Chapitre 4 : Celle qui va danser

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Je m'étudie dans la glace. A bientôt trois mois de grossesse, on peut juste croire que je mange un peu trop si je plaque ma robe sur mon ventre. Mais sinon, comme elle s'évase juste après la poitrine, on ne devine rien. Je souris et m'examine. Je suis parvenue à camoufler mes cernes avec une grosse couche de fond de teint. Le résultat est agréable. J'ai l'air en forme, même si ce n'est pas ce que je ressens à l'intérieur.

On sonne à la porte. Je me retourne et ouvre à Laura. Sa longue chevelure flamboyante est retenue dans un chignon flou qui a la classe. Elle porte un jean slim et des escarpins qui mettent en valeur ses longues jambes.

— T'es prête ? me lance-t-elle, sourire éclatant aux lèvres.

Elle ne vit que pour sortir.

— Juste les chaussures. J'hésite.

Je lui montre une paire d'escarpins et une paire de Stan Smith.

— Bah pourquoi t'hésite ? Les escarpins c'est mille fois plus classe !

— Je sais bien, mais c'est aussi mille fois plus inconfortable ! Et si je veux profiter et danser jusqu'au bout...

Elle m'étudie puis hoche la tête.

— De toute façon, c'est super branché robe, collants noirs et Stan Smith. Allez, dépêche-toi !

Elle pianote sur son téléphone pendant que je finis de me préparer.

— On y va en métro ? Et on rentre en Uber ?

J'acquiesce. Nous partons avec enthousiasme rejoindre la station de métro. Laura me raconte des anecdotes de son travail. Elle est instagrameuse culinaire et a sorti son premier livre numérique de recettes il y a peu. C'est une boule d'énergie, cette fille !

— Tu veux partir vers quelle heure ?

Je hausse les épaules.

— Je sais pas trop. Je suis fatiguée... Mais j'aimerais bien profiter de ma dernière soirée danse avant longtemps.

— Ta dernière soirée ? Eh, tu vas pas mourir non plus...

— Oui, mais tu vois ce que je veux dire. Après, je vais avoir du mal à bouger. Et quand le bébé sera là...

Un sourire glisse sur mes lèvres quand je m'imagine tenir ce petit être entre mes bras. Je secoue la tête.

— Eh bien, je veux être une bonne mère. Et je vais pas le faire garder par une baby-sitter tous les week-ends parce que je veux sortir.

Laura grimace.

— Jamais je n'aurais d'enfants !

— Et c'est ton choix ! Mais, moi j'en veux. Bien plus qu'un mec, d'ailleurs ! Sinon, je ne me serais jamais lancée dans ce projet.

— Oui... Et même si ce n'est pas mes projets, je trouve ça super courageux de l'avoir fait ! Mais...

Elle a une moue taquine ; je m'attends au pire.

— Si c'est ta dernière soirée avant d'avoir un enfant, il faut que tu baises !

Elle crie presque le dernier mot. Je deviens écarlate.

— Chut ! Mais t'es pas bien !

Je jette des regards penauds en direction des passagers du métro qui nous regardent, certains goguenards.

— Je suis parfaitement sérieuse ! C'est le soir ou jamais ! Sinon, tu vas oublier à quel point une partie de jambes en l'air, ça fait du bien ! Et des toiles d'araignée vont se tisser dans ton vagin !

J'éclate de rire.

— Peut-être pas quand même !

— En vrai, il fait que tu te rappelles que cette partie de ton corps ne sert pas qu'à fabriquer un bébé ! Et c'est plus facile de draguer maintenant pendant que ça se voit pas que quand tu vas ressembler à une baleine ou quand tu auras tout le temps un mioche accroché à tes seins.

Je secoue la tête. Laura en fait toujours trop, mais elle n'a pas tout à fait tort.

— Je verrai bien. Si un mec me plait...

— Tu fonces ! Allez, on est arrivées, viens !

Elle m'attrape par la main et m'entraine vers la porte du wagon. Je suis heureuse de ne pas porter de talons. Je n'aurais jamais pu la suivre.

Quand nous franchissons les portes du restaurant, Cathy nous attend déjà à la table que Laura a réservé. Elle est plongée dans une brique qui ressemble à un livre.

— Hum... Salut Cathy, tu lis quoi ?

Elle lève le nez de son bouquin et pendant un instant elle ne semble pas nous reconnaitre. Puis son visage s'éclaire.

— Oh, salut les filles !

Elle glisse un marque-page avant de refermer le livre. Elle me montre ensuite la couverture. Un palais d'épines et de roses.

— C'est génial, explique-t-elle. C'est l'histoire d'une fille humaine qui se retrouve dans le monde des Faes. Elle doit lutter pour sa survie parce que...

— Ça a l'air chouette, la coupe Laura. C'est pas adapté en série ?

Cathy nie de la tête.

— Mais tu sais, les livres sont souvent mieux que les séries !

Je grimace intérieurement. Si on se lance dans ce débat, on en a jusqu'au dessert. Je donne un coup de coude à Laura pour lui intimer de ne pas se lancer dedans.

Elle me lance un regard innocent.

— Quoi ? Je n'ai rien dit encore.

— Ne commence pas alors !

