505
—Allô ?
—Oui ?
—505 ?
—Oui oui c’est bien ça !
Un moment de silence. D’obscurité. Des yeux se rencontrent ailleurs. On pourra les entendre se frôler avant d'éviter le regard l'un de l'autre.
—Sept heures d’avion ?
—Non, quarante-cinq minutes de voiture.
Elle balbutie quelque chose et puis :
—C’est quoi le problème ?
Je passe une main sur ma nuque et la froideur de ma peau me donne des frissons.
—Je crois que je suis amoureuse.
Elle est en train de taper machinalement sur des boutons. J’ai cru qu’elle va raccrocher.
— Attends une minute monsieur…
—Madame… Je .. suis une femme.
Elle soupire et hoche la tête peut être.
—Les ingénieurs ces jours-là…
Elle appelle quelqu’un qui appelle quelqu’un d’autre. Et puis des voix stridentes s’entremêlent.
—Allô ?
—Oui oui, on est en train de discuter.
Discuter ? Je croyais que c’est un cas fréquent …
—Non, ce n’est pas un cas fréquent. Vous êtes le premier..
—La première ?
—.. à sentir ça. On n’a pas été préparé.
Je ris presque. Presque.
—Tu nous diras ce que tu ressens ?
—Je ne peux pas. C’est … ma gorge. Je ne peux pas parler quand c’est de lui que je dois parler.
La personne sur la ligne hurle pour quelqu’un de lui tendre le carnet.
Quel carnet ?
Dieu, on va me renvoyer…
—Respiration ?
—Rythme un peu accéléré. Parfois même j’ai l’impression d’oublier comment respirer l'air.
Un hochement de tête.
—L’estomac ?
—Terriblement mal parfois mais en général rien d’anormal.
Un autre hochement de tête.
—Le cœur ?
Je plie les paupières et je tape sans cesse sur mon genou.
—Un peu … fatigué ? Je ne sais pas.
Je porte ma main à mes côtes, puis je cherche. Je cherche à sentir quelque chose.
C’est bizarre comme je fais ceci fréquemment ces derniers jours. J’ai l’impression d’avoir oublier mon cœur quelque part…
Non pas quelque part mais chez quelqu’un.
—Madame. Ceci ne convient à aucun des cas prescrits chez nous. Malheureusement, je ne peux pas vous aider.
J’ai besoin de l’air. De l’air frais.
—Encore pire..
—Oui ?
Elle murmure quelque chose à son voisin.
—Je ne peux pas vous le dire. Allez, John vous le dira.
Un homme prend le téléphone de sa main. Je sens les minutes couler comme des gouttes de sang d’une plaie que je ne peux pas voir.
—Bonjour madame ! Alors…
—Vous allez me renvoyer ?
—Non non. T’inquiète, mon collègue est un peu mouvementée. C’est parce que … On nous a dit que cela ne sera pas un problème. Que cela n’arrive jamais.
Je m’excuse pour leur avoir créer tout un chaos.
—Non. Comme je t’ai dit, il n’y a pas de problèmes.
Il racle sa gorge.
—Pour nous. Mais pour vous, c’est un peu …plus compliqué. Vous avez des amis ?
Je dis non.
Est-ce que je pourrais le qualifier d’ami ?
Je ne sais pas.
Mais on a parlé beaucoup. Partout. Sur le gazon, sur la terrasse. On a parlé de choses sérieuses mais aussi de blagues insensées. Donc c’est un ami ? Mais est-ce qu’on … peut aimer les amis ? Certains disent que oui. Mais je n’ai jamais aimé personne. C’est bizarre quand même. On n’est pas sensé aimer. On est mis ici pour exister, pas vivre.
—C’est clair ?
—Pardon ?
Il disait quelque chose. D’important.
—Madame Claire, on devra vous effacer la mémoire. Vous réinitialiser.
Je racle encore la gorge.
—D’accord.
—Mais avant…
Quelqu’un crie dans l’arrière-plan.
—Merde. Deux dans le même jour.
Je hallucine. Ou j’ai besoin de sommeil.
Parce que je crois que mon cœur s’est mis à battre férocement.
—Q’est-ce que vous …
—John, un autre appel.
John laisse sa place à son collègue qui me dit, avec une petite voix :
—Tu es amoureuse de qui ?
—D’un humain.
Elle hoche la tête.
—Mais chérie. On vient de recevoir un appel. Ce n’est pas un humain. C’est un humanoïde. Lui aussi, quarante-cinq minutes, il vit dans ta ville et...
Je ris presque. Presque.
—Il est aussi amoureux.
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