Février 1807 : Eylau

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Napoléon avait défilé à Berlin. Ses soldats, ses canons, ses généraux, ses sourires supérieurs.

Napoléon défilait à Berlin et c'était la France qui se croyait le maître du monde.

Je le croyais, moi !

Un soldat français tenant une jolie Prussienne dans mes bras.

Les maîtres du monde !

Le peuple allemand regardait défiler les Français et malheur à celui qui oubliait de se décoiffer au passage de la Grande Armée !

LA GRANDE ARMEE !

LES MAÎTRES DU MONDE !

Malheur à moi. J'y croyais !

Et ce n'était qu'un écran de fumée !

Les Russes nous prirent à revers, les Russes trahirent leur parole, arrachée lors de traités de paix trop favorables à la France.

L'étaient-ils ?

Je n'en savais foutrement rien. Parole de politique !

Je ne parlais que la langue de la soldatesque !

Le fait était que je retrouvais les tentes de l'infirmerie et le regard sombre de Dominique-Jean Larrey.

Les scies, les bâtons, les instruments de médecin devenant des instruments de supplice.

" Les Russes ?, fit le baron d'Empire Larrey, sans surprise. Demain, ce sera les Anglais, puis le surlendemain, les Prussiens, et ensuite, les Espagnols et ce sera toute l'Europe contre nous !

- Vous croyez ?, demandais-je, abasourdi d'entendre de telles paroles défaitistes. Nous serons vainqueurs !"

Larrey secoua la tête et me demanda de chercher de l'eau pour soigner les blessés. Amputer et scier. Briser les courages et tuer les douleurs. Et entasser les membres dans les seaux destinés aux fosses communes.

Prêtes à être remplies.

L'intendance se tenait bien.

" Nous serons vainqueurs aujourd'hui, assura Larrey. Mais je ne suis pas aussi sûr de demain."

Larrey rit en se préparant sa première pipe.

Iéna et Auerstaedt étaient de si jolies victoires françaises. On avait écrasé les Prussiens, mais pas leur allié russe. Les Russes étaient arrivés de la lointaine Pologne, avec 140 000 hommes prêts à en découdre avec la sale engeance de Français.

Les généraux russes Bennigsen et Buxhovden, envoyés par le Tsar Alexandre Ier étaient de grands officiers. Il fallait vaincre au nom de la Sainte Russie !

Nous, nous combattions pour Notre Empereur !

La bataille d'Eylau a eu lieu le 8 février 1807 dans le nord de la Prusse, que nous venions de vaincre avec brio. Nous avions le sentiment de recommencer une bataille.

Moi, j'ai eu le sentiment de découvrir une bataille !

Dès sept heures, l'artillerie russe nous pilonna. Les nôtres répondirent. Deux heures de canonnade, personne ne dormit ni ne mangea. Ce fut une journée de bruit et de fumée.

Je n'ai pas oublié l'odeur !

La fumée des canons qui rendait le terrain brumeux et les silhouettes fantomatiques.

Davout, Soult, Augereau, Desjardins, Augereau, Heudelet...

L'Empereur jouait aux échecs contre Buxhovden et faisait entrer dans la bataille ses régiments et ses généraux.

VIVE DAVOUT ! VIVE MURAT !

MALHEUR ! DESJARDINS EST TUE ! HEUDELET EST BLESSE !

La neige tomba sur le champ de bataille, les chevaux et les hommes glissaient dans la boue et la gadoue. Une grêle de mitrailles et de boulets décimaient les troupes.

Les messagers et les blessés me rapportaient des choses fabuleuses !

La division du général Heudelet perdit près de 900 hommes en quelques minutes, tués net sous la mitraille russe.

Le 14e régiment d'infanterie, meurtri, encerclé, tint bon puis fut décimé sous les yeux mêmes de Napoléon. Ils furent massacrés alors que l'Aigle demandait assistance !

L'Aigle fut ramenée seule à l'Empereur avec ces mots : " Je ne vois aucun moyen de sauver le régiment. Retournez vers l'Empereur, faites-lui les adieux du 14ème de ligne qui a fidèlement exécuté ses ordres, et portez-lui l'aigle qu'il nous avait donnée et que nous ne pouvons plus défendre, il serait trop pénible en mourant de la voir tomber aux mains des ennemis ».

