Je lance un sourire encourageant à Gabriel avant d’appuyer sur la sonnette. Quand ma mère a proposé qu’il vienne à ce diner, je n’ai jamais pensé qu’il accepterait. On est loin de ma version personnelle du « sans engagement », alors même qu’il ne m’a pas présenté sa mère. Il a simplement souri et répondu « Pourquoi pas ? Ça devrait être sympa ». Je n’ai pas compris, mais fidèle à ma nouvelle philosophie « profite de tes derniers instants », je n’ai pas posé de questions. Cela me fait une soirée de plus avec lui. Je glisse ma main dans la sienne.

Ma mère ouvre la porte toute pimpante, la bouche en cœur.

— Athéna ! Gabriel, je suis contente que tu sois venue !

Elle fait claquer ses lèvres sur nos joues. Elle rayonne de bonheur. Une partie de moi regrette que cela ne dure qu’un instant. Ma mère a tellement rêvé que je rentre dans son moule qu’elle s’imagine que Gabriel va rester. Nous la suivons dans la salle à manger où la table est déjà mise. Mon frère est là avec sa femme et son fils.

— Tata Théna ! me lance celui-ci en se jetant dans mes bras.

Sa tête s’enfonce dans mon ventre.

— Doucement ! Je l’éloigne un peu, tu vas te recevoir un coup du bébé sinon.

Ses yeux s’écarquillent. Gabriel hoche la tête vigoureusement.

— Je t’assure que c’est vrai ! Il est même du genre virulent.

Malo ouvre la bouche et nous regarde tout à tour. Je souris et saisis sa main. Je la pose sur mon ventre.

— Attends, tu vas voir…

Je sens mon fils onduler avant de frapper fort contre l’intrus.

La mâchoire de mon neveu s’ouvre encore plus grand. Il retire sa main.

— Ouah ! Il arrive bientôt le bébé ?

Je hoche la tête.

— Bientôt oui…

Mes yeux s’embuent et je n’ose regarder Gabriel. En même temps, j’ai hâte de découvrir la bouille de mon fils et de partager cet amour que je ressens déjà pour lui.

Hippolyte intervient :

— Enfin bientôt… Il reste encore un peu plus de deux mois. Pour toi, c’est très long ! Il va arriver juste avant Noël.

— C’est dans combien de dodos ?

Je m’esclaffe à cette question. En effet, ça va lui paraitre long. Je laisse mon frère gérer les questions de son fils et échange un regard avec Gabriel.

— Ton neveu est mignon, me chuchote-t-il à l’oreille.

Je hoche la tête en souriant.

— Asseyez-vous pour l’apéro ! réclame ma mère depuis la cuisine.

Mon père apporte une assiette de petits fours et nous fait signe d’obéir aux ordres de la supérieure. Ma mère est souvent stressée lorsqu’elle reçoit du monde. On pourrait croire qu’elle est habituée à nous avoir mon frère et moi pour manger, mais non… Elle veut toujours faire les choses en grand. C’est adorable.

— Que fais-tu dans la vie, Gabriel ? démarre-t-elle dès qu’elle s’assoit et que mon père nous a servi du cocktail dont un sans alcool exprès pour moi.

— Je suis interne en médecine.

Les yeux de ma mère brillent d’une lueur impressionnée.

— Ohlala ! C’est combien d’années d’étude, ça ?

— 8 ans puis.... (à revérifier)

Elle acquiesce.

— Athéna aurait pu faire plus d’études si elle avait eu envie, mais elle a préféré être professeure.

Je fronce les sourcils. Elle a toujours été fière de mon métier jusque là. Surtout que j’ai trouvé ma voie assez tard. Gabriel hausse les sourcils.

— Je n’en doute pas. Mais l’important, c’est qu’elle soit heureuse dans son travail.

Je pose ma main sur sa cuisse pour le remercier.

— Oui, oui… marmonne ma mère.

— Tu es médecin dans quelle spécialité ? intervient ma belle-sœur.

— Gynécologie.

Je m’esclaffe au regard surpris de ma mère. Là, elle ne sait plus quoi dire.

— Je travaille à l’hôpital, explique-t-il. En maternité.

— Je vois. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Je sens mes joues s’empourprer. Gabriel étire ses lèvres dans un rictus malicieux. Je serre mes doigts contre sa cuisse et m’empresse de répondre.

— Dans un bar !

La bouche de ma mère s’arrondit de surprise. Apparemment ce n’est pas ce qu’elle avait imaginé.

