Prologue
Les années sont parfois longues quand le mal vous ronge de l’intérieur. La haine, la colère, la vengeance… Autant de poisons qui vous assaillissent et étreignent de leur baiser mortel toute lumière jusqu’au plus profond de votre âme. Tous ces démons qui s’installent dans votre esprit et vous appellent à plonger votre coeur dans l’obscurité. Chaque nouvelle seconde envolée grignote le peu d’espoir qu’il vous reste. Vos résistances se fissurent, puis cèdent. Et règne alors un sinistre passé qui finit par avoir raison de tous. Raison de vous.
Demain serait le grand jour, la récompense pour tant d’efforts, de patience et de sacrifices. Un tournant décisif dans cette existence bien sombre.
La délivrance.
Il faisait noir dans l’appartement. Seule une bougie laissait échapper son éclat lumineux. Mais elle finirait par s’éteindre, consumée comme chaque espoir qui avait un jour germé dans son coeur. Sa faible lueur, vacillant sous l’impulsion des mouvements de la seule âme dans ces ténèbres, ne permettait de voir que peu de choses.
Une enveloppe, une petite boite noire et une clef USB.
Les données téléchargées sur ce petit support feraient exploser plusieurs vies. Elles les détruiraient comme la sienne l’était depuis tant d’années. Un juste retour du karma.
Cette âme en errance avait sélectionné avec soin chacune des informations. Une réflexion intense qui lui avait torturé l’esprit, accru sa souffrance. Mais le jeu en valait la chandelle et le plaisir qui coulerait dans ses veines, une douceur apaisante.
La bougie manqua de s’éteindre. Il ne fallait pas perdre ce dernier point de lumière ! Non… Jamais.
Avec la plus grande délicatesse, elle glissa la clef dans la petite boite. Ses doigts ajustèrent l’objet. Tout devait être parfait.
Sa respiration s’accéléra, son coeur tapait fort contre sa poitrine sous l’effet d’une adrénaline enivrante qui la maintenait debout. Être une âme en perdition, broyée par les remords et la rage, n’empêchait pas d’avoir quelques moments de joie intense, malgré leur rareté.
Ce plan qu’elle avait muri mainte fois allait enfin se concrétiser. Les contradictions l’avaient malmenée des heures durant, les nuits blanches étaient presque devenues monnaie courante. Mais aujourd’hui… Aucune chance que sa cible n’en sorte indemne, et les dégâts collatéraux seraient violents. Mais peu importait, le prix à payer pour se libérer du mal valait tous les sacrifices du monde.
Elle en avait plus que marre de cacher sa véritable nature, d’afficher chaque jour un sourire hypocrite et amer dont elle ne comprenait plus le sens. Être conforme aux attentes de toutes ces personnes plus égoïstes les unes que les autres et feindre l’amour, l’amitié, et tous ces sentiments… Non, son unique obsession n’était pas compatible avec ces émotions que chacun cherchait à vivre au quotidien.
Elle hésita un instant, la boite dans la main. Il y avait plus simple pour retourner vers la lumière, une âme si pure de base ne devrait pas en arriver à une telle cruauté. trop de questions à un moment si crucial, il ne fallait s’appuyer que sur l’essentiel. Il était bien trop tard, le mal l’avait consumée depuis bien trop longtemps. Elle glissa la boîte dans l’enveloppe.
Bien calée dans le fond, elle ferma la membrane de papier et y apposa un morceau de scotch pour être certaine que personne d’autre n’accèderait au contenu. Entre de mauvaises mains, ces informations ne feraient pas autant de dégâts qu’elle l’espérait. La souffrance de ses bourreaux était l’unique remède à ses maux. Ne pas y parvenir lui laisserait un goût d’inachevé qui ne la libérerait pas de ses démons, bien au contraire.
Le stylo sorti de sa poche glissa habilement sur le papier. Chaque nouveau lui donnait la chair de poule. Un frisson d’excitation glissait le long de son dos. Ce sentiment de toute puissance décuplé lui procurer la force d’aller jusqu’au bout.
L’adresse écrite, les timbres collés, elle s’empara du tampon La poste dérobée quelques jours plutôt. Le sceau de l’entreprise s’enfonça dans la cire rouge d’une bougie se liquéfiant. La marque aurait toute la nuit pour sécher. Il fallait un maximum de réalisme pour ne pas éveiller les soupçons.
Un douloureux souvenir s’extirpa de son esprit. Du haut de ses sept ans, son père lui avait infligé une correction mémorable pour avoir tenté de voler une montre en or. Son arrogance de se lancer dans une telle opération sans préparation lui avait coûté très cher.
La leçon retenue, jamais plus une telle erreur ne serait commise. Tout avait été planifié dans les moindres détails, aucune faille n’était possible.
Sur le rebord de la table, la bougie un peu plus petite à présent continuait inlassablement de perdre vie. À ses côtés patientait une tenue de facteur. Dans une masse en fer, une panoplie d’accessoires pour parfaire le subterfuge.
Le paquet serait remis en mains propres, aucun intermédiaire. Garder le contrôle était une nécessité absolue. Mais elle voulait aussi voir une dernière fois sa victime, l’affronter, tout comme son passé.
Le colis sur la table, l’âme perdue recula d’un pas.
Son coeur s’emballa avant de retrouver un rythme normal. Sa dernière croisade pour se libérer du mal commencerait à l’aube et plus personne ne pourrait la stopper. Un ricanement malsain s’échappa.
La flamme vacilla un peu plus et la bougie sombra.
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