

— Tant mieux.

Profitant de leur dispute, je me mis à courir loin d'eux. Mais je commençais à fatiguer et aucune sortie en vue...

Soudain, le décor changea. Je me trouvais dans le château d'Echandi, sur le terrain d'entraînement. Je me retrouvais assis sur un muret, à polir mon épée. J'étais dans un de mes souvenirs. Je reconnus Quonrade au loin, discutant avec quelqu'un que je n'avais pas remarqué à l'époque : Andromé. Mes pensées furent interrompues par un rire moqueur :

— Si ce n'est pas le Prince des Perdants !

Je relevais la tête. Bien sûr, c'était Dereck et sa bande.

— Alors, ça fait quoi d'être faiblard ? D'être un Homme ?

Ils se mirent à rire. Je le détestais si fort quand j'en avais mal au cœur. Mais je devais garder contenance et, dans ce but, je repris le polissage de mon arme.

— Et en plus tu m'ignores ? Tu es trop bête pour comprendre ce que je dis ou tu le fais exprès ?

Je serrais les dents.

— Je pense qu'il est juste trop bête.

— Dereck, tais-toi.

— Oh, tu me dis quoi faire ? Toi ? Essaye un peu de me faire taire.

— Dereck, la ferme !

— Uhm... Non.

Il s'apprêta à rajouter quelque chose mais sa bouche disparut soudainement de son visage. Il prit un air terrifié en passant sa main sur son visage et sur la peau lisse où se trouvait sa bouche un instant auparavant. Une voix retentit. Une voix que je connaissais bien.

— Dereck, si les seuls mots qui sortent de ta bouche sont aussi sales que de la boue, autant que tu te taises.

Dereck nous fit un geste des plus malpolies avant de fuir avec sa bande. Le mage s'assit à côté de moi.

— Merci Katamo...

— De rien Riham, c'est tout à mon honneur.

Je ne répondis pas.

— Quelque chose te tracasse, prince ?

— Oui...

— Pourrais-je te servir de lumière dans l'obscurité de ton esprit ?

— Peut-être.

— Dis toujours.

— Pourquoi ? Pourquoi je suis si faible ? Pourquoi les Hommes sont-ils si faibles ? Nous n'avons rien, pas de magie, d'immortalité ou d'endurance !

— Faible ? Es-tu faible ?

— ... C'est une vraie question ?

— Tu te dis faible, mais sais-tu combien d'Hommes ont réussi à obtenir une place à Echandi ?

— Non.

— Un. Toi. Les Hommes ont changé, ont mûri. Ils ont appris, souvent à leurs dépens, que la puissance et le pouvoir ne font pas tout. Et tu possèdes la Dague.

— Tss, pas vraiment un cadeau... Les Hommes n'ont pas tous la Dague.

— Mais ils ont reçu le plus beau cadeau d'Oméranum.

— Et qui est ?

Il se pencha vers moi et le murmura au creux de mon oreille, ce secret des Dieux, celui de notre force.

Ma vue redevint floue. Je devins spectateur de la scène. Katamo se redressa mais, quand il parla à nouveau, il me regarda moi, pas le Riham du souvenir.

— N'oublie pas, tu n'es pas faible...

Ma vue alternait entre l'image tremblotante de mon souvenir et l'expression supérieur de Démonus qui m'observait.

— Alors, murmura-t-il, on est mort ?

— ... Pas encore, m'entendis-je répondre.

Il se détourna de moi.

— Dans ce cas, je vais m'occuper en attendant. Bon, qui mourra le premier ?

Je retombais dans mon esprit. Les quatre monstres réapparurent.

— Il est vivant ? Et pas possédé ? Impressionnant.

— Il est brave. Ou co...

— Emerich !

— Désolé Triculoie...

— Arvold, pourquoi n'est-il pas mort ?

— Que veux tu dire ?

— Démonus use de son pouvoir... Il est censé être mort...

— Peut-être qu'il ne peut pas...

Triculoie se tourna vers moi :

— Tu as blessé le maître ?

— Moi ?

— Non, lui.

Comme un idiot, je regardais derrière moi.

— Mais qu'il est...

— Le démon, tu te tais ou tu meurs, crachais-je.

— Oulàh, calmos ! Je réitère ma question : tu as touché Démonus ?

— Il n'a pas saigné.

— Que veux-tu dire par "il n'a pas saigné" ?

— Je lui planté mon épée dans l'épaule mais rien ! Pas de blessure !

— Comme toi, non ?

— Emerich, tais-toi.

— Il a touché Dédmonus, il mérite de l'aide.

— Non.

— Triculoie... Laisse-moi faire. Démonus t'a blessé. Pourtant, tu n'as pas ressenti la douleur tout de suite... Le pouvoir de Démonus marche sur tout le monde, même sur...

— Emerich, maintenant, tu arrêtes.

Les démons semblèrent s'affoler et Arvold fit taire Emerich. Ma vue se transforma encore. Je revins sur le champ de bataille. Mais cette fois-ci, mes pensées étaient claires. Les paroles des petits monstres avaient provoqué un déclic dans ma tête. Et une rage sourde résonnait en moi. J'avais compris.

— Tu ne... les aura... pas...

Je me tenais debout, mon épée me servant de canne. Je parvins à me pencher, pour ramasser une pierre. Démonus semblait agacé.

— Tu vas mourir un jour ? Un faiblard comme toi, je m'attendais à moins...