Il ne resta que l'enseigne de ce régiment valeureux.

Je l'ai vu !

J'ai vu le chapeau transpercé par un boulet du messager qui la ramena à l'Empereur !

J'ai vu la brume et la fumée, la neige et le sang !

J'ai vu les soldats tombés et la neige devenait noire.

J'ai vu mes blessés me supplier de les rendre d'aplomb pour qu'ils puissent reprendre le combat.

J'ai vu...la guerre...

Ce que je ne savais pas, c'était qu'elle ne montrait qu'une partie de son visage...

J'étais loin de la connaître.

" L'EMPEREUR FAIT DONNER LA GARDE !"

Ces mots, je m'en souviens encore.

Ce fut hurlé, crié, mugit sur le champ de bataille !

LA GARDE ?

Mais...mais...nous perdions ?

Larrey devint blême et me regarda :

" Merde !"

L'Empereur était cerné dans le cimetière d'Eylau. Le village était brisé, par les combats, par les bombardements, par les mitrailles. Il neigeait.

L'Empereur était là, debout, sur son cheval et il leva la main vers sa Garde, il ne recula pas devant la contre-attaque générale menée par l'armée russe.

Les cavaliers russes, sabres au clair, chargeaient l'Empereur de France.

Et Napoléon leva sa main...et la Vieille Garde s'élança, baïonnette au canon.

Il neigeait et les tombes environnaient les deux armées en contact.

Murat chargea à la tête de ses cavaliers !

"Nous laisseras-tu dévorer par ces gens-là ?," lui avait simplement demandé son Empereur, de son fort accent corse.

QUE NON PAS !

12000 hommes chargèrent, sabre au clair.

Un corps à corps à l'arme blanche dans le cimetière d'Eylau, sous la neige et la mitraille. Le cheval de Napoléon caracolait et Napoléon attendait, patiemment.

Que sa Garde le sauve !

ET PAR DIEU, ELLE LE FIT !

Les grenadiers de Dorsenne, les chasseurs à cheval du général Dahlmann rejoignirent les cavaliers de Murat. On fut héroïque et on repoussa la charge russe.

VICTOIRE A LA FRANCE !

Car dès cet instant, malgré les quelques combats dispersés sur le champ de bataille, la victoire était à la France. Parce que l'Empereur paraissait invincible.

Droit et fier, sur son cheval blanc.

Avec ses soldats prêts à mourir pour lui.

Ney lutta, Davout lutta, Murat lutta...et le combat dura toute l'après-midi.

A la nuit tombée, les troupes russes se replièrent vers Königsberg.

LA FRANCE AVAIT GAGNE !

Et pourtant...nul n'avait le coeur à en rire.

Je vis la guerre et je vis les morts.

10 000 tués ou blessés...

Ney le dit et ce fut répété : « Quel massacre ! Et tout cela pour rien ! ».

Des généraux étaient morts ou perdus, Augereau, Desjardin, Dahlmann, Binot, Varé, Bonnet d'Honnières.

L'aide de camp de Napoléon mourut aussi.

Et je vis aussi la tristesse de l'Empereur. Il resta huit jours sur le champ de bataille à superviser les secours aux blessés. Je le vis lutter contre les larmes, LUI, l'Empereur.

Découvrait-il aussi la guerre ? Non, non.

« Cette boucherie passerait l'envie à tous les princes de la terre de faire la guerre. »

Juste les réalités des parties d'échecs.

Ce ne fut pas une bataille décisive sur les Russes.

La guerre n'était pas finie, Larrey avait raison.

Ce que je retins moi, ce furent les cris de douleur et les heures de souffrance du général de division Jean Joseph Ange d'Hautpoul. Une cuisse brisée et Dominique-Jean Larrey, chirurgien officiel de l'Armée voulait l'amputer.

Le général refusa avec colère l’amputation, il mourut le 14 février.

Et ses cris restèrent dans mes cauchemars...

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