Chapitre 9
Nous sommes enfin arrivés. Deux heures de route et un dinner plus tard, nous sommes arrivés devant la maison de Liam. Pour finir nos vingt-quatre heures. Sa maison semble grande, spacieuse et très moderne. Quand il ouvre la porte, je rentre dans un hall d'entrée impressionnant. Tous les murs sont recouverts d'une couleur grise confortable, les meubles sont laqués et la décoration est choisie avec goût. Au premier abord, la maison est jolie mais n'a rien de réconfortant, mais plus je l'observe et plus je comprends qu'au-delà de la modernité froide des lieux se trouve une véritable âme. Je n'ai pas la même chose chez moi et ça me provoque un pincement au cœur de savoir que je n'expérimenterais jamais cette sensation quand on rentre chez moi, dans son cocon, quand on a eu une rude journée. Mon chez-moi n'a jamais été un endroit où je me suis sentie parfaitement à l'aise, j'avais toujours l'impression qu'il me manque quelque chose. Probablement l'amour des miens. Liam m'entraîne vers un escalier pour, sans nul doute, aller dans sa chambre. Mais, avant même d'ouvrir la porte, je peux entendre des sanglots dans la pièce. Liam aussi, semble les avoir entendus puisqu'il m'indique que ce doit être sa petite sœur. Il appuie alors sur la poignée et s'avance. Je le suis.
— Eh, ma puce. Pourquoi tu pleures ? il lui demande tendrement.
— J'ai cru que toi aussi tu étais parti, comme papa, lui répond l'enfant entre deux sanglots.
— Jamais, Hanna, je te le promets. Je suis juste rentré tard. Regarde, j'étais avec Emma, la rassure Liam tout en me désignant.
— Salut, me dit Hanna.
Elle m'adresse un sourire qui égaye son visage trempé de larmes. Gênée, je lui adresse à mon tour un salut accompagné d'un sourire. Puis je m'avance vers eux. À pas de loup, parce que j'ai peur de déranger, je n'ai pas envie d'être de trop dans cette scène entre frère et sœur. Je ne sais pas comment je suis censée me comporter ni quel rôle je dois adopter alors je décide de rester loin et étrangère. Hanna me regarde longuement, tentant très certainement de comprendre qui je suis et ce que je fais ici, chez elle et avec son frère puis elle se lève. Liam lui a demandé d'aller se coucher puisqu'il est tard. Avant de sortir de la chambre, me laissant au milieu de la pièce, il m'indique son lit d'un geste vague — comme si j'avais pu le louper — et me dit de faire comme chez moi en l'attendant. Je balaie la pièce des yeux, effleurant du bout des doigts les différents objets que j'ai face à moi : des livres en tout genre, des cadres aux photos anciennes, des trophées et des médailles qu'il doit collectionner depuis son plus jeune âge.
Vingt-trois heures. Quinze heures. Il ne reste plus que neuf heures de jeu. Neuf heures à passer avec Liam. Neuf heures pour que l'un de nous fasse succomber l'autre. Ensuite, je me retrouverai seule. Je serai seule, entourée de Maya, Louis, Ashley, Austin et Aiden. Mais il n'y aura plus Liam. Liam ne sera plus jamais là. Puisque quoiqu'il arrive, un de nous aura perdu. Perdue dans mes pensées, je n'avais pas encore remarqué la présence de Liam dans mon dos, du moins jusqu'à ce qu'il passe un bras sur mes hanches et m'embrasse dans le cou. À quoi il joue ? Au sien, idiote. Te faire tomber amoureuse de lui. Te faire oublier celui que tu as toujours aimé. Prendre sa place. Ce jeu malsain qu'il a inventé. Celui dans lequel il t'a entraîné. Et celui que tu apprécies, malgré toi, parce que tu ressens quelque chose que tu ne ressentais plus.
Mal à l'aise, j'esquisse un sourire — qui ressemble davantage à une grimace — avant de me glisser sous les draps.
— Tu veux un tee-shirt ? Tu ne vas pas dormir toute habillée, me propose-t-il.
