Debout dans l’embrasure de la porte, Kate observait le salon silencieusement. Aucun autre bruit ne résonnait dans la pièce apparemment vide que le sifflement de Piotr dans la salle à manger.

Sans bruit, elle glissa ses pieds sur le sol et avança à pas de loup. Elle balaya la pièce du regard, réfléchissant aux cachettes envisageables pour un enfant de sept ans. Le canapé, les rideaux, ou derrière le grand vase de Chine dans un coin de la pièce ?

Elle alla s’installer sur un des fauteuils sans perdre de vue ces trois points. Un léger grincement se fit entendre. Elle stoppa net, attendit quelques secondes puis posa son dos contre le dossier, stoïque. Elle ferma les yeux un instant, et fronça légèrement les sourcils.

Jimmy était là à la regarder, elle le sentait.

Un mince sourire se dessina sur son visage alors qu’elle rouvrit les yeux. Instinctivement, son regard se porta vers le canapé. Elle se redressa, croisant ses mains derrière son dos et, faisant mine de quitter la pièce, lança distraitement un

« Et bien, il semblerait donc que Jimmy ne soit pas ici ! Je devrais sans doute m’en aller ».

Un gloussement sourd se fit entendre. Kate fit volte face, et fondit derrière la banquette. Elle en extirpa un Jimmy gigotant aussi hilare que surpris par le creux des aisselles.

« Trouvé ! » chantonna Kate.

-C’est pas juste ! Tu savais que j’étais là ! À chaque fois tu me trouves ! »

-Ne dis pas de sottises, je comptais dans la cuisine, comment aurais-je pu faire ça ? »

L’enfant réfléchit un instant, les pieds soudain immobiles et les ailes de son petit nez maculé de tâches de son retroussées par une grande réflexion.

-Tu… tu… tu fermes tes yeux et tu… Tu sais où je me cache. »

« Si tu ne caquettais pas autant, ce serait plus dur en effet ! répondit Kate en riant, "Bon, veux-tu continuer à jouer à cache-cache ?

-Non ! Tu triches à chaque fois ! » s’exclama le petit garçon.

-Mais je te répète que je ne triche pas ! Tu te dénonces à chaque fois ! »

Jimmy se redressa, époussetant son pantalon, et plongea son regard dans les yeux pâles de Kate :

« On joue au Chasseur de Cerf ? »

-Non, nous allons courir partout et risquer de tout casser »

-Et Colin-Maillard ?

-C’est exactement le même jeu mais avec un nom différent ! »

- Même pas vrai ! Bon et les chaises musicales ? »

- Nous ne sommes que deux, Jimmy »

-Roooh, t’es même pas drôle ! Trouves-en un, toi ! »

Kate marque une pause et déglutit.

Dans l’autre pièce résonnait toujours le doux sifflement de Piotr.

Elle battit des cils tandis que ses yeux se dirigeaient vers le piano au cetnre de la pièce. Lentement, elle se leva sous le regard interrogateur de Jimmy et s’installa devant l’instrument tandis que l’enfant la suivait, confus.

D’un geste volontairement théâtral, elle remonta ses manches, souleva le clapet et plaça ses doigts fins sur les touches.

« Je vais jouer une mélodie, et tu dois essayer de la reconnaitre, d’accord ? »

Avant que le garçon n’ait le temps de répondre, elle ferma les yeux et laissa glisser ses doigts sur le clavier, portée par la musique. Ses mains sautaient joyeusement de touche en touche tandis que Jimmy l’observait, fasciné. Il suivit du regard chacun de ses mouvements avant de s’exclamer :

« The North Wind Doth Blow ! C’est The North Wind Doth Blow ! »

-Bravo ! » répondit Kate en riant « Un point pour toi ! »

Ils continuèrent à jouer ainsi longtemps. La séance de devinette se changea graduellement en concert privé, tandis que Jimmy, confortablement installé sur les genoux de Kate, lui commanditait telle ou telle comptine. Satisfaite d’elle-même, la jeune pianiste remportait l’exercice haut la main, bien que certaines berceuses russes lui aient été complètement inconnues, à la grande déception du petit garçon.

« Et Мишка косолапый по лесу идёт ? Tu sais le jouer ? »

« Non, Jimmy, je te l’ai déjà dit, je ne connais pas ces chansons russes » soupira Kate alors que depuis la salle à manger résonnaient les sifflotements de Piotr rejouant la dernière comptine demandée par le petit garçon, Twikle Twikle Little Star.

Jimmy s’approcha du clavier, et appuya pensivement sur quelques touches, une moue boudeuse sur le visage.

« Oh ! Oh ! Et celle-ci ! Hum… j’ai oublié le nom ! Mais Emmelia me la chante souvent ! Ça fait… Na na nana nanana… »

Kate se raidit sur son siège.

Oui, oui elle la connaissait.

London’s Bridge is Falling Down.

Dans la pièce d’à côté, le sifflement avait cessé.