17
Une voiture s’avança lentement dans la petite cour, phares éteints. Personne ne l’avait entendu avec la musique et l’alcool ingurgité. Le canon d’un silencieux émergeait de la vitre arrière. Un léger filet de fumée s’en dégageait, emporté par le vent. Le tireur regagna l’intérieur du véhicule. Le Chevrolet s’immobilisa au milieu, mais le moteur ronronnait encore. Un homme descendit dans l’ombre des bâtiments. Ce fut enfin le chauffeur qui quitta le quatre roues.
Les regards n’osèrent pas se poser sur le véhicule. Le bruit des pas sur le gravier laissait présumer que les deux hommes s’avançaient vers le groupe. Pas un ne se retourna. Tous craignaient pour leur vie. Mâcon était le seul dont la lucidité pouvait lui permettre d’agir. Il glissa sa main sur son Beretta.
- Je ne te conseille pas, chanta un grand homme chauve.
- Toujours aussi intelligent, enchérit le second.
Mâcon s’arma d’un sourire des grands jours. Il se retourna et se dirigea les bras ouverts vers son visiteur.
- Dimitri Balkichvski ! Ça fait un bail non ?
Le grand russe vint se positionner à quelques pas de son vis à vis. Leurs onze centimètres de différence apparurent comme un gouffre pour l’américain. La carrure de celui que l’on surnommait « l’homme aux trois lames » influençait le rapport de force.
- Sais-tu pourquoi je suis ici ? La raison de mon déplacement à cette heure si tardive.
- Non. Non. Je ne vois pas. J’allais t’appeler parce qu’il y a eu quelques petits problèmes. Mais c’est tranquille.
- Des problèmes ?
- Oui.
- Je t’écoute.
Mâcon chercha ses mots. Ses hommes étaient toujours pétrifiés, il ne pouvait pas compter sur leur soutien.
- Non mais ne t’inquiètes…
- J’ai dit que je t’écoutais. Alors tu vas me raconter ce qui ne va pas.
Plus personne n’osait respirer. L’un des acolytes de Mâcon tenta de s’emparer de son automatique. Six coups de feu rompirent le silence. Le corps du dealer encaissa les projectiles plein torse. Glissant le long de la BMW, il y déposa une longue trainée de sang. Sur le sol, son sang colora le gravier.
- Piotr, un peu plus de politesse la prochaine fois.
- Oui patron.
Balkichvski enroula son bras autour des épaules de Mâcon. Il l’invita à marcher vers les paquets de drogues.
- Tu n’aurais pas cherché à me doubler ?
- Quelle idée !
- Hum hum.
Le poing du géant se déplaça à la vitesse du son. Le dealer n’eut pas le temps de réagir. L’impact sur le plexus solaire lui coupa net le souffle. Il se plia en deux. Dimitri releva sa proie par le col.
- Toute cette marchandise est à moi. Tu ne sais pas les efforts que j’ai dû consentir pour m’en procurer. Je suis un businessman.
Piotr tenait en joug les deux derniers amis de Mâcon. Le grand patron avait dans sa main un gros paquet qu’il jetait dans les airs et rattrapait habilement.
- Je t’ai accordé ma confiance parce que tu n’es pas un débile comme les autres.
Il s’arrêta, huma l’air saturé de sniff et reprit.
- Je te laisse vingt-quatre heures pour l’écouler et me ramener le fric. Sinon tu finiras dans un trou, comme tes deux amis. Mais toi, je t’y enterrerai vivant.
- Mais sans le petit Alexian…
Une claque sur le crâne s’en suivit. Le ton posé de sa voix n’avait pas changé. Mâcon comprit le message et ne protesta pas plus. Il n’y avait pas intérêt de toute façon. Il zieuta le gaillard russe pénétrer dans son véhicule, son garde du corps ne les quittant pas du regard. L’homme de main, arme pointée vers le Bostonien, contourna le capot du 4x4 et se glissa derrière le volant.
Silencieusement, la voiture s’en alla, phares toujours éteints. L’adrénaline retomba en un quart de seconde. Putain d’enculé de russe, ces mecs étaient des gars biens. Mâcon n’eut pas pour autant une larme pour ses deux hommes ; un de perdu, dix de retrouvés.
Il transposa la marchandise dans le coffre de sa BMW. Son propre garde du corps s’était posté à l’entrée de la cour. Il avait été surpris une fois, cela n’arriverait plus. Le dernier des trois survivants s’occupa de disposer les corps dans la vieille Peugeot. Il ne fallait pas laisser de traces.
Une fois le transfert achevé, Mâcon et son garde montèrent dans la voiture. Le jeune garçon noir s’installa au volant. Il roula doucement. À hauteur de la Peugeot, il craqua une allumette qu’il jeta au sol dans une flaque. Le liquide s’embrasa et serpenta sur les graviers jusqu’au véhicule. Il y eut une détonation, une déflagration, et un long nuage noir s’éleva dans le ciel.
Les pneus de la BMW crissèrent, précipitant le véhicule dans l’allée avant de disparaître.
Mâcon, les doigts peureux, se saisit de son portable. Il pianota nerveusement son code et trouva avec difficulté le nom du contact qu’il voulait appeler. Il y eut plusieurs sonneries avant qu’une voix féminine ne décroche.
- Allô.
- C’est moi. Changement de plan.
- Pourquoi ? Que se passe-t-il ?
Il hésita.
- Retrouve-moi au lac. Il faut passer à la seconde phase du plan. Et le plus vite sera le mieux.
Il raccrocha, la peur gravée plus que jamais dans son esprit.
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