— Non, ça va, merci.
Il m'envoie un sourire moqueur puis rejoins ses grandes armoires. Il fouille quelques secondes dans ses affaires et en ressort un bout de tissu violet puis revient vers moi. Il me lance le haut que je réceptionne tardivement, puis je le remercie timidement. Il se retourne pour me laisser le temps de me déshabillée et revêtir le maillot. Je lui signifie quand j'ai fini pour qu'il puisse revenir. Liam me jette un dernier coup d’œil puis retire son tee-shirt, pour la deuxième fois en moins de six heures. Il laisse à découvert, devant mes yeux, ses muscles saillants. Ses abdos se dessinent d'autant plus à chaque seconde passée à les observer. Je détourne le regard comme il vient de le faire tandis qu'il passe son corps juste au-dessus du mien, coupant mon souffle, faisant battre mon cœur et je crains qu'il ne l'entende. Il éteint finalement la lumière. Je sens une tension palpable dans la pièce et je sais d’ores et déjà que cette nuit sera longue et décisive. À notre réveil, les vingt-quatre heures seront sur le point de s'écouler : nous retournerons à nos vies.
— Pourquoi est-ce que tu dis que ton jeu dure vingt-quatre heures si on passe le tiers de ce temps à dormir ?
— D'habitude je ne dors pas. Ou alors je sais déjà que j'ai gagné.
— Tu n'as pas gagné.
— Je sais, mais je sais aussi que ces dernières heures ne changeront rien à l'issue du jeu.
— Bonne nuit, Liam.
— Bonne nuit, Emma.
Depuis une heure, la respiration de Liam est régulière. Elle soulève sa poitrine, la faisant se coller à mon dos et me donnant des frissons à son contact. Je n'arrive pas à trouver le sommeil, je repasse sans cesse tout ce qui est arrivé aujourd'hui avec un sourire idiot sur le visage et ça me fait culpabiliser. La Lune scintille et éclaire l'intérieur de la pièce. Je peux voir mon reflet dans le grand miroir posé juste en face de moi. Je me retourne pour pouvoir observer Liam. Son visage est complètement détendu. Je passe la pulpe de mon index sur le haut de pommette. Il a une cicatrice à cet endroit, je me demande comment est-ce qu'il a pu se faire ça. Sans doute à la boxe. Et pourquoi est-ce qu'il a pensé ce jeu idiot ? Je ne le connais pas sur le bout des doigts, mais je suis certaine qu'il n'a pas besoin de ça pour se sentir aimé. Au lycée, toutes les filles lui courent après. Il est drôle, intelligent et même malin, il est charmant et cette seule caractéristique suffit pour la moitié des filles. Alors pourquoi ? Je voudrais être dans sa tête pour savoir de quoi il rêve.
Je décide de quitter la pièce, pour prendre l'air. Sans trop savoir comment, mon esprit me rappelle que la chambre de Liam a un balcon. J'ouvre la baie vitrée et me rends sur le sol frais. Pour une nuit d'avril à Portland, l'air est agréable, il y a une légère brise mais elle rend l'air plus respirable. Je referme derrière moi la fenêtre, laissant tout de même de quoi me permettre de la rouvrir pour y rentrer. Assise en tailleur, je veux sentir le vide en dessous de moi, je laisse une jambe se glisser entre 2 barreaux et je replie l'autre contre mon corps. Puis je sors mon téléphone de ma poche, y branche mes écouteurs et lance Spotify avec ma chanson préférée. À mes côtés, Liam me rejoint. Je le sais, je le sens. Je n'ai même pas besoin de le voir pour le savoir, il sourit, une main dans les cheveux et réfléchit aux mots qu'il va prononcer. De toute sa tendresse, il saisit mon visage et le tourne vers lui. Je suis persuadée qu'il peut l'incompréhension sur mes traits.
