Chapitre 6-partie 5
Les mains posées sur ses genoux serrés, Kate triturait machinalement ses doigts, les yeux rivés sur l'énorme porcelaine sur le bureau en face d'elle. Tête baissée, elle évitait d'essayer de croiser le regard de sa grand-tante, affairée à nettoyer la vitre de l'énorme cabinet de curiosités contre le mur.
" je suis à toi dans cinq minutes " , lui avait-elle lancé avant de se lancer dans sa besogne, fascinée par ces objets qu'elle devait voir tous les jours ; minerais, poissons étranges naturalisés et crânes en tout genre offerts aux yeux de tous. Laissée seule au milieu de la pièce tandis qu'Emmelia s'affairait dans l'ombre, Kate avait eu tout le loisir d'admirer l'incroyable endroit dans laquelle elle se trouvait.
Entièrement ronde, celle ci était surmontée d'une énorme coupole de marbre dont il était impossible de dicerner les ornements dans la pénombre, malgré les larges ouvertures de chaque côté de la pièce. Chacun des meubles imposait par sa taille et la richesse de ses décorations, mais ce qui attirait l'attention n'était autre que l'étroit escalier en colimaçon s'élevant au centre de la pièce, scintillant à la lueur vacillante d'une lampe posée sur une console près des épais rideux de velour rouge.
- Bien, Kate, s'écria Emmelia en fermant la vitrine, me voilà !
D'un pas rapide, elle se pressa jusqu'au bureau, armée de son seau et son chiffon qu'elle posa à ses pied, avant de s'asseoir en face de Kate, la tête posée sur les mains. Ses yeux perçants rivés sur la jeune fille, un sourire plein de malice dessiné sur le visage, elle semblait se rire de l'inconfort de sa nouvelle protégée.
- Tu dois en avoir, des questions ! fit-elle simplement.
Kate déglutit, avant d'esquisser un sourire timide :
- Oui... nous sommes dans une situation... particulière...
- Effectivement, articula lentement Emmelia, jouant distraitement avec une de ses mèches argentées, et bien je pense qu'il serait temps pour moi d'enfin te présenter cet endroit en bonne et due forme !
D'un geste théâtral, elle se leva de son siège, les bras en croix :
- Bienvenue dans l'illustre Polar Hotel ! Forum de savoir, lieux de rendez-vous pour chaque savant désireux d'explorer les mystérieuses terres de l'Arctique, et maison d'accueil pour ceux qui en ont été privés par la vie !
- Maison d'accueil ?
- Tout-à-fait ! Je me suis promis à moi-même d'accueillir quiconque me demanderait du travail ou simplement asile ! N'est-ce pas là ce que nous devrions tâcher de faire, nous qui avons hérité d'une haute naissance et des avantages qui vont avec ?
- C'est une noble attitude... Mais je doute que le reste de Londres ne l'approuve !
- Ces vieux croulants, marmona tante Emmelia, toujours là avec leurs bons mots, leur attitude complaisante ! C'est en partie à cause d'eux que je suis partie commercer aux Afriques ! L'air de Londres ne s'en porterait que mieux si ces vieux débris de décidaient enfin à descendre six pieds sous terre !
- Vous... vous avez un comptoir en Afrique ? répéta Kate surprise.
- Et bien oui ! Et aux Indes aussi ! Que croyais-tu que je faisais, perdue là-bas, après que je sois partie !
- Vous êtes partie !?
- Enfin, jeune fille ! Bien sûr ! Il y a quarante ans ! Mais enfin, ton grand-père t'as bien raconté !
- Et bien...
Le visage d'Emmelia changea peu à peu d'expression tandis que ses yeux s'écarquillaient lentement. Le voile de l'horreur passa subrepticement sur son visage, laissant rapidement place au doute alors qu'elle réalisait difficilement :
- Il ne t'a jamais parlé de moi ?
Elle déglutit peniblement alors que sa nièce lui hochait non de la tête.
