Chapitre 10 : Celle qui a un rencard
Dans l’entrée du restaurant, je m’étudie une dernière fois dans le miroir. Robe rose qui s’évase juste après la poitrine. On aperçoit même pas le renflement de mon ventre. Mon maquillage n’a pas coulé, léger, mais chic. Je prends une grande inspiration.
Depuis que je m’étais lancée dans mes démarches d’insémination, j’avais abandonné les rendez-vous galants. Je suis un peu rouillée. Enfin, au moins, c’est un homme que j’ai déjà rencontré et pas juste le résultat d’une conversation sur Tinder.
Le serveur me mène à la table de Gabriel. Je traverse une salle aux tables recouvertes de nappes blanches avec des sets de table rouges. L’ensemble est harmonieux avec une lumière tamisée qui permet une forme d’intimité. Gabriel a choisi ce restaurant traditionnel. Je l’aperçois justement assis en face de moi. Il lève immédiatement les yeux de son téléphone comme s’il avait senti ma présence et se lève pour me faire la bise.
— Je suis content que tu sois venue.
Ses yeux bleus me dévisagent tandis qu’il arbore un léger sourire.
— J’avais un peu peur vu notre deuxième rencontre.
Il passe la main dans sa touffe de cheveux bouclés et s’esclaffe. Apparemment, il veut mettre les choses à plat dès le début.
— J’ai beaucoup hésité… Clairement, notre deuxième rencontre n’a pas forcément joué en ta faveur. Même si selon une copine, c’est un signe du destin !
Je rigole, espérant détendre l’atmosphère tendue qui pèse entre nous.
— Tu crois au destin ?
Son ton est sérieux. Je hausse les épaules.
— Non, pas vraiment. Mais c’est vrai que c’est une sacrée coïncidence de tomber sur toi à l’hôpital après notre soirée.
— C’est sûr ! Je ne t’aurais pas récrit si on ne s’était pas revu. Je voulais pas insister. Mais là, après t’avoir revue, tu n’arrêtais pas de revenir dans mes pensées.
Je suis sûre que mes joues sont aussi rouges que la carte entre mes mains. Heureusement, un serveur arrive pour demander si on a choisi. Absolument pas… On est trop occupé à démêler les fils de notre relation.
Quand il s’en va, on se concentre sur le menu et je suis épargnée de répondre. Je n’arrive pas à me focaliser entièrement sur les mots qui dansent devant mes yeux. J’obsède ses pensées ? Comment est-ce possible en une seule soirée ? D’accord, on a été proches physiquement, mais ce n’est pas la base d’une relation. Je l’étudie discrètement. Ses yeux sont baissés vers la carte qu’il étudie réellement, lui. La peau mate de son visage est parfaitement rasée. Et ses cheveux bouclés noirs me donnent terriblement envie de passer la main dedans. Ok, physiquement, il me plait. Mais, mis à part qu’il est gentil, je ne sais pas grand chose sur lui.
— Vous avez fait votre choix ?
Je jette un coup d’œil perdu au serveur. Devant mon absence de réponse, Gabriel annonce :
— Je vais prendre un tartare avec des frites. T’as choisi ?
Je m’empourpre.
— Euh… Je vais prendre comme toi.
Ses sourcils se froncent, il passe encore une main dans sa chevelure.
— T’es sûre ? Je voudrais pas faire mon relou, mais manger cru n’est pas trop conseillé pour toi.
Oh mon dieu ! Mes joues sont tellement chaudes. Je suis idiote.
— Oh… oui… C’est vrai.
Je scrute la carte deux minutes. Bavette avec frites. Rien d’interdit pour les femmes enceintes ?
— Je vais prendre une bavette à point avec des frites, finis-je par dire au serveur qui attend patiemment.
— Vous désirez boire quelque chose ?
Gabriel se trémousse :
— Oh, j’ai totalement oublié. Tu veux un cocktail sans alcool ?
J’accepte en hochant la tête.
Quand le serveur s’éclipse, je dis :
— Désolée, je suis un peu nerveuse. J’avais vraiment fait une croix sur les rendez-vous.
Il sourit.
— Pas de soucis. Tu voulais plus faire de rencontres à cause de ta grossesse ?
— Oui quand j’ai décidé de me faire inséminer, c’était pour fonder ma propre famille. J’ai arrêté de penser que je rencontrerai quelqu’un avant de ne plus pouvoir faire d’enfant.
Il secoue la tête.
— Tu n’es pas si vieille…
— Non, mais quand le jour de tes trente ans, ton gynéco te propose de congeler tes ovules, tu réfléchis…
— Quel manque de tact !
Ah ! Lui aussi, il trouve ! ça ne vient pas donc que de moi, si même un collègue le pense.
— Enfin, bref quand j’ai eu trente-trois ans, je me suis décidée à me renseigner sur les démarches. Je ne voulais pas avoir un enfant trop tard. J’ai toujours rêvé de fonder ma famille avant mes trente ans, de faire partie de ses parents qui peuvent faire plein de choses avec leurs enfants, avant qu’ils soient vieux…
— Bah ça va encore, là, commente-t-il.