— Il y a eu Mary, Eva, Alexa, Britney, Marina, les deux Nancy, il baisse la tête, inspire et recommence, Emily, Madison, Hailey, Ivy, Cassandra, Chloe, Eli, Jessica, Leah, Melissa, Angelina, Leslie, Sierra, Vanessa, Rebecca, Ariana, Alyssa, Julia, Shelby, Erin, Paige, Riley, Sidney, Peyton, Allison, Alexie, Kayla, Kylie, Amanda, Zoe, Mia, Yasmine, Lou, Victoria, Andy, Charly, Romy, Amanda, Brooke, Chris et Ashley.
— Ashley ?
— Oui, enfin non. Pas Ashley ton amie. Ashley, une seconde année.
— Oh… et, du coup, tu as joué avec ces quarante-neuf filles ? Tout ça devient tellement plus… réel.
— Je n'ai pas cité quarante-neuf prénoms. J'en ai gardé un pour moi. Si je te le révèle, tu auras gagné. Tu auras tout gagné.
— Pourquoi ce dernier prénom est-il si précieux ? T'as perdu contre elle ?
— Non. Je n'ai jamais perdu. Même si je dois bien avouer que cette joueuse me fait beaucoup penser à toi. Elle aussi, elle était méfiante, cinglante et elle voyait bien que je ne faisais pas d’elle quelqu’un de spéciale. Pour moi, elle ne l’était pas. Je n’ai pas perdu contre elle, mais je veux juste avoir mes dernières heures avec toi. Qu’importe si l’un de nous gagne.
Et sans un dernier regard, sans un dernier mot, il se lève, retournant dans son lit. Me laissant à nouveau seule, comme un aperçu de ce que sera ma vie sans lui par la suite, dans quelques heures seulement. La température semble avoir chuté mais je reste encore quelques secondes, seule, dans le froid de Portland, sur le balcon d'un gars au jeu pervers avant d'aller me rallonger aux côtés de ce même garçon.
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Ma vie qui n’avait jamais été vraiment remplie d’amour, à part de celui de mes amis, se retrouvait tout à coup submergée d'une vague de sentiments par celui que j'aimais.
Quand je n'étais encore qu'un bébé de quelques mois, mon père est parti, nous laissant seules, ma mère et moi. Elle a toujours essayé de faire au mieux, m’offrir tout ce dont j’avais besoin sans jamais comprendre que sa présence était la seule chose que je désirais réellement. Quand j'avais enfin réussi à lui avouer, à l’âge de treize ans, ce que je désirais vraiment, elle m’a regardé avec des larmes pleins les yeux et m’a avoué ne jamais pouvoir m’offrir ça, puisque je lui rappelais trop mon père pour pouvoir seulement me regarder dans les yeux, pour pouvoir seulement m'aimer assez. Depuis ce jour, notre relation a définitivement basculé. Je ne ressentais plus le besoin d’avoir ma mère près de moi et elle essayait de se faire pardonner les propos qu’elle m’avait assénés. Alors pendant des années, j’ai donné tout l’amour que j’aurais dû donner à mes parents à ma nouvelle famille : Maya, Louis, Ashley, Austin et Aiden. Et une fois que Noah est entré dans ma vie une nouvelle fois, je l’ai intégré à cette famille et lui m’a intégré à la sienne. Sa mère me considérait comme sa fille et ses cousins me voyaient comme partie intégrante de leurs vies.
À cette période, ma mère travaillait beaucoup et ça lui arrivait de me laisser seule certains jours, parfois plusieurs d’affilés, avec de l’argent pour pouvoir subvenir à mes besoins. Alors ces jours-là, je me rendais chez Noah et il me faisait oublier mon mal-être et ma solitude. Quand il a eu son permis, un an avant moi, nous avons instauré ce rituel : chaque week-end, nous nous rendions à cette cascade pas très loin de la ville. C’était apaisant.
En fait, Noah, c’était ma bouffée d’air frais. Le pilier sur qui on peut compter et sur lequel on peut se reposer. Il a toujours été là pour moi et a comblé ma vie de bonheur.
Jusqu’à ce qu’il ne soit plus là.
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