Châtaignes (Writober jour 01)
Elles crépitent enfin. Il est temps. D'un geste ample non dénué d'une certaine tendresse, elle les mélange, les remue et les remet bien en place pour qu'elles deviennent cette gourmandise qu'elle adore du bout de son coeur. Il fait nuit, maintenant, au beau milieu de ce marché de Noël. Le vent se lève tout doucement, et elle resserre son châle autour de ses épaules un peu voûtées à force de travail en extérieur. La chaleur du poêlon la réconforte et, les yeux levés vers le ciel bientôt étoilé, elle admire les volutes de fumée qui remontent et semblent danser, légères et vaporeuses. Sa longue natte brune nouée sur le côté lui donne un air bohème. Et sauvage, aussi. Et impérieux. Quelques passants commencent à s'approcher d'elle pour lui acheter des marrons chauds. Alors, un autre sourire illumine son visage. Un sourire de femme nourricière, de protectrice, de maman aspirante, de maman accomplie, de soeur, de tante, d'amie. Surtout si des enfants s'adressent à elle.
Tiens, justement, un petit garçon la regarde et semble lui parler. Emmitouflé dans un manteau épais, des boucles rousses dépassent d'un bonnet multicolore lui couvrant les oreilles. Elle se penche vers lui pour échanger quelques mots, puis il tend sa main cachée dans une moufle pour lui donner une pièce. Cette dernière prend alors la dimension d'un trésor oublié en passant de l'un à l'autre. La marchande se redresse, met en forme un cornet et entreprend de le remplir avec le meilleur de ce qu'elle possède. Alors, sous les yeux clairs de ce petit spectateur qui ne rate pas une miette de cet instant, cette inconnue se transforme en magicienne dont les mains racontent une histoire. Une histoire de traditions familiales, de générations entremêlées, de voix assourdies, de sentiments secrets, de souvenirs joyeux, d'entraide valeureuse, de linge séchant au soleil, de larmes cachées, de coeur réconforté, d'espoirs déçus, de noces joyeuses, de simplicité dans un sourire, de rides creusées pour chaque chute, de premiers pas hésitants, de doigts légèrement brûlés, d'effluves de vin chaud, de pantalons raccomodés avec les moyens du bord...etc...
Le cornet rempli de ce qui ressemble maintenant à la plus garguantuesque des surprises passe ensuite avec force précaution de cette conteuse du soir à cet enfant qui prend sa responsabilité très au sérieux dans des gestes lents et calculés, enprunts d'une précaution à toute épreuve. La gourmandise la plus simple n'a pas de prix et demande une préparation optimale et précieuse. Après un "merci" sonore et clair, le garçonnet rejoins ses parents au carrousel dans lequel son petit frère semble s'amuser follement. Assis sur une marche, il garde le cornet brûlant contre lui et commence à grignoter ces douceurs. Les bruits des la foules, les odeurs de surcreries et de cuisine s'estompent doucement dans ce moment de grâce.
Du coin des yeux, la marchande, attendrie, le regarde découvrir son histoire, se l'appropier et écrire la sienne...
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