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Dans sa rame depuis le petit matin, Lucas n’avait pas réussi à fermer l’oeil de la nuit. Il était aux aguets, le moindre bruit lui influait une montée de stress dont il ne pouvait plus contrôler l’excédent. Dans les transports, personne ne l’avait dévisagé. Peut-être était-ce l’heure tardive, ou bien le côté « je-m’en-foutiste » du bon parisien. Les lignes de métro s’étaient succédées pour tenter de perdre un ennemi qui ne le poursuivait plus depuis un moment.
Sur la ligne 13, il avait rencontré une brigade de la RATP sûreté. Son coeur avait battu si fort que l’un des hommes voulaient appel une unité médicalisée pour s’assurer de son état. Avec maladresse, il avait su se sortir des griffes du loup. Mais pour combien de temps ?
Son ventre gargouilla. Il n’avait plus mangé depuis la veille et le succulent repas de son travail : paupiette de veau et brocolis, de quoi faire rêver n’importe qui. Son billet de dix euros ne lui avait pas sauvé la vie, tâché de sang.
Lorsqu’il avait eu sa soeur, il lui avait donné un maximum d’informations : le lieu où il était, comment y accéder et même l’emplacement exacte de sa cachette. Il l’avait supplier de faire au plus vite et de lui ramener de quoi se nourrir. Oui l’homme pense souvent par son ventre. Ce n’est qu’en pressant la touche « raccrocher » qu’il s’aperçut que sa batterie l’avait lâché.
À l’aide de grandes foulées, il avait remonté le long du technicentre de Châtillon, l’ombre de la nuit et les camions le ouvrant. Une ouverture dans le grillage, un miracle. Il s’y était engouffré avec difficulté, sa taille ne correspondant pas à l’étroite ouverture. Sa chemise était déchirée. Son pantalon aussi d’ailleurs.
Il se risqua à jeter un coup d’oeil dehors. L’éclat bleu des gyrophares se distinguait sur les vitres du bâtiments de l’autre côté de la rue. Les échos des aboiements ne rassura pas le jeune. Il devait de nouveau fuir. C’était la seule option, ou bien se faire arrêter par la police. Non. Il devait quitter les lieux et au plus vite.
Lucas se claqua avec décence le visage. Il devait être lucide et sur ses gardes. Il laça ses chaussures de ville. Mon petit gars, tu as tourné à gauche deux fois. La bâtiment gris sur ta droite et la rame toute rouillée aussi. Ses mains accompagnaient sa tentative de remémoration.
Un coup contre la rame.
Lucas détala.
***
Alice n'attendit pas une seconde de plus. Elle composa le numéro de Jules.
- C'est bon ? Je peux venir.
- Non, rétorqua-t-il. Tu restes dehors et tu me guides.
- Mais je dois venir, c'est mon frère !
- C'est surtout risqué. Si je me fais prendre avec toi, qui l'aidera ?
Silence.
Alice se crispa un peu plus encore. Sa colère se lisait dans ses yeux, de petites flammes y conssumaient son self-control.
- Demande à ton frère ce qu'il voit.
Elle aurait aimé hurler son mécontentement, raccrocher et franchir à son tour le mur. Les mots lui brûlaient la gorge. Son teint s'empourprait continuellement. Les sirènes de police grondèrent un peu plus. Dans sa poche, son portable vibra. Ses doigts cafouillèrent sur le clavier. Lucas, enfin. Elle lut le contenu.
- Il me parle d'un entrepôt.
- Très utile dis-moi. Ce n'est pas comme s'il n'y en avait qu'un seul devant moi.
Alice envoya un autre SMS : « besoin d'autres détails ». Jules entendait sa respiration s'accélérer. Il devait gérer les recherches de son beau-frère, la présence de policiers sur place, mais aussi le stress de sa moitié. Elle avait un rôle plus important qu'elle ne le pensait, il devait tout faire pour qu'elle garde son sang-froid.
- Tout va bien se passer. Fais-moi confiance.
Une patrouille se déplaçait dans la direction de l'infiltré. Le bruit des chaussures sur la caillasse s'accentuait de seconde en seconde. Jules balaya du regard les alentours. Une porte entrouverte à soixante mètres à peine. Il pouvait le faire. Il devait le faire.
- Il vient de me dire que...
- Pas maintenant.
***
Les jambes semi-fléchies, il se déplaça avec discrétion. Il guettait le moindre recoin. Quatre policiers droit devant lui. Impossible d'avancer, mais les contourner... Jules repéra l'entrée de la bâtisse sur sa droite. Usant de pas de chat, il s'approcha du battant et le poussa légèrement, de quoi s'y faufiler. Un grincement craqua dans l'air. Les officiers se retournèrent, arme à la main : personne. Jules sentait son cœur battre si vite qu'il en avait du mal à respirer. Derrière la porte, les jambes tendues, il reprit la conversation.
- Je t'écoute ma puce.
- Que s'est-il passé ? Tu vas bien ?
- Oui, rassure-toi. Une patrouille de police. Ça va être coton pour sortir ton frère de là.
Alice reprit son portable en main et donna le maximum d'informations à Jules. Elle conclut :
- Il me dit être près de plusieurs trains stationnés près d'un bâti...