— Et tu savais déjà qu’elle… euh… était enceinte ?

Je lève les yeux au ciel.

— Cela ne te regarde pas, maman.

Gabriel me lance un regard gêné.

— C’est pas grave… Je ne savais pas quand je l’ai rencontré, mais elle me l’a dit la fois suivante.

— Oh je vois, lâche ma mère pour toute réponse.

Je lance un regard d’appel à l’aide à mon frère qui me sauve.

— Malo, tu as montré à mamie ce qui s’est passé cette semaine ?

Mon neveu secoue la tête et avance vers ma mère, un énorme sourire aux lèvres pour dévoiler une dent manquante.

Je souffle un « Désolée, elle peut être un peu envahissante » à l’oreille de Gabriel qui sourit en haussant les épaules. Si mon monstre de mère ne l’effraie pas, il a du cran. Finalement, mon neveu parvient à l’occuper une grande partie du repas ainsi que mon frère et elle nous laisse tranquille. Elle revient à la charge plus tard.

— Alors Athéna, tu as choisi un prénom pour ce bébé ?

— Pas encore, mais j’en ai plusieurs en tête.

— Ah oui ?

Je hoche la tête, repoussant l’inévitable.

— Tu nous les dis ?

— J’aime bien Mattéo, Louis et Lukas, murmuré-je du bout des lèvres.

J’attends le verdict.

— Mattéo, ça fait italien, non ? Louis, j’aime bien, mais c’est commun. Lukas ? C’est commun…

— Euh, je n’ai pas réfléchi à tout ça encore et je n’ai pas tranché.

— Et toi Gabriel, tu préfères lequel ?

Mon compagnon se crispe à mes côtés.

— C’est-à-dire que je n’ai pas vraiment d’avis à donner…

J’aimerais que ma mère comprenne que c’est valable aussi pour elle, mais elle s’entête :

— Tu n’es pas obligé, mais tu dois bien avoir une préférence quand même !

Le regard qu’elle lance oblige Gabriel à répondre.

— J’aime bien Louis.

— Ah bah voilà, c’était pas difficile ! Je comprends pas pourquoi tu ne prends pas un nom grec Athéna ? Aristote ? Ulysse ? Il y en a plein.

— Oui, je sais. Mais ils ne sont pas toujours faciles à porter.

Je lance un regard complice à mon frère qui grimace. Ma mère ne comprendra jamais le poids de nos prénoms. Il intervient d’ailleurs.

— Maman, tu as eu le privilège de choisir nos prénoms. Laisse nous celui de choisir ceux de nos enfants. Tu peux comprendre que c’est important.

Les lèvres pincées, elle hoche la tête et s’éclipse pour aller chercher le dessert. Quand elle revient, elle arbore de nouveau un sourire.

— Je suis tellement contente que vous soyez tous là pour mon anniversaire. Tu n’es pas d’accord, Alain ?

Le regard appuyé qu’elle jette à Gabriel n’est pas discret du tout. Mon père hoche la tête sans un mot, habitué aux simagrées de son épouse.

— D’ailleurs, Gabriel, vous pourriez peut-être accompagner Athéna pour l’anniversaire de ma mère la semaine prochaine ? C’est tellement difficile pour elle de venir seule à chaque fois…

Je rêve où il y a presque des trémolos dans sa voix… Je lui jette un regard courroucé et tourne la tête vers Gabriel avec un sourire d’excuse. Trop poli, il penche la tête et répond :

— Je verrai selon mon planning à l’hôpital.

— Oh bien sûr, rougit ma mère, charmée.

Je soupire et secoue la tête. J’aime bien ma mère. La plupart du temps. Sauf que depuis quelques années, le poids de son regard sur moi est difficile à porter. Ses attentes. Toute ma vie, j’ai voulu lui faire plaisir. Je lâche un soupir. Pour la première fois, j’ai vraiment fait quelque chose pour moi. Avoir un enfant malgré mon célibat est mon choix. Ma façon de réaliser mon rêve, n’en déplaise à ma mère.

Une caresse sur ma joue me détourne de mes pensées.

— Ça va ? murmure Gabriel.

Je hoche la tête et lui chuchote « plus tard ». Je n’ai guère envie de raconter ce que je ressens devant ma mère. Il remet une mèche de cheveux derrière mon oreille et acquiesce.

Sous le regard appuyé de ma mère, je rougis et tente de reprendre la conversation en cours. Le reste de l’après-midi se passe dans la même atmosphère : entre détente et remarques non subtiles de la chef de famille.