1 : Celle qui a une bonne nouvelle

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Mes doigts se crispent sur le tissu de ma robe fleurie au moment où je m’assois. C’est ridicule ! Pourquoi sus-je stressée subitement alors que j’ai enfin ce que j’attends depuis toujours ?

J’observe les visages détendus de mes amies. Laura ne cesse de parler des vêtements qu’elle veut acheter. Sa chevelure rousse relevée dans une haute queue de cheval oscille à chacun de ses mouvements de tête. Cathy l’écoute, un léger sourire aux lèvres, sans trop répondre. Le shopping hors librairie est loin d’être son passe-temps préféré. Caro s’installe à côté de moi, mais elle semble ailleurs. Elle a réussi à laisser ses enfants quelques heures pour que l’on se voie, mais son esprit est encore avec eux.

Je lisse le tissu qui repose sur mes jambes et relève la tête. Ce sont mes meilleures amies depuis le lycée, elles me soutiendront quoi que je fasse. Même si je leur demander de m’aider à enterrer un cadavre. Enfin, je crois…

— On prend un cocktail ? lance Laura, interrompant le fil de mes pensées.

Je me redresse. Il n’y aura pas de meilleur moment.

— Pas pour moi, lâché-je.

— Oh, tu vas pas faire ta rabat-joie… reprend-elle.

Caro se tourne vers moi et écarquille les yeux. Elle a déjà compris.

— Je veux pas faire ma rabat-joie. Je vais me joindre à vous avec un cocktail sans alcool.

Laura fronce les sourcils.

— Ça a fonctionné ? Super… commente-t-elle, son peu d’enthousiasme perceptible.

Je grimace. J’avais espéré qu’elle se réjouisse un peu pour moi quand même.

À sa droite, Cathy s’exclame :

— C’est super, Athéna ! Tu feras une chouette maman, j’en suis persuadée !

— Oui, c’est sûr ! renchérit Caro. Enfin, profite avant la naissance, prends des réserves de sommeil.

Elle sait de quoi elle parle. Depuis l'arrivée de son fils, son deuxième enfant, elle ne dort quasi plus et de sombres cernes mangent son visage. Sa peau autrefois facilement bronzée est presque aussi pâle que la mienne, offrant un contraste saisissant avec ses cheveux noirs.

— Je vais essayer…

Laura commente :

— Je comprends mieux pourquoi t’as rien acheté aujourd’hui. Alors que cette combinaison t’allait super bien !

J’acquiesce.

— C’est vrai que je me vois pas trop acheter de nouveaux vêtements alors que dans cinq mois plus rien ne m’ira.

— Quatre. Désolée, me reprend Caro.

Un serveur s’approche de nous :

— Mesdames, vous avez choisi ?

— Mademoiselle, répond Laura en minaudant. Nous allons commencer par un cocktail.

Elle vérifie silencieusement que nous sommes d’accord. Caro secoue la tête. Laura commande :

— Deux mojitos et deux virgins mojitos, ça vous va les filles ?

Nous acquiesçons, habituées qu’elle prenne les choses en main.

Une fois le serveur reparti, elle ricane :

— Il est plutôt mignon, non ?

Je hausse les épaules, j’ai pas vraiment fait attention. Caro admet qu’elle ne l’a pas regardé non plus. Et Cathy répond :

— Bof !

En même temps, pour plaire à Cathy, il faudrait que le prince charmant sorte d’un livre de contes. Elle se tourne vers moi.

— Alors, t’es enceinte de combien ? Pourquoi tu nous as pas dit avant ?

— Presque un mois. J’ai préféré pas en parler. La première fois, j’avais prévenu tout le monde et… quand le résultat a été négatif, c’était très dur… J’ai reçu plein de messages pour savoir…

— Je comprends, me répond Cathy. Parfois quand on est mal, on a pas besoin que les gens nous demandent si on va bien.

— Tout à fait !

— Ouais, dans ce cas, on a surtout besoin d’une bonne série Netflix, d’un plaid et d’un pot de Häagen Dazs, commente Laura.

Nous sourions toutes les quatre. La soirée parfaite ! On en a partagées quelques-unes depuis le lycée. Les ruptures amoureuses, les emmerdes à la fac puis au travail. On a toujours su se serrer les coudes.

— Enfin là, pas besoin de réconfort, l’insémination a fonctionné, je reprends.

