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De l’autre côté de la porte de l’immeuble, deux hommes attendaient. C’est ce que Lucas entraperçut en descendant les quatre marches en marbre. Il les avait distingué grâce à leurs silhouettes, mais n’en savait pas plus. La police ? Non, trop tôt encore, tenta de se rassurer le garçon. Il pressa un petit bouton surmonté d’un petit papier vulgairement scotché indiquant « sortie ». L’aimant maintenant le battant fermé céda. Policiers ou non, il devait partir.

Le jeune homme saisit la poignée de la porte qu’il tira vers lui avec difficulté. Un vent frais le repoussa vers l’intérieur. Il frissonna. Devant lui, un homme aussi grand que lui parlait avec un second bien moins imposant. La musculature du premier le fit déglutir de peur. Un véritable montagne. Le petit aux cheveux grisonnants paraissait embarrassé, le grand brun menait la conversation.

Sans plus se poser de questions, Lucas tenta de se frayer un chemin entre les deux.

- Je t’avais dit de ne pas me contacter.

- Je sais mais…

- Tu es un partenaire qui prendre trop de risque.

- Dimitri, je vous promets que…

- Je vais devoir me débarrasser de vous, coupa de nouveau la masse.

Son interlocuteur fit un tour sur lui-même, la tête prise dans un étau formé par ses mains.

- Ce n’est pas moi qui vous ai demandé de venir ici Dimitri. J’ai reçu le même message que vous.

Il lui tendit son portable.

L’écart entre les deux hommes s’agrandit un peu. Une opportunité unique à me pas manquer. Lucas engagea l’épaule gauche et effectua un grand pas. Trop tard. Il percuta l’imposant homme qui braqua son regard de tueur sur lui. Sa tentative d’esquive se solda par un échec total, une large main l’avait attrapé par le col.

- Petit merdeux, tu ne peux pas regarder ce que tu fais ?

Lucas ne put répondre, tétanisé tant par l’arrivée imminente des forces de l’ordre que par l’aura étouffant que l’homme dégageait. Le visage du gaillard s’aligna avec celui du jeune. Lucas ne l’oublierait jamais : une mâchoire carrée, une bouche fine maintenant une cigarette, un nez avec long et des yeux marron foncé. Il ne parvint pas à en voir davantage.

- Monsieur, ne lui faites pas de mal s’il vous plaît. Il…

- Taisez-vous.

Il n’en fallut pas plus pour que le silence regagne l’assemblée. La voix grave reconnait encore dans les entrailles du jeune garçon. L’homme lui inspirait la crainte. Son accent de l’Est aussi.

Le bruit des sirènes au loin fit réagir Lucas. Ce détail n’échappa pas aux deux hommes qui sourirent. Encore un petit voyou parisien qui se prenait pour plus fort qu’il ne l’était. Le plus petit des deux zieutait autour de lui. Les lumières bleues s’approchaient rapidement. Les passants s’arrêtaient au niveau de la place de la République, empêchant l’accès de la rue aux voitures de police.

- Je m’excuse Monsieur. S’il vous plaît… Laissez-moi partir.

La deuxième paluche s’approcha de la tête de Lucas. Le gaillard lui tapota le sommet du crâne et le libéra de son entrave. Mais les premiers policiers sortaient déjà de leur voiture, main sur la garde de leur arme.


***


- Contrôle d’identité, papiers s’il vous plaît, quémanda l’un des officiers de police.

- Que se passe-t-il ? interrogea l’homme aux cheveux poivre et sel. Pourquoi tant d’agents ?

Aucune réponse.

Lucas tendit avec rapidité les siens. L’homme en bleu saisit les papiers, les ouvrit et commença son rituel. Il fit un nombre incalculable de va et vient entre les documents et la tête du garçon. Deux autres gardiens de la paix surveillaient les alentours. D’autres voitures arrivaient, elles aussi bloquées sur la place. Fermant les documents, il tendit à Lucas sa carte.