— Tu pourrais le lire en VO, me propose Cathy. En parlant de livre, j'ai un cadeau pour toi, m'annonce Cathy en me tendant un énorme livre.

J'attends un enfant de Florence Pernoud. La photo d'une femme avec un bébé dans les bras, heureuse, me fait sourire. Sans savoir pourquoi, je me sens toute émue.

— Merci, je balbutie. C'est gentil.

— Je me suis dit que ce livre répondrait à la plupart des questions que tu dois te poser. Au lieu d'aller tout de suite sur doctissimo au moindre problème...

— C'est quoi le problème avec doctissimo ?

— Tu veux dire, mis à part le fait que quand t'as mal à un orteil, on te parle tout de suite d'un cancer ? Eh bien, tu verrais le nombre de patients qui viennent à l'hôpital juste parce qu'ils se sont trouvés une grave maladie sur internet...

— Les gens sont pas croyables...

Soudain, une jeune femme s'installe sans délicatesse aucune sur la chaise à côté de Cathy.

— Coucou les filles !

La voix de Caro est faible comme si elle était crevée. Ce qui est sûrement le cas au vu des cernes noirs sous ses yeux.

— Tu vas bien ? je ne peux m'empêcher de demander.

— Oui, oui... Je suis juste fatiguée.

Ce mot est un euphémisme pour l’état dans lequel elle est. Elle passe une main sur son visage comme pour se réveiller.

— Gustave ne dort toujours pas ? demande Laura.

Caro secoue la tête, ses cheveux noirs qui semblent aussi épuisés qu'elle remuent à peine.

— Toujours par laps de trois heures. Et puis même quand il dort, j'arrive pas toujours à dormir...

Sa voix tremble à la fin de sa phrase. Cathy pose une main sur la sienne.

— Et Matt, il s'en occupe pas la nuit ? je demande.

— Si, si. Mais il entend pas toujours quand Gus pleure. Et puis, il travaille lui...

Ses yeux marrons sont pleins de larmes contenues.

— OK, il travaille. Mais il a l'air moins fatigué que toi malgré tout ! s'énerve Laura.

— Tu devrais peut-être t'offrir une journée de congés ? je propose plus calmement.

— C'est compliqué, j'allaite toujours... Matt arrive à lui donner un biberon de mon lait la nuit quand j'en peux plus. Mais Gus refuse en journée. Et puis, j'ai besoin de tirer mon lait...

Je me demande ce qu'elle appelle ne plus en pouvoir. Parce que là clairement, je me sens coupable qu'on l'ait tiré de chez elle pour aller danser alors qu'elle est crevée.

— On devrait peut-être se faire un week-end entre filles. Si vraiment tu peux pas le laisser, on emmène Gus... On pourra t'aider.

Je regarde les filles avec interrogation. Cathy hoche la tête aussitôt. Laura acquiesce mais ne peut s'empêcher d'ajouter :

— Enfin, ce serait mieux quand même s'il venait pas. Mais j'imagine qu'un week-end avec un jacuzzi et du vin ne peut que nous faire du bien !

— Je sais pas trop... Avec l'allaitement, je peux pas vraiment boire... Et puis, s'il réclame tout le temps...

— Écoute Caro, on peut réserver maintenant pour dans un mois ou deux... D'ici là ce sera peut-être plus simple pour toi ou alors tu seras contente de t'offrir une parenthèse.

— En même temps, le but c'est qu'elle se repose... rappelle Laura. Si on attend qu'elle soit reposée, y a plus d’intérêt.

Cathy reprend alors :

— T'as parlé à un docteur de tes problèmes de sommeil ? Parce que si même quand le bébé dort, tu dors pas c'est difficile...

Caro hoche la tête avec une grimace.

— Oui, j'en ai parlé quand je me suis faite arrêtée pour pas reprendre tout de suite le travail. Il m'a donné des somnifères...

— Carrément ? je m'étonne.

— Ouais. Enfin, du coup fallait que je tire mon lait avant... La pharmacienne m'a prévenue que ce serait peut-être compliqué de me réveiller le matin. Enfin, même ça, ça ne marche pas.

— Comment ça ? C'est quoi ?

Cathy l'étudie avec attention.

Caro lâche un nom de médicament.

— Pourtant c'est plutôt efficace normalement.

Caro hausse les épaules.

— Bah écoute, moi je m'endors pas si vite que ça. Et j'entends toujours Gus avant Matt. C'est moi qui le réveille. La seule différence c'est que je me rendors aussitôt après. C'est déjà ça...

— La vache ! L'instinct maternel, c'est quelque chose ! s'épate Laura. Toi aussi, tu vas peut-être te découvrir des super-pouvoirs.

— On verra...

— Tu penses vraiment qu'une ouïe bionique et un sommeil super léger sont des super pouvoirs ? ricane Caro.

— Bah ouais, plus ta façon de gérer plusieurs choses à la fois. Et ta patience infinie avec tes monstres. Je t'envie pas du tout, soyons claires ! Mais je t'admire quand même !

Pendant un instant, Caro rayonne. Sa fatigue disparait un peu. Je remercie Laura d’un sourire, elle a trouvé les bons mots pour requinquer notre amie.

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