Août 1855
La religieuse souriait, toute à sa joie juvénile, malgré l'austérité de sa cornette.
" Et la reine d'Angleterre est si jolie ! Une merveilleuse reine ! Si majestueuse ! Mais notre Empereur n'est pas en reste ! Ils forment un si joli couple tous les deux !"
Là, enfin, la religieuse se rendit compte de ce qu'elle disait.
" Non, non. Voyons ! Non. Notre Empereur est un homme si bon et la Reine est si convenable."
Un rire trop jeune pour la robe de bure retentit et Soeur Alexandrine reprit son bavardage incessant.
A casser les oreilles.
" Mais vous devriez sortir de votre chambre, monsieur Rambert. Vous n'êtes pas cloîtré ! Vous pourriez les voir encore. Ils passent par les Jardins dans leur jolie voiture chaque jour.
- Comment le savez-vous, ma soeur ?"
Il se sentait un peu cruel d'ennuyer ainsi la jeune femme mais il en avait assez pour ce jour.
" Je... La soeur portière m'a laissée sortir. Je devais aller visiter une dame malade dans le quartier de Saint-Jacques."
Bien, bien loin des parcs et des jardins de Paris.
Mais le vieil homme eut un geste bienveillant.
Il ne releva pas.
" Alors vous les avez vus ? Dans leur jolie voiture ?
- Oui, et figurez-vous que..."
Il supporta cela encore une heure.
Puis la soeur prieure vint frapper brutalement à la porte de la cellule de M. Rambert et faire fuir la jeune religieuse.
" Soeur Alexandrine ! On vous attend !"
Le rouge au front et les manières brusques, la religieuse disparut.
" Ne sois pas trop dure avec elle, fit le vieil homme. Je te l'ai dit, elle est trop jeune pour le voile.
- Elle n'est pas trop jeune ! Elle a du mal à se concentrer sur ses tâches, voilà tout !"
François Rambert sourit pour la première fois de la journée en contemplant la moniale debout devant son lit.
" Que me vaut le plaisir de ta visite, Emilie ?
- Soeur Clémence !, le corrigea-t-elle aussitôt.
- Oui, oui."
Mais les deux êtres, aussi âgés l'un que l'autre, se regardèrent et eurent le même rire.
" Je me fais du souci pour toi, François, avoua la femme.
- Dieu soit remercié ! Toi ? Te faire du souci pour moi ?"
La religieuse s'assit sur la couche, trop dure, de son ami et son front s'assombrit.
" Oui, je me fais du souci ! Tes repas reviennent entiers et tu ne dors pas bien.
- Je n'ai jamais bien dormi. Tu le sais !
- Oui, mais tu ne pleurais pas avant."
Là, le vieillard n'eut rien à opposer.
La religieuse tendit sa main abîmée par les travaux domestiques et saisit celle du vieillard.
" Tu es sûr de ne pas vouloir parler au Père André ? Il est compréhensif.
- Je refuse de parler à un prêtre. Tu le sais bien !
- Mon Dieu ! Si la Mère Supérieure t'entendait, tu serais chassé d'ici, François."
Les doigts, ridés, de l'homme caressaient tendrement ceux de la femme voilée.
" Je te remercie de prendre soin de moi, Emilie.
- Alors dis-moi !"
Le vieillard soupira.
" Une Reine d'Angleterre ici ? Et un Empereur de France qui accepte les compromis ?"
Soeur Clémence sourit tristement.
" Tu es si intransigeant, François. Il n'est pas Lui et tu le sais.
- Oui, oui. Mais tout de même !
- Il n'est pas Lui et Victoria n'a même pas connu la Guerre.
- Dieu en soit remercié !"
Elle rit en cachant ses dents gâtées. Par un dernier geste de coquetterie.
" C'est la deuxième fois que tu invoques Dieu, François. Je m'inquiète.
- Peut-être suis-je trop vieux aujourd'hui..."
Le vieil homme se laissa retomber sur sa couche et la soeur prieure fronça les sourcils.
" Je vais interdire ta porte à cette idiote de Soeur Alexandrine. Elle te fait du mal à parler ainsi de la politique.
- Non, non. S'il te plaît. Laisse-la venir !
- Mais si cela te fait du mal ?!
- Elle me permet d'oublier un instant."
Le vieil homme ferma les yeux et se laissa dériver vers le sommeil.
" Oublier quoi ?, souffla la religieuse, alarmée maintenant.
- Ce que j'étais."
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