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Pour plus de sécurité, Mâcon avait fait ficeler les deux intrus séparément. Chacun sa chaise. Il était comme ça, un peu paranoïaque sur les bords. Qui ne le serait pas avec un fou furieux comme Dimitri Balkichvski, son canon de Magnum en permanence sur la tempe. Il vérifia les noeuds : impeccable.

Ses hommes tentaient de récupérer la drogue au sol. Dans leur folie du tir, il n’avait pas fait attention. Plusieurs balles avaient perforé les poches de cocaïne, déversant leur contenu jusqu’à épuisement. « Une perte colossalle ! » s’exclama le dealer en constatant les dégâts. Heureusement, il avait le nécessaire sur place pour ensacher la poudre.

Mâcon était de mauvais poil, il ne les épargnerait pas.

- Dis-moi mon frère, pourquoi tu traines avec ce blanc-bec ? Il t’a promis quoi en retour ?

Il faisait face à Jules. Du bout des doigts, il bascula la tête de son prisonnier sur la droite, puis la gauche. Il ne l’avait pas encore assez amoché pour qu’il retienne la leçon.

Babacar ne dénia pas répondre.

- Vous bossez pour qui ? Police nationale ? Non, les stups plutôt.

- Vous n’y êtes pas du tout.

Le revers de la main du dealer fouetta la joue de Jules. Il ne broncha pas.

- Touche pas à mon pote toi ! Je vais te crever !

Babacar s’agitait sur la chaise. Dans ses yeux, une haine sans limite pour Mâcon. S’il n’avait pas été attaché, il l’aurait plaqué au sol et frappé jusqu’à ce qu’il crache la vérité.

- Calme-toi negro, on est dans le même camp. Je n’aime pas les gens qui mettent leur nez dans mes affaires. Mon business c’est ma vie. Toute cette came, c’est mon moyen de vivre au jour le jour. Je ne vais pas laisser deux putains de sales merdes niquer mes efforts.

- Nous savons tout.

- Toi tu sais quelque chose ? Tu vois un peu de cocaïne sur la table et hop, tu crois tout savoir ?

Il pointa le canon de son arme sous le menton de Jules. Il cherchait à créer en lui un sentiment de peur, il voulait voir naître sur son visage qu’il lui demande de l’épargner.

Les trois sbires s’activaient. Ce contretemps allait avoir de fâcheuses conséquences. Les plus gros clients de Mâcon n’attendraient pas. Leur commande était astronomique, deux cents kilos pour un prix de trois millions d’euros. Comme disent les américains « les affaires n’attendent pas » ; hors de question de louper ce contrat.

- Que vais-je faire de vous ?

- Vous pourriez nous relâcher, c’est une bonne idée. Nous ne sommes pas venus seuls, bluffa Jules.

- Ah bon ?

- Pensez-vous réellement que pour attraper un gros poisson, deux personnes suffisent ?

Jules avait flairé le coup. Mâcon adorait flatter son propre égo. En caressant l’animal dans le sens du poil, il finirait par lui faire baisser sa garde.

Stressé, le bostonien claqua des doigts. L’un des hommes le regarda et comprit sa mission lorsque son chef fit un geste de la tête vers la sortie. Un petit tour, rien qu’un seul pour se rassurer. Mitraillette à la main, il chargea l’arme et se dirigea d’un pas déterminé vers la grande porte. La lumière naturelle, pourtant filtrée par la sylve, l’avala en un instant.

Babacar continuait de s’agiter sur la chaise. À l’aide de petits mouvements, il tentait de se rapprocher de l’établi. Une lame dentée dépassait, assez pour la faire glisser vers le rebord et l’attraper avant qu’elle ne tombe. Mâcon était obnubilé par Jules, une diversion parfaite.

Le dealer approcha son visage au plus près de celui du blond. Il le détaillait, cherchait à l’intimider et pénétrer dans sa tête.

- Tu n’as pas la tête d’un méchant garçon, alors comment as-tu trouvé ma planque ?

- Vous vous croyez à l’abri de tout parce que votre entrepôt se situe dans une forêt dense, que peu de gens viennent dans cette partie à cause d’un accès plus ou moins difficile.

- C’est le cas.

L’homme leva sa main. Prête à s’abattre une nouvelle fois avec violence, sa trajectoire fut déviée au dernier moment. Il y eut un bruit de verre brisé. Dans la fenêtre au-dessus de la porte, un trou duquel s’échappaient plusieurs fissures. Dans la main de Mâcon, le même trou. Le sang coulait chaudement.

Un hurlement raisonna dans l’entrepôt.

Une nouvelle balle fusa. Elle manqua sa cible. Ni une ni deux, les hommes de main sortirent les kalachnikov. La riposte ne tarda pas. Ils vidèrent les chargeurs en canardant à l’aveugle, sans aucune stratégie, aucune organisation. Il fallait abattre l’ennemi et vite.

