25

4 minutes de lecture

Jules s’assit sur la place du passager avant. Tête dans les mains, coudes sur les cuisses, il essayait d’assimiler les informations qu’il venait d’obtenir pour les recouper avec celles dont il disposait. Le challenge était colossal. Il marmonnait un langage incompréhensible, comme à son habitude dans ses phases de réflexions.

Son appel terminé, Alice s’installa au volant. Ses clefs tintèrent en se percutant. Elle inséra l’une d’elles dans l’espace correspondant et démarra la voiture.

- Je te dépose ?

- Non.

- Alors que fais-tu dans la voiture ?

- Je réfléchis au calme.

Toujours aussi étrange. Alice commença à rouler. Après tout, Jules ne se rendrait compte de rien avant un bon moment. Dans ce genre de situation, Croquette était dans un autre monde, inatteignable. Il avait usé du même stratagème pour réviser ses examens, sans succès.

La voiture quitta le quartier résidentiel. Au premier croisement, elle fut stoppée par un feu tricolore. Un feu éternellement long, sans fin, comme ceux que tous les conducteurs détestent. La jeune femme crut ne jamais pouvoir repartir. Clignotant à droite, elle s’engagea pour rejoindre l’A86 réputée pour ses bouchons.

Jules sortit son calepin de petite taille. Stylo noir à la main, il griffonna plusieurs mots, fit des traits et ratura parfois l’ensemble jusqu’à obtenir satisfaction. Alice tenta de jeter un coup d’œil. Échec.

- Ma voiture n’est pas une poubelle.

Aucune réponse.

Plusieurs boulettes de papier s’étaient accumulées. Encore une sale habitude de Jules. Son bureau était rempli de ces petites choses froissées, tant sur le sol que sa table ou sa poubelle.

- Tranquille, dénia répondre enfin le jeune homme.

- Tu les embarqueras avec toi. Je ne rigole pas. Je ne suis pas ta bonne à tout faire mec.

Elle n’avait pas besoin de regarder son compagnon pour savoir qu’il souriait. Alice passait la plupart de son temps à rappeler Jules à l’ordre. Les chaussures, les paquets vides de chips, et même les copies des étudiants. Un « bordel organisé » argumentait-il.

Après un quart d’heure de route plutôt paisible, Alice renoua avec les joies de la circulation en ville. Entre les priorités à droite non-respectées, les clignotants oubliés, ou bien les cyclistes et les piétons imprudents ; échapper à l’accident relevait du miracle au vingt-et-unième siècle.

Jules ouvrit machinalement la portière lorsqu’Alice s’immobilisa. Un rapide baiser et il s’engouffra dans les marches menant à la station de RER de la Croix de Berny. Trop d’amour ce gars ! On en redemande.


***


Alice eut beau regarder trois fois de suite dans son angle mort, vérifier dans ses rétroviseurs, elle ne put éviter l’accident. Alors qu’elle s’engageait avec la plus grande prudence, une voiture avait accéléré à sa hauteur. Le choc fit un bruit sourd.

La jeune femme compressa la pédale de frein par réflexe. Comme paralysée, elle ne retira pas son pied. Ses mains étaient crispées sur le volant. Ses yeux grands ouverts. La première fois est toujours impressionnante, même en matière d’accident de la circulation.

Une imposante silhouette s’extirpa avec difficulté de la Peugeot 207. L’air grognon imprimé sur son visage, il se déplaça avec des pas très lourds pour gagner l’arrière de son véhicule. Alice aurait pu entendre sa respiration avec un peu plus d’intention. Un grognement retentit.

La main tremblante, la jeune femme ouvrit à son tour sa portière. Elle sortit à peine sa tête et tenta d’évaluer les dégâts causés. L’aile arrière droite était légèrement enfoncée, la peinture un peu rayée. Pas de quoi paniquer à première vue. Mais le visage de l’homme noir en disait bien plus.

- Excusez-moi. Je suis navrée. J’ai regardé mon angle mort.

- Hum hum.

Soleil dans les yeux, elle ne put identifier clairement son interlocuteur. Lui ne bougea pas.

- Je vais chercher le papier pour faire un constat. Mon assurance prendra toutes les réparations en charge, vous n’aurez aucun souci à vous faire.

La masse s’avança un peu plus près. Un mètre quatre-vingt-dix se présentèrent devant la femme. Jean garou sèche, marcel blanc tacheté de graisse, chemise vert pomme par-dessus, l’homme aux yeux noirs passa sa main dans la petite crête qu’il avait sur le crâne.

- Je venais de refaire la peinture.

La voix de l’homme fut si douce qu’Alice fronça des sourcils. Machinalement, elle baissa sa garde, sa première erreur.

- Je vous promets qu’elle sera comme neuve.

Quelques coups de klaxon retentirent. L’impatience de l’être humain, même quand son semblable est dans une situation inconfortable. Ou, plutôt, l’égoïsme flagrant du banlieusard.

- Je n’en doute pas. Nous devrions aller nous garer un peu plus loin pour faire les démarches.

- Je vous suis.

Deuxième erreur.

Après dix minutes de route, les deux voitures se garèrent sur le bas-côté. La zone était quasi déserte. Pas une âme qui vive. Pas un seul bâtiment habité, voire habitable. Toujours sous le choc de son accident, Alice n’eut pas le réflexe de regarder autour d’elle. Son moteur éteint, elle laissa les clefs sur le contact et se dirigea vers l’autre véhicule.

Un jeune homme sortit côté passager. Blanc, un peu moins du mètre quatre-vingts, silhouette très athlétique et une affreuse cicatrice sur la joue droite. La méchanceté gravée sur son visage, il ne pouvait y avoir de doute sur ses intentions.

- Sois mignonne s’il te plaît, et transmets mon message à ton connard de mec.

- Mais… Que faites-vous ?

L’homme fit craquer ses doigts.

- Trop de questions. Toutes les mêmes. Une correction s’impose.

C’est à ce moment-là qu’Alice comprit que rien n’était dû au hasard. Le premier coup de poing qu’elle reçut dans la mâchoire le lui confirma. Elle sentit sa tête s’engourdir. La douleur finit par la mordre avec une extrême violence.

Le pire restait à venir.

Annotations

Vous aimez lire QuentinSt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0