Chapitre 18 : Celle qui déménage

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— Oh ma chérie ! Comme tu es belle ! s’enthousiasme ma mère en m’apercevant dans une salopette qui accentue l’arrondi de mon ventre. Vous allez être bien dans ce nouvel appartement le bébé et toi.

La chaleur dans sa voix me fait du bien. Elle semble avoir digéré cette histoire et accepter qu’être maman célibataire était un véritable choix.

— Merci…

Elle me fait la bise, suivie par mon père qui me sourit silencieusement. Je les dirige vers la partie cuisine où tout le monde s’affaire autour des cartons.

— Vous connaissez presque tout le monde, je déclare en désignant les filles qui s’activent, mon frère et ma belle-sœur. Sauf Gabriel, un ami…

Ce dernier lève la main dans un vague salut.

— Bonjour madame. monsieur, dit-il en opinant de la tête.

Puis il repart à sa tâche.

— Il est plutôt mignon, tente de murmurer ma mère à l’oreille de façon absolument pas discrète.

Je rougis jusqu’aux oreilles tandis qu’un sourire goguenard apparait sur les lèvres de Gabriel.

— On commence à charger tout ça dans le camion, chef ? demande-t-il une pile de cartons dans les bras.

J’acquiesce. Ces derniers temps, il y a quelques blancs entre nous. Parfois, je le surprends à m’observer, songeur. De mon côté, je suis plus sereine. Il fera son choix prochainement, mais cela ne dépend plus de moi. Je profite des moments qu’on pense ensemble et me visualise seule avec mon petit garçon dans le futur. Il ne vaut mieux pas trop espérer…

J’observe tous mes proches s’activer avec un étrange sentiment. Mon appartement dans lequel j’ai passé 8 ans me manquera, mais j’ai hâte de me lancer dans ma nouvelle vie. Jusque là, j’ai eu du mal à me projeter concrètement. Le stress que quelque chose se passe mal jouait pour beaucoup. J’entame le dernier trimestre et, mis à part, le saignement que j’ai eu au début, plus rien. En même temps, je suis déjà au repos depuis un moment avec les vacances scolaires…

— Tu as encore ces photos ! s’extasie Cathy en découvrant un cadre empli de clichés datant du lycée.

Mon frère débarque alors :

— Ah là, les gonzesses, vous aviez pris cher ! s’exclame-t-il en montrant une photo où nous faisons nos plus belles grimaces.

Laura lui tapote l’épaule en le taquinant. Je me rappelle alors qu’à cette époque, elle avait un crush pour mon frère. Je souris en secouant la tête. On a bien évolué depuis.

— Ça va ? me demande Gabriel. Tu as l’air songeuse.

— Oui, je me disais juste qu’on a bien changé.

Il étudie un instant les images.

— Toi, pas tant que ça. On te reconnait bien !

— Oh oui, je ne parlais pas forcément physiquement.

— Ah bon ?

Je m’esclaffe.

— À l’époque, je pensais que je rencontrerais l’homme de ma vie à la fac. Il s’appellerait Cyril ou Gaël et j’aurai mon premier enfant à 23 ans. Je voulais avoir 4 enfants et tous avant 30 ans. J’étais optimiste…

— Tu vas quand même avoir un enfant…

J’acquiesce. Ce n’est pas vraiment comme dans mes rêves pour autant.

— T’as rencontré un Cyril ou un Gaël au moins ?

— Jamais. J’ai regardé plus d’une fois ces prénoms sur des sites de rencontre, mais rien de concluant.

Il s’esclaffe, faisant rebondir ses boucles autour de son visage.

— Et toi, tes rêves d’ado ?

— Je…

— Tu voulais être docteur ?

— Pas du tout. Enfin en terminale quand je me suis inscrit en médecine, j’avais l’idée en tête. Mais avant je voulais être pilote dans l’armée de l’air.

— C’est vrai ?

