Le voleur du domaine interdit (1555)
Frandre était un homme solitaire. Armé uniquement d’un poignard, cela faisait maintenant plusieurs années qu’il vivait dans la forêt du domaine interdit.
Il n’avait jamais eu peur de la citadelle ou de ses gardes et connaissait à présent le bois mieux que personne. De temps à autre, il revenait vers l’ouest et observait Albar, depuis l’orée du bois.
Le jeune homme se sentait à présent vraiment étranger de cette ville et de ses habitants, de ce qu’il pouvait se passer dans le monde civilisé. Il n'avait plus la moindre envie de prendre part à ces conflits qui ne faisaient que diviser les habitants de cette grande ville.
Ce soir-là, il n’était pas retourné à son repaire à l’heure habituelle. Il avait poursuivi son chemin plus loin vers l’est, attiré par une étrange lueur. En s’approchant, il en aperçut l’origine : un feu de camp. La dernière fois qu’il avait vu un homme d’aussi près remontait à plusieurs semaines. Entraîné par la curiosité, il se glissa tout près du campement. Il n'y avait que deux personnes. Un de ces soldats de la citadelle en armure rouge et une jeune femme, attachée et bâillonnée.
Avec soulagement Frandre constata que tous deux dormaient d’un profond sommeil.
En les observant, le jeune homme devina la situation. La pauvre femme devait venir d’un des petits villages des grandes plaines à l’est et s’était aventurée trop loin dans le domaine interdit, là où le garde avait dû la trouver et l’arrêter.
Le jeune homme ne s’attarda pas sur ces pensées. Il avait terriblement faim et une douce odeur de nourriture flottait encore dans l’air. Son regard s’arrêta sur les besaces du soldat.
Tout doucement, il s’arma de son poignard et s’avança dans la petite clairière en retenant son souffle. Le jeune homme était à présent à mi-distance des sacs et comprit qu’il était maintenant trop tard pour changer d’avis. Un frisson nerveux le parcourut. La jeune femme venait de remuer dans son sommeil. Frandre se reconcentra sur sa cible.
Sa main caressa furtivement les tissus des sacs pour tenter d'en trouver l’ouverture. En tirant légèrement sur le cuir, l’une des besaces glissa à même le sol dans un bruit métallique.
La phase d’observation ne dura qu’une fraction de seconde. Le soldat se jeta sur le jeune homme et tous deux roulèrent à terre, entraînés par leur lutte. Frandre savait se battre et son adversaire n’avait pas dégainé son arme. Dans la lutte, il se retrouva sur le dos du soldat et voulu l’immobiliser, pointant sa lame sur sa gorge.
La peur envahit le jeune homme, le garde continuait de se débattre, refusant de capituler. Si il était un voleur, Frandre n’avait aucune envie de devenir un meurtrier. Il ordonna à l’homme de s’arrêter, mais celui-ci ne semblait pas l’entendre, son visage violacé, défiguré par la rage.
Frandre ne vit pas le violent coup de coude arriver. Il lâcha sa victime qui dégaina son épée. L’homme le surplombant à présent de toute sa hauteur le dévisagea un instant avec mépris. Effectuant un grand mouvement circulaire avec son arme, le soldat s’apprêta à l'achever mais Frandre fut plus rapide. Il se redressa et son poignard transperça l’homme.
Horrifié par son geste, le jeune voleur fixa le corps qui venait de s’écraser dans un bruit sourd. Meurtrier, fit une sombre voix dans sa tête. Voilà ce qu’il était devenu.
Son regard croisa celui de la jeune femme qu’il avait totalement oubliée. Il percevait dans ses yeux la terreur qui l’habitait.
Elle est face à un monstre, pensa Frandre avec horreur.
Il s’approcha d’elle et tendit sa main, comme pour la rassurer. Aussitôt la pauvre femme se jeta à terre et rampa, essayant désespérément de prendre la fuite.
Elle doit mourir, reprit la terrible voix. Il comprit qu'il ne pouvait pas la laisser partir ou tout serai fini pour lui. Quelqu'un saurait tôt ou tard ce qu'il avait fait. La peur l’envahit à son tour, ses mains tremblèrent. Impuissante, la jeune femme se tortillait à ses pieds. Il devait agir, rapidement.
Approchant son arme, il la plaqua contre le sol, cherchant à l’immobiliser. Sa lame effleura la peau de la jeune femme en larme.
— Je suis désolé, murmura le voleur dans un souffle.
La corde et les nœuds qui retenaient les poignets de la prisonnière glissèrent sur le sol. Frandre l’avait libérée.
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