eitrap emèixueD

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Je me suis réveillé dans la baignoire, aspergé d’eau froide tandis qu’Alice pleurait toutes les larmes de son corps. Elle m’a immédiatement sauté dessus lorsque j’ai repris mes esprits, et on s’est retrouvés tous les deux trempés l’un contre l’autre. Il nous a tous les deux fallu un moment pour redevenir calme. Moi parce que je n’étais toujours pas sûr de savoir si ma vie était devenue un cauchemar, et elle parce qu’elle était absolument terrifiée à l’idée qu’il me soit arrivé quelque chose de grave.

Après une douche bouillante, elle a fini par m’expliquer ce qu’il m’était arrivé. Je me suis levé d’un coup du lit avant de vomir par terre et de m’effondrer. Ma tête est tombée sur le lit, heureusement. Si je m’étais écroulé sur le coin d’un meuble, j’aurais pu en mourir.

J’étais fatigué. Genre, vraiment fatigué. Mes cernes affolaient tout mon entourage et mon efficacité au travail avait été divisée par trois. Après l’accident de cette nuit-là, je ne pouvais plus cacher à Alice ce qu’il m’arrivait. Mes terreurs nocturnes, la sensation que quelqu’un se trouvait dans l’appartement et touchait à mes affaires. Je lui ai tout balancé. J’aimerais dire que ça m’a fait du bien. Mais…

« Encore hier soir quand je suis rentré du travail, j’avais l’impression que quelqu’un avait passé la journée à l’appart. Je te jure, c’est insupportable. J’ai plus l’impression d’être vraiment chez moi ! Comme si quelqu’un vivait avec nous en permanence…

— Mais mon cœur… Ça fait 3 jours que tu n’es pas parti travailler… Tu le sais ça pas vrai ? »

J’ai vu l’inquiétude dans son regard. Et elle a vu la terreur dans le mien. Alors j’ai tenté le bluff.

« Oui… Oui bien sûr… Je voulais dire… Avant… »

Mais je suis un piètre menteur. Et le flot de larmes qui s’est mis à couler n’a pas spécialement aidé mon talent de mythomanie.

Bien sûr que si j’étais sorti. J’étais allé au travail, comme tous les jours. Je ne pouvais pas l’avoir rêvé ça ? Pas pendant 3 jours ! J’ai pas pu imaginer vivre trois journées entières qui ne se sont pas produites ?! C’était tout bonnement impossible !

Alors j’ai commencé à élaborer des thèses. Soit quelqu’un se faisait passer pour moi ici la journée. Soit j’avais fait un blackout de trois jours. J’essayais de me repérer dans le temps, de savoir quel jour de la semaine on était pour confirmer mes dires. Mais même ça je n’y arrivais plus. Entre la fatigue, le stress et la peur, ma vision du monde se transformait en une mer de formes et de concepts vagues.

Comme me l’a dit Alice, j’avais besoin de repos. De repos et d’un médecin.

Pour ne pas l’inquiéter, j’ai appelé mon généraliste pour avoir un avis médical. Quand sa secrétaire a entendu ma voix, elle a tout de suite compris que c’était très urgent. Elle m’a même conseillé d’aller faire un tour chez SOS Médecin, mais j’ai refusé.

Je sais pas vraiment pourquoi. Mais à ce moment-là, ça ne me semblait pas être la solution. Alors j’ai pris un rendez-vous pour le début de la semaine suivante et j’ai appelé mon travail. Je me suis dit tant pis pour l’arrêt, vu la gueule de cadavre que je me tapais, ils devaient bien se douter que je couvais quelque chose.

Lorsque j’ai expliqué à mon boss que j’allais prendre des jours de congé, il s’est montré très bienveillant et attentionné. Probablement avait-il peur que je lui colle un procès au cul pour Burn-Out s’il ne me laissait pas me reposer. Ou peut-être s’inquiétait-il réellement pour moi.