— Oui… Mais ça ne plaisait pas à ma mère. Elle m’a convaincu du contraire.

— Ça ne lui plaisait pas ?

Il déglutit bruyamment et répond dans une grimace.

— Mon père était pilote. Il s’est tué lors d’un accident.

— Oh je suis désolée.

J’ai l’impression qu’un gouffre s’est ouvert sous mes pieds. Comment puis-je être aussi ridicule ? J’avais bien compris que son père était décédé, mais je n’avais pas osé rentrer dans les détails vu que Gabriel ne le faisait pas naturellement. Je me rends compte alors d’à quel point notre relation est superficielle. Tous les détails que nous n’avons jamais abordés.

— Tu ne savais pas. Enfin, ma mère m’a convaincu de tenter médecine à la place. Et c’était une idée que j’avais déjà eu plus jeune. Alors je me suis lancé.

Cathy qui entre dans la pièce à ce moment-là s’écrie :

— T’as tenté médecine sans motivation et t’as réussi ? C’est dingue ça, tu te rends compte Athéna, ce mec est une tête !

Les joues de Gabriel rougissent. Je le sauve de son inconfort en lui demandant de descendre le matelas.

Cathy reprend :

— C’est vrai, tu sais le nombre de gens méga motivés qui échouent en médecine ?

— Peut-être, mais je crois que tu l’as mis mal à l’aise…

Elle hausse les épaules.

— Il lui en faut peu alors… C’est cool qu’il soit là !

— C’est vrai. C’est cool que vous soyez tous là vu que je me décide à déménager quand je ne peux plus rien porter !

— C’est normal… On sera toujours là pour toi ! On est les Best Highschool Girls après tout.

Je ne peux me retenir de ricaner alors que mon frère lève les yeux au ciel en entendant notre vieux surnom. Tandis que tout le monde est descendu au camion, j’observe les murs vides de mon appartement. Une certaine nostalgie m’étreint. Ces murs sont ceux qui m’ont vu devenir une femme adulte. Pas légalement. Une femme capable de prendre des décisions seule et d’affronter les galères. Jamais en m’installant ici, je n’aurai pu imaginer être capable un jour de faire un bébé toute seule. J’ai une soudaine envie de pleurer. Pourtant, je suis heureuse de partir. Je mets le tout sur le compte des hormones et bébé approuve d’un vigoureux coup de pied.

— Bah qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? Débrouille-toi, zut ! Appelle la pédiatre !

La voix énervée de Caro retentit sur le palier. À sa place, j’imagine que je n’aurais pas utilisé le mot « Zut ». Caro a toujours été la moins grossière d’entre nous. Du coup, elle est capable de faire passer son énervement à coup de Crotte et de Zut. Je vais devoir apprendre à faire comme elle avec un enfant. Quand elle passe la porte, elle raccroche. Ses yeux sont plein de larmes.

— Ça va pas ?

Elle secoue la tête.

— C’est Gus. Il a de la fièvre et il fait que pleurer…

— Oh, le pauvre… Tu peux rentrer si tu veux, je propose. On pourra finir sans toi.

À son froncement de sourcils, je comprends que je n’ai pas dit la bonne chose. Elle croise les bras.

— Certainement pas. Matt peut très bien gérer un bébé malade tout seul. Je le fais tout le reste du temps. Je ne rentrerai pas au premier problème qu’il rencontre.

J’imagine que la situation ne s’est pas beaucoup améliorée depuis la dernière fois. Je profite que nous soyons encore seules pour en parler.

— C’est toujours compliqué entre vous ?

Elle soupire.

— C’est plus que compliqué. Autant devenir parents la première fois n’avait pas chamboulé notre couple. Autant là, je ne sais pas s’il va résister.

Je grimace et place une main que j’espère réconfortante sur son bras. Elle éclate en sanglots. Quand les autres remontent, je fais comprendre à Laura d’un regard que nous avons besoin d’intimité et accompagne Caro dans la salle de bain. Quand elle se calme un peu, je demande :

— Matt a conscience de tout ça ?

