Le soin du pangolin

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An Song pris le pangolin avec délicatesse, le tenant dans ses bras contre sa poitrine, il se dirigea vers l’infirmerie où nombre de thérapeutes se trouvaient aux chevet des humains souffrant. Les conversation allaient bon train.

“Devoir faire une telle ascension dans un tel état” disait un jeune moine en parlant de la femme souffrant d’hématémèses, “c’est proprement scandaleux !”

“Le Mont Hua est sacré, toutes les forces guérissantes s’y concentrent” répondit un moine plus âgé.

“Ne peut on dire au gouverneur de créer un ascenseur ?” dit un moine entre deux âges. “Il y en a un pour les bagages, ne pourrait on pas en ajouter un autre pour les hommes ?”

“Mais… qu’est ce que tu nous amène là, frère An Song ?” dit le plus jeune. “Nous n’avons pas assez des humains, il faut qu’on soigne les animaux, maintenant ?”

D’un geste ferme, An Song posa le pangolin sur la table. Le pauvre animal, n'ayant jamais vu autant de monde rassemblé autour de lui, ne savait plus où donner de la tête et s'agitait nerveusement, comme s'il cherchait à s'échapper. Il aurait certainement glissé et chuté si le plus jeune moine ne l’avait pas rapidement attrapé par les pattes avant, tandis qu'An Song immobilisait son arrière-train avec une égale détermination.

"Allons, calme-toi, petit. Personne ne va te manger ici, nous sommes civilisés," dit An Song d'un ton apaisant, mais résolu.

"De toute façon, les écailles, c’est très indigeste !" plaisanta le jeune moine, déclenchant un rire collectif parmi l'équipe des soigneurs.

Leur détente ne dura qu'un instant, car An Song reprit aussitôt, d’un ton autoritaire : "Allez, ne restez pas plantés là. Il me faut de l’huile de sésame, un scalpel, un cylindre de bois, des chiffons de soie, de l’eau chaude… et des graines de pavot, du charbon ardent... Allez, dépêchez-vous !"

Les autres soigneurs, alertés par ses cris, s’activèrent sans tarder. La première chose qu'An Song fit une fois les préparatifs en place fut de brûler une petite quantité de graines de pavot sur le charbon ardent d’un petit encensoir en cuivre. Les vapeurs enivrantes se répandirent dans l’air, et en une seule bouffée, le pangolin, qui avait jusque-là résisté avec force, se détendit. Il plongea bientôt dans une douce léthargie, sous le regard soulagé des deux moines qui avaient peiné à le maintenir immobile jusque-là.

"Bon, tu nous expliques maintenant ?" demanda le plus âgé des moines, essuyant la sueur de son front.

An Song acquiesça. "Xingyang a besoin de ses écailles pour soigner la pauvre sœur qui est arrivée ce matin." Puis, se tournant vers le plus âgé, il ajouta : "Comment va-t-elle, d’ailleurs ?"

"Elle crache une tasse de sang toutes les vingt minutes... À ce rythme-là, la dissolution n’est pas loin," répondit le moine avec gravité.

An Song frissonna à cette nouvelle. "On doit agir vite," dit-il en jetant un coup d’œil au pangolin endormi. "Ce pangolin a accepté de donner trois de ses écailles, en échange d'un soin complet à l’huile."

Le moine plus jeune, qui observait l’animal avec attention, hocha la tête. "Il en a bien besoin... ses écailles sont ternes. Par quoi commence-t-on ?"

An Song prit une profonde inspiration, se passant une main sur le visage, comme pour rassembler ses pensées. "On va profiter qu’il soit dans les vapes. On retire les écailles maintenant."

Ce ne fut pas chose aisée. An Song devait choisir avec soin parmi les écailles ternes du pangolin. Ce spécimen, bien que noble, n'avait pas les plus belles écailles du monde, et il fallait, dans cet océan de cuirasse terne, trouver les plus brillantes, les mieux conservées. Après une longue inspection minutieuse, il enleva la première à la racine du cou, une autre sur le flanc droit, et la dernière sur le poitrail.

An Song appela un novice et lui remit les écailles, soigneusement enveloppées dans un linge propre, qu'il envoya à Xingyang, qui attendait avec le moine hémostatique dans la chambre de la sœur malade.

Le soigneur, lui-même un peu étourdi par les vapeurs d’opium, fit signe qu'on ouvre les fenêtres. Un courant d'air frais envahit la pièce, dissipant les effluves pesantes. "Tout le monde va bien ?" lança-t-il d'une voix un peu lasse. "Allez, on fait chauffer l’eau et on nettoie cette cuirasse."

L’eau bouillie fut versée dans un large bassin, à laquelle on ajouta du vinaigre de riz. Avec douceur, les moines commencèrent à nettoyer les écailles du pangolin, tandis qu’il dormait profondément, bercé par les vapeurs narcotiques. An Song se pencha longuement sur les embryons écailleux pour s’assurer que tout était propre et prêt avant de procéder à la première application d’huile de sésame.

Le parfum dense et apaisant de l’huile remplit la pièce, et bientôt, l’animal commença à couiner faiblement, réveillé par les soins prodigués à son poitrail. Étendu sur le dos, il se tortillait légèrement, inconfortable dans cette position inhabituelle.

"Ne t'inquiète pas, on a presque fini," murmura An Song d'une voix apaisante. "Encore quelques secondes."

Il acheva de lustrer la carapace avec un chiffon de soie, ravivant la brillance naturelle des écailles. Enfin, il remit doucement le pangolin sur ses pattes. Ce dernier, retrouvant son équilibre, se tint immobile, plus serein, tandis que les moines s’affairaient à lui huiler le dos. Les endroits où les écailles avaient été retirées étaient encore sensibles, mais l'huile soulagea rapidement la douleur. L'animal écarquilla les yeux de surprise en voyant un moine s'appliquer à lustrer délicatement ses griffes, tandis qu’un autre prenait soin de sa longue queue.

"Ainsi, les humains sont vraiment aux petits soins pour moi !" pensa-t-il avec une pointe d’émerveillement. "Je ne vais pas être mangé... Je n’aurais jamais cru cela possible."

Une lueur d'espoir s'alluma dans son cœur, accompagnée d’une douce somnolence. Le massage, les gestes délicats des moines, tout cela le plongeait dans une tranquillité qu'il n'avait jamais connue. Peu à peu, la paix l'envahit entièrement. Chaque soin apporté, chaque écailles lustrées renforçaient ce sentiment de bien-être.

An Song s’approcha à ce moment avec une petite tasse d’eau tiède, dans laquelle il avait mélangé deux gouttes d’huile essentielle de rhizome de Bletilla. "Cela activera la cicatrisation," murmura-t-il en lui tendant la tasse avec bienveillance.

Le pangolin, encore étourdi par la douceur des soins, but avec reconnaissance le liquide légèrement amer. Le goût ne le dérangeait guère, car il avait soif, terriblement soif après toute cette agitation. À chaque gorgée, il sentait une énergie réparatrice parcourir son corps, soulageant les zones où ses écailles avaient été retirées.

Il ferma les yeux un instant, laissant la sensation apaisante se répandre en lui, savourant cet instant de calme et de soin, loin des peurs qui l'avaient hanté.

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