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Sans perdre un seul instant, Jules sortit ses différents dossiers. Il rapprocha le tableau aimanté et y accrocha six photos en ligne. Il ajouta trois silhouettes noires : une pour la femme venue dans l’après-midi, une pour chacun des deux hommes sortis lorsqu’il était allé avec Babacar à l’appartement de la victime.
Sous chacun, il y inscrit le prénom et le nom avec un velleda bleu. Il se retourna et découvrit l’émerveillement dans les yeux de Marie. Le même qu’il avait ressenti en découvrant ce cocon. Quel tête de con j’ai dû avoir… Babacar a bien dû se marrer, rit-il intérieurement. Il tapa dans ses mains pour qu’elle revienne à la réalité.
Pendant que le garçon tentait de connecter son Macbook pro au réseau local du repère, la jeune femme sortit un à un les documents pour les répartir sur la grande table centrale. Elle s’autorisa à jeter un œil à chacun d’entre eux. Peut-être y trouverait-elle un argument, une raison de faire douter le commissaire sur la culpabilité.
- N’y pense pas. Si tu utilises la moindre de ces informations sans pouvoir justifier de ta source, tu vas te griller. Tu vas nous griller même. Ce n’est pas le moment.
- Je pensais que…
- Tu es l’avocate Marie, tu n’as pas accès à l’entier dossier de la procédure. Comment pourrais-tu en savoir autant ? C’est trop risqué.
Cette remarque de Jules n’était pas dénuée de sens. Son envie d’aider Lucas et sa précipitation l’aveuglaient. Cependant, Marie savait qu’elle pouvait compter sur la bienveillance de son ami. Bien que parfois désagréable, cela lui avait permis d’obtenir l’avocature.
Dans les derniers instants de révision pour l’oral de déontologie, Jules avait fustigé Marie sur un point d’actualité. Dans un premier temps, elle lui en avait voulu. Lui avait loupé l’examen d’entrée à l’école des avocats et la jeune femme y avait vu une forme de jalousie. Un ami doit être là pour soutenir après tout. Par sécurité, elle s’était alors connectée sur sa page Facebook pour y lire les dernières publications juridiques. Et le miracle se produisit, elle fut interrogée dessus.
- Expose-moi ton raisonnement, reprit-elle.
- Dix personnes, dix suspects : Diane la collègue jalouse, Philippe son valet, Dimitri un puissant homme d’affaire, les deux hommes de l’appartement hier soir, et caetera. C’est trop pour réfléchir. Il faut que l’on essaye de faire un tri, que l’on supprime certains de ces visages. Ou du moins que l’on puisse négliger leur implication au maximum. Comme pour Betty par exemple.
- Betty ?
- La petite amie de la victime. Ils avaient un rendez-vous galant le soir même. Elle ne pouvait pas être sur les lieux du crime et devant le restaurant. Il suffira de trouver une personne pour confirmer sa présence là-bas.
Il apposa un point d’interrogation devant le prénom de la jeune femme sur le tableau.
- Ensuite, les collègues d’Alexian. Diane, dite « le monstre » et Philippe dit « le toutou » parce qu’il la suit comme son ombre.
Un petit « ding » retentit. L’ordinateur de Jules s’éclaira ainsi que son portable. Une barre se remplit de bleu avant de disparaître. Les données étaient chargées. Tous les autres ordinateurs prirent vie.
Babacar fit coulisser le battant d’entrée. La rouille lui compliqua le boulot et il jura de s’y attaquer dès que possible. Les mains pleines de documents, il les posa sur la table connectée et se servit un petit jus de goyave avant de prendre place sur une chaise.
- Merde, on a tout ça comme suspects ? constata-t-il après avoir vu le tableau.
- Oui, mais comme je disais à Marie, selon moi Betty, Philippe ou bien monsieur Kritovsk n’ont pas l’étoffe de tueur. Pourquoi la petite amie ou le père s’en prendrait-il à Alexian ? C’est un lien d’amour qui les unissait à ce gars.