Machinalement, elle se passa la main sur le front tandis qu'elle se laissait tomber dans son fauteuil de cuir. Les yeux dans le vide, elle se passa la langue sur les lèvres, un air interloqué sur le visage.
- Tu n'avais vraiment aucune idée qu'il avait une soeur..?
- Je... je suis désolée... ça ne lui ressemble vraiment pas... je... je suis sûre que vous comptiez beaucoup pour lui... je...
- C'est ce que je pensais aussi, la coupa Emmelia, le visage fermé.
La femme prit une longue inspiration. Elle fit glisser sa main dans sa poche et attrapa une longue pipe de bois noir, qu'elle commença à bourrer de tabac.
Ses yeux se posèrerent sur Kate, mortifiée, les yeux rivés sur les genoux. Elle souffla du nez, et esquissa un demi sourire ;
- Lui m'a beaucoup parlé de toi, tu sais..?
Kate releva la tête, surprise :
- Oui ?
Emmelia hocha du chef, avant de se redresser dans son siège.
- Ça fait a peu près deux ans que j'ai repris contact. Nous avons correspondu aussi régulièrement que possible depuis.
Elle posa la pipe pleine sur la table, et commença à tattonner sa veste à la recherche de quoi l'allumer.
- Je dois avouer que j'ai été surprise d'apprendre ton existence ! Agréablement, ça va de sois !
Kate lâcha un soupir las,
- Oui, il semblerait que celà soit le cas en général...
- Tu m'étonnes... Une lady de sang mêlé, ça doit faire jaser !
- Oui... enfin, je... je ne suis pas certaine de la manière dont Grand-Père gérait la situation en public... je... je n'ai jamais... enfin... disons que j'évitais de me l'accompagner trop souvent... pour éviter de faire des vagues...
Emmelia hocha la tête, compréhensive.
- Ainsi, ton père a épousé une négresse, et te voilà.
Kate secoua la tête.
- Ma mère est née de... l'union... entre une esclave et un esclavagiste Néherlandais. Van Zuylen, je crois.
- Ah... Je vois, lâcha Emmelia lentement. Et bien ça a sûrement dû faciliter la situation auprès d'Henry lorsqu'il l'a lui a présenté!
- Je... je ne sais pas, articula Kate lentement.
- Mmmm... C'est déjà incroyable qu'ils se soient connus du moins ! Tu connais en connais les circonstances ?
- Pas vraiment... Van Zuylen était assez influent d'après Grand-Père, ils ont dû se voir à une réception je suppose. Père se rendait régulièrement à Amsterdam déjà avant leur rencontre.
- Ça ferait sens en effet, réfléchit Emmelia, c'est tout de même remarquable que Van Zuylen ait décidé de la prendre sous sa responsabilité.
- Et bien... on m'a dit que le père de Béatrix était un homme... très pieux. C'est pour ça qu'il l'aurait gardée auprès de lui... par culpabilité.
Le visage d'Emmelia s'assombrit tandis qu'une moue pleine de mépris se dessinait sur son visage.
- Très pieux ? Ah ! Ça ne me surprend même pas tiens. Les tordus adorent se parer du masque de la sainteté.
Kate tressaillit à cette évocation qu'elle chassa aussi tôt de son esprit, et s'empressa de changer de sujet :
- Voilà un discours bien étrange pour quelqu'un qui loge des religieux sous son toit !
Emmelia se frotta le front et soupira:
- C'est plus compliqué que ça. Le Vatican m'a demandé de leur donner asile et c'est ce que je fais au nom de la promesse que je me suis faite à moi-même.
Elle s'adossa au fond de son siège et commença à fouiller les tiroirs de son bureau.
- D'ailleurs nous irons les accompagner visiter une tribu inuit dans deux jours. Notre guide reviens demain ! - Mais qu'est-ce que j'ai fait de ce foutu briquet !? grommela Emmelia.
La pendule sonna 10 heures, les coups réguliers de son balanciers faisant trembler le verre des vitrines.
- Mon Dieu, il est déjà cette heure-là ? Dépèche-toi d'aller te coucher, sinon tu ne seras qu'une loque demain !
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