— Tu sais quoi ? Je suis faible. Je suis un Homme. Mais notre éphémérité est aussi un grand cadeau. Nous avons peur de la Mort alors nous faisons tout pour la retarder, ne pas mourir au combat. Nous évoluons sans cesse, bien plus que n'importe qui. Nous n'avons pas la force, mais la détermination !

Je lui jette le caillou très rapidement. Il l'attrape sans même faire un effort.

Bien, plus qu'à l'énerver...

— Un Homme n'abandonne pas, dis-je narquoisement. Ou il gagne, ou il meurt.

C'est la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Démonus trembla de colère.

— Dans ce cas... meurs !

Je fus bien plus entaillé que prévu mais il allait falloir faire avec. Ma jambe gauche en lambeaux et des entailles plus ou moins profondes se rajoutèrent sur mon corps. Mais la douleur n'équivalait rien en comparaison de la satisfaction de voir le sang jaillir du torse de ce démon. Cette fois-ci, c'était lui qui ployé : ses genoux heurtèrent le sol et il laissa échapper une longue plainte. Son sang violacé se répand sur le sol. Malgré mon air conquérant, j'ai du mal à m'avancer jusqu'à lui. Je me sers de la pointe de mon épée pour lui remonter le visage.

— Alors ? Vaincu par un Homme ?

— Comment...

Je me penchais au sol et récupérais une dague. Elle était fine et ouvragée, un travail de pro.

— La Dague. Une relique Homme des plus puissantes. Celui qui sait l'utiliser peut la rendre aussi rapide que le vent lors des tempêtes. Je l'ai jeté en même temps que le caillou. Tu vois, tu m'as sous-estimé...

— Et toi, tu ne peux pas me tuer...

— Peut-être pas... Les démons meurent par décapitation car ils ont souvent plusieurs cœurs.

D'un geste net, je fis mine de lui couper la tête.

— Maintenant, tu ne peux plus utiliser ton pourvoir. Car si tu le fais, alors tu mourras...

Démonus ne rompit pas le contact visuel :

— Ou alors... Ou alors je t'emmène avec moi !

Je ne fus pas assez rapide lorsque je m'écartais, ses griffes atteignirent ma poitrine.

— Pour la dernière fois, Humain, meurs !

Sa tête sauta en même temps que mes poumons et mon cœur se retrouvaient à nu. La dernière chose que je sentis, fut ma tête heurtant le sol.

Au moins, mission accomplie...

— Dis, il est mort ?

— Non, il fait semblant, tête de...

— Emerich !

— Arvold !

— Emerich !

— Triculoie !

— Mais vous allez la fermer ! criais-je. Je meurs et j'aimerais que ce soit sans vous !

— Ah, il est pas mort.

Je me redressais.

— Je ne suis pas mort ?

— Pas tout à fait. Tant que l'on est dans ton corps, tu ne peux pas mourir.

— Mais je ne veux pas de vous !

— Parce que tu crois qu'on veut de toi ?

— C'est mon esprit quand même, c'est à moi de dire qui reste et qui part.

— Ouais, bah maintenant, c'est NOTRE esprit. ON décide qui reste et qui part.

— Je peux décider que tu la fermes ?

— ... Non.

Je levais les yeux aux ciel. Arvold soupira :

— On fait comment maintenant ? Le maître est en vie, Riham aussi...

— C'est Prince pour vous.

Arvold s'impatienta :

— Écoute mon petit père, on est coincé dans ton esprit jusqu'à ce que notre maître meurt. Le plus rapidement possible, s'il te plaît. Le problème, c'est qu'on ne peut pas dire son nom, sinon on meurt. Et moi, non merci. Alors on va rester avec toi un long moment. Donc, autant qu'on se familiarise avec les prénoms.

— D'accord... Mais reste que je vais mourir.

Silence dans l'assemblée. Je suis mal barré.

— Passons un marché.

Emerich semble amusé.

— Tu me plaît, Riham. Tu sembles... intéressant. Acceptes nous comme hôte et nous te tiendrons en vie. Une fois Maître mort, on pourra partir sans te tuer.

— Tu veux que je vous laisse me posséder ?

— Oui. Mais je refuse de te donner un grain de magie.

— C'est louche.

— Je veux juste vivre.

— Emerich.

— Oui, Triculoie ?

— Ne fais pas ça, c'est stupide. Si l’un d’entre-nous brise le pacte, il mourra !

Je me disais qu’il y avait une douille. Mais bon, je ne compte pas les utiliser…

Il passa sa langue sur ses canines :

— Moi, je trouve ça avantageux. Avoir un corps à hanter, une aventure à suivre... Et un Maître à voir mourir. Et ce n'est pas votre pacte, soyez déjà heureux d'être dans les petites lignes.

Il me tendit sa main.

— Alors, Riham ? Mourir ou Cohabiter ?

Je pesais le pour et le contre. Mais je ne pouvais pas mourir maintenant.

— J'accepte.

Et je serrais sa main. Aussitôt, une douce chaleur m'enveloppa. Avant que je ne revienne à moi, j'entendis Emerich sauter de joie :

— Merci Prince ! Ce pacte est précieux !

Puis, je me sentis revenir dans la clairière.

— Riham ! hurla Soline.

Je me relevais et regardais là où, un instant auparavant, j'étais meutri. Rien. Mais une fine cicatrice, semblable à une signature, restait encore, scellant le pacte : "La Gloire du Combattant".

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