« Ne t’inquiète pas, repose-toi autant que tu veux. Je m’occupe de la comptabilité depuis que t’es parti, je suis un peu coincé, mais je m’en sors pas trop mal.

— Depuis que j’suis parti ?

— Bah oui, il y a quelques jours. Mon pauvre, t’avais vraiment une sale tête. J’espère vraiment que ça va aller mieux avec du repos ! »

J’ai immédiatement raccroché après avoir entendu ça.

Deux personnes confirmaient que je n’étais pas allé travailler depuis plusieurs jours. Alors que j’y étais.

Je crois que je me serai éclaté la tête contre un mur s’il n’y avait pas eu Alice à côté de moi. Elle ne comprenait clairement pas ce qu’il se passait. Et moi non plus.

Elle a posé des congés pour être avec moi à l’appartement. Elle en avait accumulé depuis des années, si bien que sa boite ne lui dit rien lorsqu’elle les posa sans préavis. Les premiers jours furent plutôt reposants, voire même agréables. On passait notre temps ensemble à se promener ou à regarder des séries. La belle vie. Le soir, je m’endormais avec mes écouteurs et un bandeau sur les yeux pour éviter d’être dérangé dans mon sommeil. J’ai vraiment cru que j’allais mieux.

Si seulement ça avait continué dans cette direction. Cette fois, c’est pas moi qui aie changé, mais Alice. Elle s’est mise à me parler de moins en moins. De manière plutôt anecdotique au début, comme si elle n’avait pas entendu ce que j’avais dit. Mais ça a très vite empiré au point où elle pouvait ne pas me répondre pendant plusieurs minutes. Il fallait que je la touche pour que, soudainement, elle se rappelle ma présence.

Au début des minutes. Puis des heures. Des heures sans qu’elle ne fasse attention à moi. Sans qu’elle me regarde ou qu’elle ne me parle. Sans que j‘existe.

C’était… Je devenais comme invisible pour la personne qui était la plus importante à mes yeux. Mais pas invisible au sens figuratif. Réellement invisible. C’était comme si je n’existais plus du tout la journée. Elle allait se promenait seule, jouait seule, mangeait seule. Et le pire dans tout ça, c’est que je n’avais plus aucune force pour changer la situation. J’avais envie de hurler, de la secouer dans tous les sens pour que ses yeux se plantent dans les miens. Mais mon corps était si faible. J’arrivais à peine à marcher, comme un zombie, le regard hagard et la mâchoire entrouverte. En quelques jours, mon esprit s’était rempli d’une fatalité ridiculement lourde, qui m’empêchait de réagir alors que notre bateau se coupait en deux.

Je passais devant elle, mais sans être vu. Elle se comportait comme un robot. Une représentation. Un cadavre ambulant. J’ai alors commencé à la trouver de moins en moins belle. De moins en moins attirante. Ce n’était plus ma chérie. Mais juste Alice.

Juste… Une fille. Un être humain.

Mais le soir, elle changeait de comportement. Vers 18h, je me suis mis à sentir de nouveau cette présence. Quelqu’un rentrait dans la pièce. J’en étais sûr. Et quand cela arrivait, mon énergie revenait soudainement dans mon corps et Alice redevenait mon petit ange. Elle me sautait au cou comme si nous ne nous étions pas vus depuis des années et m’embrassait avec la passion de nos premiers jours. Et je l’aimais plus fort que je ne l’avais jamais aimé. Si fort que cela me brûlait de l’intérieur tant mon sang bouillonnait de désir devant sa beauté et son sourire.

Et puis le lendemain, la journée recommençait. Elle redevenait cette coquille vide. Et moi cette âme errante qui marchait dans l’appartement en pleurant, comme un malade en phase terminale. Ce qui était atroce, c’est que tous les soirs et tous les matins, lorsque nous redevenions nous-mêmes, je regagnais immédiatement de l’espoir. Je me sentais réellement mieux et j’oubliais intégralement toute la misère et la souffrance qu’avait subie mon âme de 9 à 18h. Et quand le week-end est arrivé, je me suis même senti comme ça pendant 2 jours d’affilée !