- C’est vrai. Et moi j’ai du neuf pour alimenter ton raisonnement Sherlock.
- J’écoute.
Jules avait déjà repris le velleda et s’était placé devant son tableau. Marie et Babacar ne l’avaient pas vu faire.
- Je n’ai pas pu identifier les deux gars de l’autre soir. Mais je sais pour qui ils bossent. Dimitri Ballkichvski. Celui dont tu m’as parlé au café. Le nom que tu m’as donné était une couverture.
- Intéressant…
- Deuxième info exclusive, Alexian prenait de la drogue. Un banal règlement de compte, ou bien il aurait tenté de doubler ses fournisseurs… Ce n’est pas impossible.
Marie et Jules se redressèrent. Un garçon que l’on présentait comme le plus sage des hommes avait un penchant pour les drogues. Jules s’empara du second tableau sur roulettes et récapitula les éléments qu’ils avaient sur le défunt.
L’avocate surveilla sa montre, l’interrogatoire était dans un peu plus de deux heures. Elle se connecta sur l’un des ordinateurs du QG et entama une série de recherche sur chacun des visages accrochés sur le tableau.
- Il faudra ajouter un suspect de plus à ta liste. En zonant un peu, j’ai pu tenir le nom du gars qui liquidait une partie de sa came avec Alexian. Il s’appelle Mâcon, un ricain qui traine souvent dans les pattes de qui à ton avis.
- Dimitri Balkichvski.
- Bingo !
- Une jolie coïncidence n’est-ce pas, se réjouit Marie. Voilà une bonne piste.
- Une très bonne, conclut Jules.
Il continua d’écrire sous chaque photographie les mobiles et alibis potentiels. Andreï et Dimitri étaient ensemble, ce qui n’empêchait pas ce dernier d’avoir commandité l’assassinat. Diane était seule selon elle. Il n’avait pas d’information sur les activités de Mâcon, mais nul doute qu’il pouvait être sur place. Betty avait rongé sur frein devant un restaurant, écopant d’un triste lapin.
Trois noms ressortaient : Diane, Dimitri et Mâcon. Jules sentait qu’il tenait enfin le bon bout, il fallait accentuer les recherches sur ces trois là. Si Diane était impliquée, il ne manquerait pas d’enquêter sur Philippe aussi.
Trouver des information sur un homme puissant et médiatique tel que Balkichvski s’avéra une entreprise sans complication. La tâche se complexifia pour Diane et Mâcon, des fantômes. Hormis leur état civil et quelques banalités sans intérêt, les trois amis firent chou blanc. Ils décidèrent de creuser un peu plus sur les autres protagonistes du dossier.
Les imprimantes tournèrent à plein régime et le trio finit par trouver une adresse. Un entrepôt abandonné dans la forêt domaniale d’une petite ville de banlieue : Verrières-le-buisson. Le propriétaire n’était autre que l’inévitable Dimitri. Son locataire : Mâcon.
- Marie, tu assistes à l’audition de Lucas et tu passes voir Alice et sa famille derrière ?
- Sans problème.
- Pas un mot à Alice, tu essayes de prendre Laville père entre quatre yeux. Si tu as du nouveau, tu nous fais signe.
Elle acquiesça. Ses affaires en main, elle déposa un baiser sur la joue des deux garçons et disparut dans un bruit de moteur s’emballant dès les premiers mètres.
- Bounty, on va aller faire un petit tour dans cet entrepôt. Quelque chose me dit qu’une bonne surprise nous y attend et que cette affaire va avancer plus vite qu’on ne l’espérait.
- Je prépare le matériel. On va bien s’amuser, sourit-il.
Pour Jules, plus de doute possible, ces deux là avaient un rôle dans la mort du jeune Alexian. Il comptait bien en rapporter la preuve.
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