— Oui…
— C’est rare de rencontrer quelqu’un qui veut des enfants au point de les faire toute seule.
Je hausse les épaules.
— Je sais, tout le monde ne comprend pas. Même parmi mes copines. Et encore moins ma mère.
— Ah bon ?
— Oui… Elle a dit à toute ma famille que je m’étais retrouvée enceinte par accident et que le père ne veut pas en entendre parler. Juste avant que je débarque pour annoncer ma grossesse.
Il grimace.
— Pas cool !
Je réalise alors à quel point il m’a mise à l’aise. Je suis en train de lui déballer des trucs méga-personnels sans être gênée. J’essaie de recentrer la conversation sur lui :
— Et toi, t’as toujours voulu être gynéco ?
— Non… c’est un second choix, je voulais être pilote. Ça ne s’est pas fait… C’est pendant les études de médecine que j’ai voulu me spécialiser. C’est pas parce que j’ai un truc avec les femmes enceintes, hein ? Tu pourras rassurer ta copine.
Il se met à rire quand je rougis de nouveau.
— Plus sérieusement, ce n’est pas non plus la gynécologie générale qui me passionne. Mais la partie obstétrique. Le miracle de la vie, en gros. Aider les bébés à naitre, s’assurer que tout va bien, sauver des bébés parfois…
Je grimace. Sauver des bébés.... Je n’ai pas très envie de penser au fait qu’ils en aient besoin. Avec la vie qui grandit en mon ventre, j’aimerais croire que le monde est rose et que tout va pour le mieux. C’est ridicule… Mes yeux s’embuent déjà. Fichues hormones…
— C’est une belle motivation en tout cas… finis-je par répondre. C’est pas trop dur ?
J’ai en mémoire toutes les séries médicales qui passent à la télé. On les voit bosser des heures et des heures. Et les études ont la réputation d’être difficiles.
Il passe à nouveau une main dans ses cheveux bouclés.
— C’est pas évident. Mais c’est comme ça ! Puis faut travailler pour avoir ce qu’on veut dans la vie. Par contre, j’aurais jamais pu être prof comme toi et supporter des adolescents à longueur de journée.
Le reste du repas continue ainsi. On se dévoile petit à petit, faisant véritablement connaissance. Il est vraiment sympathique.
Lorsqu’on sort du restaurant, je ne sais pas à quoi m’attendre. On a déjà couché ensemble. Normalement, la gêne devrait être passée. Mais, en vrai, c’est pire ! S’attend-il à ce qu’on recommence dès aujourd’hui ? Une chaleur envahit mon bas ventre au souvenir de notre première rencontre. Mais ne devrait-on pas plutôt prendre notre temps ? Pour que notre histoire en soit réellement une. Dans ma tête, les pensées se bousculent.
— Tu veux qu’on marche un peu ? propose-t-il.
On est dans une petite rue autour de Montparnasse, il y a encore plein de gens dans les rues qui profitent du mois de juin. Je souris. J’aime quand la ville est animée. Je hoche la tête.
Il saisit ma main. La sienne est chaude. Les questions ne m’envahissent plus alors que je profite de cet instant. Tenir la main de quelqu’un et se promener à deux. Des choses simples que j’aimerais pouvoir faire tous les jours. En tant que célibataire, ce n’est pas forcément le sexe qui me manque le plus. C’est surtout quelqu’un à qui parler tout le temps, à qui faire des câlins, avec qui partager ma vie quoi. Je me concentre sur les mots de Gabriel qui évoque son île natale.
— À la Réunion, à cette époque, c’est l’hiver. Il fait nuit depuis longtemps à cette heure-là.
Il me décrit les paysages et j’ai envie de les découvrir avec lui. Je me prends à rêver. Une bourrasque de vent traverse mon manteau lorsque nous arrivons dans un grand boulevard. Je frissonne.
— T’as froid ?
Gabriel m’enveloppe déjà de ses bras. Je lève les yeux vers ses yeux marron qui brillent d’une lueur chaleureuse. J’ai tellement envie de l’embrasser. Je mordille ma lèvre. Est-ce une bonne idée ? J’ai accepté ce rendez-vous sans penser qu’il donnerait grand chose. Mais la conclusion est là. Cet homme me plait vraiment.
— Est-ce que… je peux t’embrasser ? murmure-t-il à mon oreille.
— Oui, dis-je en avançant ma bouche vers la sienne.
Ce baiser est terriblement doux. Pas de langue qui se balade, juste ses lèvres sur les miennes et ses dents qui me mordillent légèrement. C’est tout. Et c’est le paradis ! Je ferme les yeux. Je me sens si bien entre ses bras.
Quand nous nous séparons, Gabriel me regarde avec un doux sourire.
— Tu veux qu’on se programme un autre rendez-vous ? Un cinéma ?
Oh mon dieu ! Je fonds. Pourquoi ne l’ai-je pas rencontré avant ?
— Oui, on s’écrit pour caler le jour et l’heure ?
Nous nous embrassons encore une fois pour nous dire au revoir. Puis je regagne le métro le cœur en fête.
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