Les premiers rayons de soleil caressèrent la peau noire du torse de Mâcon. La lumière picota ses pupilles. Son crâne le lançait tellement qu’une larme coula le long de sa joue. Sa main frotta ses yeux puis il se redressa péniblement et appuya son dos contre son oreiller.

Son court sommeil ne l’avait pas aidé à trouver une solution pour écouler la came et payer son dû. Il savait que Dimitri était un homme de parole. Un trou l’attendait s’il n’honorait pas son contrat. Il le creuserait lui-même, il en était sûr. Les images de la veille défilaient encore devant lui. Son esprit ne pouvait se détacher du corps de Taison s’écroulant.

Un long soupir s’échappa.

À ses côtés, une femme dormait encore. Son visage apaisé ne réussit pas à calmer le jeune dealer. S’il en était arrivé à se mettre dans une telle merde, c’était simplement pour offrir à cette magnifique créature tout ce dont elle rêvait. Il risquait de tout perdre.

Le corps dénudé de la femme se retourna vers lui. Son bras glissa le long de la couverture et sa main trouva celle de l’homme.

- Mon coeur, tu me sembles bien soucieux.

L’accent typique de l’Est. Les « r » roulés, les « tche », les « ia » ou bien les « iou ». Mâcon adorait. Avec l’accent américain, il avait tenté de parler le russe. Un fou rire incontrôlable s’était propagé entre les deux amants.

Bien que leur relation n’ait que quelques mois, elle avait appris à lire en lui. Rien ne lui échappait. Ils s’étaient rencontrés à l’une des soirées chics organisées par les grands noms de l’industrie des technologies de pointe. Mâcon, nouvelle recrue, accompagnait alors son mentor Dimitri. Quand leurs regards se croisèrent, le monde s’arrêta de tourner.

Depuis, ils se voyaient aussi régulièrement que possible, les deux ayant leurs propres obligations. Il ne fallait pas non plus que cette relation éclate au grand jour, le prix à payer serait bien trop lourd pour chacun d’entre eux.

- Pourquoi me dis-tu cela ? Tout va pour le mieux.

- Tu mens.

- Je ne te mens pas, s’offusqua-t-il.

Il aurait beau tenter toutes les parades possibles, elle avait déjà touché le cœur.

- Mon mari se défend comme toi. Tous les hommes font cette erreur de penser qu’une femme peut être bernée par un mensonge plus ou moins réfléchi. Mais il n’en est rien.

Le sixième sens féminin.

- Je suis ici parce que tu me l’as demandé. Parle-moi. Ne me laisse pas dans l’ignorance de ce qui te blesse, au risque d’être moi aussi blessée par ton manque de confiance, reprit-elle.

- Les choses sont compliquées.

- Pas pour moi… Pas pour nous…

Glissant près de son bel amant, la femme s’entoura de la couverture. Mâcon passa sa main dans la cascade de boucles blondes de sa belle. Tête contre son torse, leurs yeux se fermèrent. Le jeune noir sentit son cœur ralentir, battement après battement, tel un junkie ayant consommé sa dose de cocaïne. Non, il ne pouvait pas tout perdre, pas maintenant.

- J’ai voulu doubler Dimitri. Maintenant, j’ai le couteau sous la gorge.

Une grande inspiration s’en suivit.

- Je dois lui ramener l’argent ce soir à l’entrepôt. Demain au plus-tard. Sinon…

- Je vais aller lui parler.

- Non.

- Je ne te laisse pas le choix.

Mâcon la saisit, son regard croisa le sien. Ses yeux se remplissaient à la fois de colère et de peur. La femme le soutînt un instant, mais à l’évidence, elle ne mesurait pas la gravité de la situation. Ses jambes se replièrent et sa tête plongea dans ses mains.

Son propre mari avait affaire à Dimitri Balkichvski. Elle avait entendu un nombre de récits incalculables à son propos. Son simple nom lui donnait la chair de poule. Son fils n’avait réussi à lui échapper que par son intervention musclée. Les griffes d’une mère défendant son petit peuvent fendre le plus solide des rocs.

- Je n’ai pas besoin que tu te soucies de moi sur ce point. Dimitri a besoin de moi. Je suis son seul relais dans le coin. Sans moi, il n’est rien. Il a amassé une tonne de fric grâce à ma gueule, il ne peut pas sacrifier son meilleur élément.

- Tu te trompes. Il trouvera toujours un chien pour faire le sale boulot.

- N’importe quoi…

- C’est un mafieux ! s’emporta-t-elle. Il ne se salira jamais les mains ! Il ne prendra jamais le moindre risque sauf s’il en tire un avantage conséquent.

Elle lui montra ses mains, comme pour tenter d’appuyer son propos. Elle même avait du sang gravé à vie dessus à cause de cet homme.

- Pas avec moi.

Mâcon quitta le lit. Un autre combat perdu d’avance. La jeunesse face à l’expérience. Le second abandonne rapidement aujourd’hui, laissant le premier face aux conséquences de ses choix.

L’homme prit ses vêtements qu’il avait déposés en boule sur le bureau. Sous les yeux de la femme âgée d’un peu plus d’une quarantaine d’années, toujours nue et enveloppée dans la couverture, il enfila son jean bleu et son tee-shirt noir à manche courte.

La cafetière s’enclencha, surprenant les deux amoureux. Il ne se rappelait plus l’avoir programmée. Sortant le paquet de pain de mie, il brancha le toaster et enfourna deux tranches. Une légère odeur de pain chaud attira le regard de la femme.

Par galanterie, Mâcon remplit une tasse du liquide noir et tartina de beurre les deux morceaux toastés. Il disposa le tout sur un plateau, sans oublier un verre de jus d’orange frais. Cet homme avait beau avoir d’horribles défauts, il n’en restait pas moins qu’il avait des valeurs.

Le plateau mit à disposition de son hôte, il s’assit à côté d’elle, sa propre tasse à la main.

- Sois le plus prudent possible. S’il te plaît.

Il ne répondit pas. Ses lèvres se posèrent avec méfiance. Le café coula avec lenteur dans sa bouche. Ses yeux se crispèrent. Sa boisson était encore trop chaude pour l’avaler d’un trait.

Il regarda son poignet. Sa montre lui indiquait dix heures et quart. Dimitri l’attendrait à vingt-deux heures. Le délai était court, mais avec le plan qui germait dans sa tête… Rien n’était encore joué.

- Ne tarde pas trop. Tu as déjà découché sans prévenir. Je ne voudrais pas que tu t’attires plus d’ennuis. Et puis ton mari a besoin de toi en ce moment. Les temps que vous vivez ne sont pas des plus heureux.

- Je le sais.

- Nous partirons d’ici demain soir. Réfléchis à la destination qui te ferait plaisir.

- Mais…

- J’ai tout organisé.

- C’est que…

S’attachant les cheveux, la quarantenaire hésita à continuer sa phrase. Pouvait-elle tout quitter maintenant ? Cette question, elle se la posait pour la énième fois, et comme à son habitude, elle n’arrivait pas à lui trouver une réelle réponse. Son esprit se perdit. Elle finit par dire :

- Je t’aime Mâcon.

- Je t’aime aussi. Plus que tu ne le penses.

Tel un valeureux prince, il lui déposa un baiser des plus langoureux. Il espérait au plus profond de lui qu’il chasserait tout doute par ce geste. Sans plus attendre, il ouvrit la porte, fit un clin d’œil à sa douce et quitta le cabanon sans plus attendre.

Les affaires n’attendaient pas. La mort non plus.