— Bah, moi justement, j’ai besoin de réconfort. Tu me lâches pour passer dans le monde des femmes reproductrices, gémit Laura.

— N’importe quoi ! Je ne te lâche pas. Je serai toujours ton amie. J’ai besoin de ça pour être heureuse, c’est tout.

— Je sais… Mais j’ai quand même l’impression que tu me lâches, en jetant un regard en coin en direction de Caro.

— Hé, je suis toujours de ton côté de la barrière, lui rappelle Cathy en posant sa main sur la sienne.

Laura hoche la tête. Elle ne le dit pas, mais, elle et moi, on se connait depuis la primaire, et je sens bien qu’elle aurait aimé que je partage ses idées sur les enfants.

Lorsque le serveur dépose nos boissons, nous trinquons.

— À ta nouvelle vie ! lance Cathy.

— Aux bébés chialeurs ! ajoute Laura.

— Et aux nuits sans sommeil ! renchérit Caro.

Je souris, mais j’aurais préféré des commentaires plus optimistes.

— T’as eu des symptômes cette fois ?

Caro fait référence à ma première insémination. Avant de faire le test, j’étais nauséeuse, la poitrine douloureuse, persuadée que ça avait fonctionné. J’en avais parlé à Caro qui m’avait prévenue que parfois l’esprit parvient à convaincre le corps. Et elle avait eu raison. J’aimerais pouvoir dire que j’ai été forte et que je l’ai bien pris. Mais, la vérité c’est que j’ai chialé pendant plusieurs heures, emmitouflée dans un plaid. Ce n’est que le lendemain que j’avais été capable de me mettre devant des épisodes de Friends avec un pot de glace. Et de répondre à tous les messages prenant de mes nouvelles.

Je secoue la tête.

— Absolument pas. Je pensais pas que le corps était aussi étrange. Je commence seulement à avoir quelques nausées quand j’ai faim.

— Oui, je pense qu’on peut y croire que quand on l’a vécu, répond Caro.

— Ça s’appelle les grossesses nerveuses, commente Cathy. On en parle lors des études d’infirmière. Et j’ai lu un livre sur le sujet, ajoute-t-elle devant nos mines interloquées.

Ça devrait même pas nous surprendre. Elle dévore tout livre qui passe devant son nez. Dommage pour elle, c’est Caro qui bosse dans une bibliothèque.

— Les femmes arrivent à convaincre leur cerveau qu’elles sont enceintes et des symptômes de grossesse apparaissent. Parfois, ça va loin. C’est l’opposé du déni de grossesse, en fait.

— T’es vraiment bien renseignée, s’étonne Laura.

Cathy hausse les épaules.

— C’est intéressant…

— Si tu le dis, concède Laura.

En même temps, cette dernière est allergique aux livres. Les seuls qu’elle a accepté de lire en dehors de l’école doivent être Tom-Tom et Nana.

— En tout cas, le symptôme le plus cool c’est l’absence de règles, lâché-je dans un rire.

— Ah ! Tu m’étonnes ! Rien que pour ça je pourrais me laisser tenter.

— J’ai pas hâte qu’elles reviennent, renchérit Cathy.

— Tu les as toujours pas ? je demande.

— Bah non. Tant que t’allaites exclusivement, ça joue sur les hormones et retarde le moment où elles reviennent. Et avec Gustave accroché à mes seins, ça risque pas pour l’instant…

Je n’arrive pas à déterminer si elle sourit ou grimace et m’abstiens de répondre. Heureusement, le serveur nous dépose de gigantesques pizzas au moment où je devrais répondre.

Face à ma Quatre Saisons, je me réjouis. Laura me lance interloquée :

— Finalement, t’as quand même des symptômes chelous. C’est quoi cette pizza ?

— Regarde comme cet artichaut a l’air bon !

De son côté, elle coupe sa pizza en deux et échange une moitié avec Cathy : quatre fromages et orientale. En bonne végétarienne, Caro s’attaque à une pizza recouverte de légumes frais : poivrons, tomates, courgettes…

Pendant qu’on mange, Cathy nous parle de ses dernières lectures et Laura de ses derniers amants. Je plonge avec délice dans le brouhaha confortable de nos conversations. Pas de chiqué ici, l’honnêteté est de prime. On s’est promis quand on était encore au lycée de toujours se dire si l’on avait un bout de salade entre les dents.

