Mon ami et moi suivons l'inconnue, traversant l'étrange décharge dans laquelle nous venons d'attérir. À un moment, un bruit sourd, sorte de grondement, attire mon attention. Je tourne la tête en direction de ce son. S’étend alors sous mes yeux une grande place ronde, au sol recouvert de parquet. Aux bords de cette place, un groupe d’hommes et de femmes s’amusent à frapper et à refermer le couvercle d’une dizaine de poubelles. Rapidement, d’autres les rejoignent et se mettent à tambouriner, tordre et secouer divers déchets, casseroles, futs en métal, boîtes en carton, plaques de ferrailles, créant ainsi une multitude de sons nouveaux pour mes oreilles. Les poubelles produisent un son grave, sourd, creux, contrastant avec le bruit aigu et dissonant des casseroles. On pourrait croire au premier abord que tout cela résulterait en une cacophonie discordante mais la mélodie créée est étonnamment entraînante. C’est complètement différent de la musique classique nous faisait écouter en boucle au Pensionnat des Filles. Mais ça ne me déplait pas. Peu à peu, le centre de la place se remplit. Les gens frappent leur corps, claquent des doigts, battent le sol de leurs pieds, chantent à tue-tête, en rythme avec la musique. On dirait presque qu’ils dansent. Mais cela n’a rien à voir ni avec la danse de salon, ni avec la danse classique. Ces dernières me paraissent bien ternes et monotones par rapport à ce qui se déroule sous mes yeux. Ils n’ont pas de maîtresse pour les guider et pourtant ils n’ont aucun mal à se synchroniser. Ils se comprennent. Ils sont à leur place, parmi leur semblable. Ils s’amusent. Ils sont heureux.