Dérèglements
I.
A 10 heures, le café siffla. Je ne parvenais toujours pas à croire les journalistes qui prétendaient que l’hiver en Suisse avait débuté en novembre. Décembre recouvrait encore le bitume de feuilles mortes. Les J.O. auraient lieu dans moins de cinq ans, et ces rumeurs se dissiperaient avec. Une vague d’angoisse me prit tout de même : j’entrai sur Google mon nom. 35 900 résultats apparurent, sans que je pusse les attribuer à des homonymes. De quoi voir venir les prochains dérèglements.
Le souvenir de la nuit passée me confortait en ce sens. Comme toujours, je m’étais réveillée vers deux heures du matin. Un type avait alors essayé de forcer la porte d’à côté. Après un moment, aidé de trois bonhommes, il avait allumé une scie électrique, et s’était attelé à la découper. Il semblait procéder avec méthode, dessinant avec l’engin une spirale dans le bois contreplaqué, avant probablement de passer sa main dans la cavité pour actionner la molette dans le sens inverse de la montre et déverrouiller de la sorte la porte de l’intérieur. Le groupe avait prononcé des phrases incompréhensibles, puis le tumulte avait cessé.
Dans l’intervalle, j’avais effacé d’un geste mon blog sur les cataclysmes contemporains, tout en remarquant qu’un éditeur m’avait écrit au sujet d’une de mes nouvelles. Aussitôt, dans la nuit noire, le sommeil m’avait enveloppée, m’indisposant à l’égard du catastrophisme.
II.
Dans 10 ans, il y aurait 10 millions d’habitants en Suisse. Tous leurs enfants iraient à l’université afin d’étudier la psychologie, la sociologie ou la politologie. Ils pourraient alors expliquer pourquoi 10 millions d’habitants, c’était peut-être trop pour ce territoire exigu. C’était ce que racontait une voix enjouée, ce matin, à la radio. A cela était répliqué en un français délicat que dans 10 ans 10 millions d’habitants habiteraient la Suisse, et que ce serait peut-être trop. Les scintillements de mon écran d’ordinateur me détournaient du débat. Mon compte twitter regorgeait de « likes ». J’avais insulté un vieil académicien.
III.
Victime de lui-même, le monde hurlait. La gauche manifestait contre le génocide palestinien en appelant à la destruction d’Israël. La droite luttait en faveur de ristournes fiscales pour l’emploi de femmes de ménage. Les prêtres catholiques accumulaient les délits sexuels. Je lisais Bret Easton Ellis, regardais du sport à la télévision, écrivais quelques nouvelles.
Le commentaire du vieil académicien sur mon article reparut à l’écran. Les plaintes ne cachaient pas le désarroi dans lequel mon texte l’avait plongé. Il paraissait désarçonné, sincèrement, comme un enfant. Je venais d’humilier un handicapé social.
Le soir, ma chatte humide miaulait de satisfaction, quand Emily Willis, toute suintante d’huile, se faisait enculer. A voir son enthousiasme débordant, on avait vraiment envie de l’encourager. J’explosai en riant : à quoi pouvait s’occuper ma voisine tout le temps ?
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