Ce principe s’est étendu au reste. Ne jamais mentir si un vêtement ne nous va pas. Parce que si on ne peut plus faire confiance à ses meilleures amies, où va le monde ? Attention, je dis pas que tout a toujours été rose entre nous… Loin de là. Pendant nos années fac, nos chemins se sont écartés. J’ai toujours été très proche de Laura, surtout qu’on s’est installées dans le même immeuble. Mais, quand Caro est partie en Erasmus en Allemagne et ne nous a pas donné de nouvelles pendant un an… Il a fallu plusieurs soirées et pas mal de cocktails pour retrouver notre aisance.

— Tes parents sont au courant ? me demande Cathy.

Je me fige, la fourchette à la main. J’engloutis rapidement ma bouchée de pizza avant de répondre.

— Je leur ai dit au téléphone.

— Au téléphone ? s’étonne Caro.

Je hoche la tête.

— Ils ne comprennent pas mon projet. Tu sais pour eux je ne respecte le schéma de vie standard. Trouver un bon petit mari puis avoir des enfants… Ma mère pense que j’aurais pu attendre de rencontrer « le bon ».

D’un geste je mime des guillemets.

Laura secoue la tête.

— Qu’elle est vieux jeu ! J’ai prévenu la mienne qu’elle ne s’attend pas à avoir de petits-enfants. Et elle n’a rien dit !

Je grimace. En même temps, la mère de Laura est très libre aussi. Elle était en couple avec le père de Laura sans jamais vivre ensemble. Pour la mienne, le modèle « mariée deux enfants » a toujours été son idéal.

— Alors que la mienne n’arrête pas de me proposer de m’organiser des dîners avec les fils de ses copines, soupire Cathy.

Caro lâche :

— Elles ne sont jamais contentes. La mienne me donne plein de conseils pour Gustave. Et si je suis fatiguée, c’est parce que je ne les suis pas selon elle.

Cela me rassure de voir que nos relations avec nos mères ne sont pas si simples.

— Enfin, je vais attendre encore un peu avant de l’annoncer à toute la famille. Sûrement pour l’anniversaire de mon grand-père dans quinze jours.

Je fais la moue. Je ne sais pas trop quoi attendre comme réactions de leur part. Il n’y a qu’à mes parents que j’avais évoqué mon projet de devenir mère célibataire. En quête de soutien. Autant dire que de ce côté-là, j’avais été déçue.

Le serveur récupère nos assiettes et Laura lui réclame la carte des desserts avec un sourire éclatant. Il lui répond avec un haussement de sourcils. Je ne sais pas comment elle fait pour réussir ainsi à approcher les hommes.

— Je pense que j’ai aussi trouvé mon dessert pour ce soir, ricane-t-elle, les yeux brillant de malice.

Nous poursuivons notre après-midi de shopping. Nous perdons Cathy dans une librairie et Caro dans une boutique de vêtements pour enfants.

Laura me lance :

— Tu vas profiter de ces derniers mois pour sortir danser avec moi ?

— Je… C’est-à-dire que je ne suis pas sûre qu’aller en boite pendant la grossesse soit très conseillé.

— C’est interdit de danser ? Je crois pas… Bon quand tu ressembleras à une baleine, ce sera pas très facile, c’est sûr. Mais maintenant ?

— Je suis vite fatiguée. Plutôt pour un afterwork, je négocie. Puis, j’ai pas très envie de draguer alors que je vais devenir maman.

— Pff… C’est ridicule ! Tu vas te priver maintenant alors que dans quelques mois, tu pourras plus ! Et puis, rien ne t’oblige à dire que t’es en cloque quand tu sors. C’est pas comme si ça se voyait pour l’instant.

— On verra…

C’est vrai que j’aimerai bien profiter de quelques soirées. Avec Laura, on est souvent allées danser ensemble. Elle ramenait presque à chaque fois un mec à mettre dans son lit. Et ça m’arrivait aussi… Le problème, c’est que contrairement à elle, je voulais plus. Je voulais un homme avec qui fonder une famille. Et je n’ai jamais trouvé. Alors quand mon gynéco m’a proposé le jour de mes trente ans de congeler des ovules pour plus tard, j’ai commencé à réfléchir autrement à mon rêve de famille. Pour décider que finalement il vaut mieux vivre ses rêves que rêver sa vie.

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