Et lundi, tout a recommencé. Mon énergie s’est échappée le matin, Alice s’est retransformée en une copie bas de gamme d’elle-même, et moi je suis redevenu qu’une larve affalée sur le canapé devant le néant qui dévorait mon être seconde après seconde.

Le soir, elle m’a de nouveau sauté au cou. L’aversion que j’avais eue pour son enveloppe corporelle toute la journée s’était, une fois encore, transformée en un amour fou, à l’épreuve de tous les obstacles de la vie. C’est là qu’elle m’a dit :

« Je suis vraiment contente que tu ais recommencé à travailler. Je sens que ça te fait du bien ! Regarde comment tu te sens mieux par rapport à lundi dernier ! »

Je me suis mis à balbutier. Puis j’ai parlé. Sans mon consentement. Ma bouche s’est ouverte et mes cordes vocales sont entrées en action pour dire une phrase que je n’avais pas pensée, ni imaginée. Comme si elle venait de quelqu’un d’autre. Comme si une autre personne parlait au travers de moi.

« T’as bien raison, ça me fait le plus grand bien. Mais je suis quand même triste de ne pas pouvoir passer plus de temps avec toi mon amour. »

Puis je l’ai enlacé.

Puis je l’ai embrassé.

Puis je lui ai fait l’amour.

Sauf que ce n’était pas moi.

J’étais toujours là. Dans mon corps. Mais ce n’était pas moi. Tout était comme. Gris ? Je ne ressentais rien. Aucun plaisir. Aucun amour. Même lorsque j’ai gémi de plaisir, ce n’était pas moi.

Ce n’était plus moi.

J’ai utilisé mes dernières forces disponibles pour appeler mon boss. Il m’a confirmé que j’étais venu travailler aujourd’hui. Tout comme jeudi et vendredi dernier. Il était très content que je sois en meilleure santé et me proposais même de venir dîner chez sa femme avec Alice.

Alors j’ai accepté.

Enfin. Pas moi.

Moi. J’étais bouche bée. Je le suis resté toute la soirée. Pourtant je parlais. Je riais même. Alice aussi riait. Mais pas avec moi.

On est allé se coucher.

Le lendemain matin, j’ai vu la porte de l’appartement s’ouvrir puis se fermer. J’étais dans le canapé, amorphe. Même plus surpris. Alice a envoyé un baiser dans cette direction et nous sommes tous les deux repassés en mode veille. Jusqu’au soir. Dans un décor en noir et blanc, sans détails. Plus de tableaux. Plus de décorations. Juste un canapé et une table dans la cuisine. Un vrai décor minimaliste. Et au milieu, il y avait nous deux. On portait des habits ultra-classiques. J’avais un t-shirt violet et un jean noir. Pourtant j'ai jamais acheté de t-shirt violet.

Et le soir, il est rentré. Alice a alors bondi dans ses bras. C’était un homme, tatoué, aux cheveux bruns et ébouriffés. Un grand sourire s’est dessiné sur le visage de l’inconnu quand elle l’a embrassé. Ils se sont ensuite mis à discuter, comme si je n’existais pas. Comme si je n’avais jamais existé.

Après on s’est mis à table, comme tous les soirs.

Et me voilà. Le journal de 20 heures vient de commencer. On est là, tous les trois. Seulement deux assiettes remplies de cassoulet. Elle explique qu’elle l’a cuisiné dans l’après-midi pour être tranquille ce soir. Pourtant j’étais là, et elle n’a pas bougé du canapé. J’ai pas faim de toute manière.

Je vois Alice poser sa main sur celle de l’autre. Je peux presque sentir sa chaleur. Sa si douce chaleur. Je la ressens juste assez pour me donner un dernier sursaut d’orgueil. Une dernière émotion. Une dernière pensée.

Je regarde le couteau. Il est juste devant moi. À portée de bras.

Puis je regarde Alice. Elle me sourit.

Elle lui sourit.

Elle est heureuse.

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