Chapitre 2
Le prêtre était vêtu d'une veste à taillades noire par-dessus une chemise rouge, et ses bottes de cuir noir remontaient jusqu'aux genoux au-dessus desquels il avait des hauts de chausses rouge vif. C'était là la mode classique des habitants de Hallbresses. Malgré son statut, il ne dénotait pas par sa tenue ou même sa posture, on le reconnaissait simplement à son visage. Sa face livide avait une peau pâle et poisseuse, presque verdâtre, et son nez plat soulignait un long menton glabre qui allongeait sa tête. Sous un front proéminent entouré de cheveux blonds pâle crasseux, ses yeux gris dont l'iris ressemblait à des miroirs se découpaient entre des paupières épaisses et ridées. Il avait des lèvres bleues pincées, ce qui lui confiait son légendaire air sévère.
Bien que pressé, il faisait la queue dans la file des doléances. Des paysans, des soldats et des chevaliers attendaient leur tour pour rencontrer leur seigneur, le marquis Enguerrant Ardelance. La salle du trône était décorée avec modestie, un trône de simple bois servant de siège au souverain du marquisat. Enguerrant était un homme grisonnant, un peu entre deux âges. Très jeune déjà, ses cheveux avaient viré au gris, et les choses ne s'étaient pas arrangées. À seulement trente cinq ans, le marquis avait un teint pâle et des cheveux presque blancs. Sa barbe mal rasée laissait voir des points blanchâtre sur son menton pâle. La seule chose encore vivante sur son faciès, c'étaient ses yeux bleus intenses qui à eux seuls attisaient la confiance de ceux qui le regardaient. Cet homme n'était pas mort, et il était fort. Assez fort pour défendre son peuple.
Juste à la gauche du marquis, assis dans un petit fauteuil en osier, se trouvait le jeune héritier, Geoffroy Ardelance. Le garçonnet de dix ans observait tout sans piper mot, affichant sur son visage juvénile un air sérieux, à la limite du sinistre.
Le marquis écoutait un marchand, gros homme en habits de velours multicolores et chapeau de feutre qui râlait très fort pour se plaindre de l'état déplorable des routes. Quand l'homme eut fini sa tirade, le marquis lui annonça poliment qu'il installerait une taxe de passage sur toutes les routes qui servirait à financer leur rénovation. Le marchand ravala sa salive et repartit sans plus oser rien dire.
Zelintis avait devant lui un chevalier vêtu d'une tunique pourpre et portant un écu accroché dans le dos. Le soudard mâchait un brin d'herbe, l'air préoccupé par ce qu'il allait annoncer. Derrière le prêtre, un paysan tremblait de tous ses membres. Zelintis ne savait pas si c'était sa présence qui l'effrayait tant. Le clerc se concentra pour essayer de reconnaître le chevalier devant lui à ses armoiries, une hache et un morgenstern rouge se croisant sur fond noir. C'était Hargis Tunmort, un garçon d'une franchise étonnante mais facilement influençable. Le prêtre connaissait les vertus et les vices de toutes ses ouailles et ce Hargis était de ceux qu'on pouvait suspecter de tourner casaque à la première occasion sans même se rendre compte de son erreur. Sachant l'arrivée d'une armée eldarienne, Zelintis se préoccupait au plus haut point de savoir qui serait prêt à le protéger contre les elfes et leurs suppôts.
Quand le chevalier passa devant le marquis, il lui apprit la mort de trois soldats cette semaine. Deux avaient été dévorés par les warzuks durant une patrouille. Un troisième s'était pendu pendant sa veille sur les murailles de la ville. Le marquis parut décontenancé par cette dernière nouvelle mais n'osa pas demander les raisons qui avaient poussé un soldat à se suicider. Les audiences se tenaient à la merci des oreilles indiscrètes et il était de tradition que rien ne soit caché au peuple, or Enguerrant Ardelance ne voulait pas risquer qu'une information démoralisante se répande dans l'armée. Il congédia le chevalier et ce fut au tour du prêtre.
"Salut à vous votre excellence, déclara le marquis avec respect. Quel est le motif de vos doléances ?
- Je ne viens pas me plaindre, non. Je dois vous rapporter une information d'importance."
Il regarda autour de lui avec appréhension. Il n'avait pas le choix, cette information concernait tout le monde.
"Un éclaireur a aperçu une armée eldarienne de plusieurs centaines d'hommes marchant vers Carîsta depuis le nord-est. Ils ont également des éléphants et transportent un étrange artéfact."
Le marquis se gratta la tête.
"Problématique… dit il d'un ton peu convaincant. Pourquoi l'éclaireur n'a-t-il pas pu venir me prévenir ?"
Zelintis se mordit la lèvre. Il aurait été simple de mentir en disant qu'il était mort de blessures infligées par les eldariens. Cela assurerait que le marquis les combattrait. Dans sa situation c'était ce que le prêtre avait de mieux à faire. Pourtant, Zelintis était un homme qui abhorrait le mensonge, alors il dit la vérité.
"J'ai été obligé de tuer l'éclaireur en question, c'est pourquoi je devais venir vous informer moi même."
Enguerrant se frotta la barbe.
"Peut-être devrais-je en référer à mon suzerain."
Il abaissa les yeux vers le prêtre.
"J'enverrais une estafette au duc, mais le message n'arrivera peut-être pas à temps. L'éclaireur vous a-t-il dit à quelle distance de trouvait l'armée ?
- Je n'en sais hélas rien.
- C'est fâcheux." Le marquis eut l'air désolé. "Il va nous falloir préparer des défenses au cas où et espérer qu'ils enverront un négociateur dont les conditions ne seront pas…" son regard croisa celui du prêtre. "Nous chercherons à éviter de combattre d'autres humains, mais pas au prix de lourds sacrifices. S'ils se montrent présomptueux, nous les écraserons. Appelez moi Morgenstern !"
Des valets coururent chercher l'intéressé. Morgenstern était le surnom du plus loyal et du plus fort chevalier de Hallbresses. Haut de plus de deux mètres et toujours brandissant l'arme du même nom, Morgenstern fit irruption aux sons de pas lourds et des cliquetis de son épaisse cuirasse. Il prit place devant le marquis sans dire un mot.
"Morgenstern, tu prendras la tête des gardes aux portes de la cité, et si un messager eldarien arrive, tu le conduis ici. Tu as bien compris ?"
Le guerrier répondit par un grognement affirmatif. Morgenstern ne pouvait plus parler depuis qu'un warzukani avait transpercé sa langue et ses deux joues d'une seule flèche bien placée. Depuis il vouait une haine tenace pour tout ce qui ressemblait à un elfe. Zelintis était rassuré à l'idée que les émissaires eldariens doivent se frotter au colosse. Cela suffirait certainement à réfréner leurs prétentions, dans une certaine mesure.
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