Elle hausse les épaules.

— Je ne sais pas trop. On a beaucoup de mal à se parler en ce moment. Ça finit toujours en dispute. Donc il sait bien que ce n’est pas tout rose. Mais je ne pense pas qu’il comprenne à quel point j’en peux plus.

J’aimerais lui proposer une solution toute trouvée pour l’aider, mais je n’en vois guère.

— Tu en parles à quelqu’un ?

Elle grimace.

— Mis à part vous, pas trop. Ma mère ne comprendrait pas. Elle a élevé ses enfants sans que mon père ne l’aide jamais et ne comprend pas le problème. Ou alors tout vient de moi. Mais je ne suis pas comme elle, j’ai besoin que Matt me soutienne…

Je fais la moue et comprends à quel point elle est seule. D’autant plus que, même avec nous, elle ne pousse jamais aussi loin la confidence.

— Faut pas que t’hésites à nous en parler. On ne te jugera pas, tu sais…

Elle hoche la tête piteusement.

— Je sais bien, mais c’est difficile d’admettre à quel point tu ne vas pas bien. C’est beaucoup plus facile de répondre que tout va bien à tout le monde. Je ne veux pas passer pour une pleurnicheuse.

— Caro, on te connait depuis plus de 10 ans ! On sait bien que tu n’es pas une pleurnicheuse ! On est tes meilleures amies ! On s’est raconté notre première fois dans tous les détails, on a failli se faire virer d’un resto parce qu’on riait trop fort, tu m’as déjà tenu les cheveux pendant que je vomissais… Si tu ne peux pas nous le dire à nous…

Caro acquiesce, ses cheveux noirs remuent avec peu d’entrain comme s’ils étaient aussi apathiques que leur propriétaire. La voir ainsi me fend le cœur. Elle a toujours été si pleine d’énergie.

— T’as raison ! Mais le dire à voix haute le rend concret. Comme si mon échec devenait réel.

— Ton échec ?!

Je m’étouffe à ses mots. Par la porte entrebâillée, j’aperçois les mines inquiètes de Cathy et Laura et leur faire signe de me rejoindre.

— Qu’est-ce qui se passe ? demande Cathy de sa voix douce.

Caro repart à pleurer.

— Elle est crevée, j’explique. Et avec Matt, c’est compliqué, mais elle n’osait pas en parler. Elle pense qu’elle a échoué…

— Échoue ! s’indigne Laura. Mais poulette, si toi tu as échoué, qu’est-ce qu’on devrait dire nous ? Tu as deux magnifiques enfants ! Bon d’accord, ils sont bruyants, mais comme des enfants quoi... Tu as un métier qui te plait. Tu es…

Je devine qu’elle va parler de mariage et secoue la tête précipitamment.

— Une personne impressionnante par ta volonté et ton organisation. Tu gères ta vie de femme, de mère et de bibliothécaire de front ! C’est normal qu’au bout d’un moment tu sois fatiguée. Tu as déjà tant fait toute seule ! conclut Cathy.

— Et tu peux tout nous dire ! je lui rappelle.

— Bah oui ! Tu sais bien qu’on doit toujours se plaindre de quelque chose quand on se voit. Tu ne l’as pas fait assez, c’est à ton tour !

— Et Laura te fera même des cookies pour te réconforter.

— Ah ça, aucun souci !

Caro essuie ses larmes et esquisse un sourire.

— Merci les filles ! Vous avez raison, j’avais besoin que ça sorte !

— Tu m’étonnes !

— Eh les gonzesses, vous avez fini vos messes basses ? Il y en a qui travaillent ici ! nous parvient la voix rieuse d’Hippolyte.

Caro essuie ses larmes et nous fait signe qu’on peut y aller. Nous rejoignons le reste de mes déménageurs qui attendent des directives. Mon frère et Gabriel nous regardent avec curiosité. Je hausse les épaules.

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