- Je peux y aller ?

Lucas fit un pas en retrait, se plaçant dans le dos des deux autres contrôlés. Tous le regardèrent un peu abusés, mais pas un seul ne dit un mot. Alors que le policier lui faisait un geste de la main, l’invitant à circuler, madame Gaignard surgit de nulle part. Elle brailla à plein poumons :

- Monsieur ! C’est lui ! Il l’a tué !

Tous se tournèrent vers Lucas. Il haussa les épaules et fronça les sourcils. Tous le détaillèrent jusqu’à remarquer les traces de sang sur son pantalon.

- Il y a du sang partout Monsieur Kritovsk. C’est horrible.

- Monsieur, restez ici.

Le plus gradé des trois hommes pointé Lucas du doigt.

Sentant le vent tourner, Lucas attrapa la veste de l’homme que la concierge avait appelé « monsieur Kritovsk ». Il le poussa avec violence sur les trois flics et sprinta le plus vite possible, remontant la rue.

- Arrêtez-vous ! somma le plus grands des policiers, arme à la main.

Il la pointa en direction de Lucas.

- Arrêtez-vous !

Un coup de feu partit, terminant sa course dans un pneu. Lucas se jeta contre le mur. La détonation alerta les curieux qui coururent s’abriter. Paniqué, le garçon bouscula par inadvertance un homme chinois, qui s’énerva dans son jargon.

Après quelques mètres, il tourna à droite, rue de Lancry. Les deux policiers continuaient de le poursuivre. Ils gagnaient du terrain sur le jeune homme. Traversant la rue malgré les voitures, Lucas réussit à reprendre un peu de distance. Il tourna dans sur sa gauche et aperçut une veste à capuche sur le toit d’une voiture au coffre ouvert. Le son des sirènes tournait autour de lui. Plusieurs patrouilles le recherchaient à présent.

Il enfila le vêtement et traversa plusieurs rues avant de s’enfoncer dans un petit recoin. Il n’en pouvait plus, son corps était au-delà de ses limites. Les voitures gueulantes continuaient de tourner. Bientôt le quarter serait quadrillé et il n’aurait aucune chance de s’en sortir. Il prit son portable et maintint la touche « 3 » enfoncée.

Il n’y eut qu’une seule sonnerie.

- Ju ? C’est moi.

- Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? Du fric ? Des capotes avant d’aller danser ?

Il ne sut comment lui annoncer son problème. Alice paniquait rapidement, mais il ne pouvait compter que sur elle sur ce coup.

- Je suis dans la merde. Alexian est mort et la gardienne m’a surpris dans son appart. J’ai les flics au cul. Ça pue un maximum là.

Il n’y eut aucune réponse.

- Planque-toi, finit par chuchoter la sœur de Lucas. Je suis avec les parents. Prends le métro et sors de Paris. Si tu ne peux pas, rapproche-toi le plus possible du sud. Denfert ou bien Cité U.

- Mais il y a des pétards partout. Je suis foutu là.

Un nouveau silence s’installa. Une patrouille s’engager dans la rue. Il se plaqua le plus possible sur le mur. Son cœur battait si fort qu’il crut que l’un des hommes l’avait repéré. Ralentissant à sa hauteur, il répondit à un message sur son talkie-walkie. Les deux hommes partirent au trot, la rue était vide.

- Tu es toujours là ? demanda Lucas, reprenant son portable en main.

Sa sœur avait déjà raccroché. Il se retrouvait seul. Rejoindre le sud de Paris, d’accord. Comment faire ? Il n’en avait pas la moindre idée.

Il poussa doucement la porte et avança en se cachant derrière les voitures. La main dans la poche, il ne sentit pas son passe Navigo. Une galère de plus, mais il n’avait pas le temps de réfléchir. Il s’engagea avec prudence sur le boulevard de Magenta, capuche sur la tête, regard vers le sol.

Dès qu’il le put, il disparut dans les ténèbres de la nuit.

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