La conversation fut coupée. Le jeune homme saisit son portable et pressa tous les boutons. Putain, je n'ai pas rechargé ma batterie, idiot. Son visage se rida d'énervement. Réfléchir, il lui fallait réfléchir et trouver une solution. Il tourna en rond durant cinq minutes. Rien ne lui venait à l'esprit.
Le stress était son ennemi, il avait du mal à le gérer. Il posa son front contre le mur. Il inhala une grande bouffée d'air et la retint. Une longue expiration s'en suivit. Il répéta son exercice de respiration jusqu'à retrouver un rythme cardiaque normal. Le son pied droit ne martelait plus le sol. Relevant la tête, il tomba sur un plan global de la structure. Il était daté de la vielle, parfait. Il arracha le papier et chercha un endroit où se placer pour élaborer une feuille de route.
Le stylo à la main, il annota le plan. Les trains en stationnement étaient représentés, une précieuse aide pour quadriller la zone de recherches. Jules entoura plusieurs zones potentielles, trop à son goût. Les patrouilles ratissaient avec méthode le technicentre et il avait perdu son seul contact pour le guider. Quoi de plus facile ? Réexaminant son cheminement pour rester un maximum à l'abri des regards, une main se posa sur son épaule.
Un cri s'échappa. Les yeux de Jules s'écarquillèrent. Son corps se mit en alerte et ses muscles se contractèrent, prêts à agir. Il saisit le poignet de la personne et la projeta vers le sol. Ce n'est qu'au moment de lancer son poing vers le visage de son assaillant que Jules l'identifia.
- Mais qu'est-ce que tu fous là !
Le jeune homme fronça les sourcils. Sa mâchoire serrée et son teint virant au pourpre trahissaient la colère montant en lui.
- Yo, doucement gros. Ta meuf m'a dit que c'était le bordel ici, se justifia Babacar.
Le poing de Jules était à quelques centimètres du visage de son ami. Il soupira et le saisit par l'avant-bras pour le relever. L'homme noir tapa ses vêtements pour chasser la poussière. Il se rapprocha du plan griffonné et l'étudia avec rapidité.
- C'est mort par ici. Ils ont mis un barrage en place les cons.
Il requit le stylo et plaça pas moins de six traits sur le plan déjà bien saturé. Les contourner ne serait pas possible cette fois. Le juriste se gratta le menton.
Ils sont suréquipés les gars, ça va être le bordel pour glisser entre les différentes patrouilles. J'en ai froid dans le dos. Si tu savais les molosses qu'ils ont en laisse,plus gros que le pitbull du bâtiment sept.
- Il me reste une possibilité : passer sous leurs yeux.
- Bonne idée, mais trop risqué gros. Si on se fait chopper, on est bon pour la pendaison. Mais... Je me place en haut, sur le toit, et je te servirai de sentinelle.
Son sourire était surjoué. Babacar...
Le subsaharien plongea sa main dans sa poche pour en sortir un portable bas de gamme. Le genre de portable qu'un adolescent en 2018 n'a jamais connu, avec les lettres sur les touches. Il l'alluma et entra le code PIN. Quatre zéro, pourquoi s'embêter ? L'appareil siffla une petite mélodie qui arracha un sourire au blond. Il avait dû payer cette antiquité cinq euros chez un épicier. Tant qu'il marche et qu'il est chargé, se convint-il.
Prends aussi ce talkie. Canal quatre. Tu auras les informations sur leurs mouvements.
Toujours plus surprenant. Le kit main libre branché, Jules le rangea dans sa poche et se rapprocha du battant de fer. Il se retourna, le pouce droit tendu vers... Le vide. Babacar s'est déjà échappé pour se mettre en place. Dans un tapotement répétitif contre les barreaux, il montait l'échelle de sécurité à une rapidité vertigineuse.
La main sur la porte, le juriste jette un coup d'oeil dehors. Le nombre d'agents avait largement augmenté. Leur équipement aussi : revolvers, calibre 38 Spécial et pistolets semi-automatiques, calibre 9 mm, flash-ball et pistolets à impulsions électriques. De quoi faire fuir un régiment.
Longeant le mur, veillant à rester dans l'ombre, Jules mémorisa les informations lui parvenant. Trois patrouilles en ronde, mais une seule fixe. Un bon point ? Il n'aurait su le dire. Une voix dans son oreille gauche lui indiqua un détachement de plusieurs unités pour investir le bâtiment central du technicentre. L'occasion rêvée de progresser entre les différents trains entreposés.
- Peux-tu me dire s'il y a un obstacle sur ma gauche ? Je suis masqué.
- Négatif. Première cible à deux cent cinquante mètres.
Jules s'engagea sans plus attendre. Ses pas étaient petits et rapides. Approchant d'un tram isolé, il se jeta pour esquiver le regard d'un policier venu de nul part. Son visage en sueur s'écrasa sur le sol. Le mélange de sable et de gravier lui colla à la face.
Il retint sa respiration. Son cœur se fracassait contre sa cage thoracique.
L'homme en uniforme passa à moins de dix mètres de lui. Il s'arrêta, jeta un coup d'œil à sa gauche puis à sa droite. Son flair agissait tel un radar. Il avait détecté une présence, un intrus dans le périmètre.
Le flic sortit son arme, retira le cran de sécurité.
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