Jules ferma les yeux et pria fort pour qu’aucune balle ne se perde. Attaché, il était une cible facile. Son regard croisa celui de Mâcon. L’espoir qu’il eut s’envola quand l’américain continua sa route et se mit à l’abri. Une pluie de plombs troua l’étagère à outil. La belle Ferrari California rouge essuyait rafale sur rafale. Le pare-brise, les portières ou bien les pneus ; rien ne fut épargné.

Babacar avait saisi la lame. Il frottait les dents le plus vite possibles sur l’épaisse corde. Il lui faudrait encore quelques minutes, mais les aurait-il ?

Le sbire de Mâcon sorti fier et valeur se précipita à l’intérieur du hangar. À peine eut-il franchi le seuil que son corps fit un bon en avant. Il s’écroula sur le sol. Son dos se mit à saigner abondamment sous les yeux incrédules de Jules. Un coup de… fusil à pompe. Un malade se dirigeait vers eux.

- Mâcon ! Libère-nous ! cria le jeune blond.

- Crève fils de pute. Tu t’es mis dans la merde, tant pis pour ta gueule !

Un bras dépassa du battant métallique Au bout, une mitrailleuse HK UMP crachant son feu de plomb.

- Mâcon !

Le chargeur vide de l’assaillant tomba au sol. Un nouveau s’emboita. Il était prêt à investir les lieux et répandre la mort.

Babacar accéléra la cadence. Encore quelques mouvements et il aurait les mains libres. Jules serrait la mâchoire, un projectile l’avait touché, lui ouvrant la cuisse gauche. Un filet pourpre se dégageait avec nonchalance de la plaie. Il s’agita sur sa chaise et finit par basculer. La chute fut lourde et son crâne tapa le sol, un voile devant les yeux s’installant.

- J’arrive Jules, j’arrive.

L’africain rompit ses liens. Il se frotta les poignets, détacha les entraves au niveau de ses chevilles et se projeta à vive allure vers son ami. Il tira la chaise sur cinquante mètres pour rejoindre un tas de caisses entreposées. Ses doigts dénouèrent les noeuds. Les cordes n’offrirent pas de résistance.

Le juriste remercia son camarade. Vilaine, la coupure continuait de baver son liquide rouge. Jules s’empara du cordage et l’ajusta pour en faire un garrot. Il serra en veillant à ne pas couper la circulation de son sang à outrance.

- On y va les gars ! Butez-moi ce bâtard !

Les doigts pressèrent les gâchettes pour libérer la vague de balles. Il y eut un long sifflement. Un nouveau trou dans la vitre. Personne n’eut le temps de comprendre qu’une bouteille de gaz explosa.

La bonbonne libéra une sphère de feu, enflammant tout ce qu’elle croisait. Son souffle libéré balaya tout sur son passage. Les briques de drogue s’embrasèrent, plusieurs bidons d’essence prolongèrent le chemin des flammes à travers l’entrepôt. Une épaisse fumée noire s’accumula rapidement, saturant l’air de dioxyde de carbone.

Les hommes de Mâcon furent projetés en arrière. L’un rentra en contact avec la baie vitrée du bureau inférieur. Il était hors d’état de nuire, mais vivant. L’autre n’eut pas la même chance. Si un tas de pneus amortit sa chute, la carcasse de la Ferrari lui retomba sur le cou.

Babacar et Jules se déplacèrent à travers la fumée et les caisses bazardées par le souffle de l’explosion. La cuisse du blond le lançait, l’hémoglobine coulant de plus en plus. Une étagère leur barra la route. Les flammes progressaient de l’autre côté.

- Pas de panique, on va s’en sortir, comme à chaque fois Bounty.

- C’est la merde !

Il saisit le montant d’un des dressoirs et poussa de toute ses forces. L’objet dénia bouger de quelques centimètres, trop peu pour passer. Il retenta sa chance, le bras droit de Jules en soutien. Ils ne réussirent pas à obtenir un résultat plus concluant.

- Vous deux, avec moi.

Dans leurs dos, Mâcon pointait son arme sur eux.

Il était dans un sale état. Hématome sur l’oeil gauche, plusieurs coupures sur le bras, il boitait, assez pour le mettre en difficulté. Sa main sur son ventre masquait une plaie ouverte.

- Vous allez me servir de bouclier face à ce fou. Si je ne m’en sors pas, vous non plus.

- Mais il est complètement perché celui-là ! s’exclama Babacar. On doit tous sortir d’ici sinon on va clamser mec ! Arrête tes conneries.

Il y eut une nouvelle détonation. La structure trembla. Elle faiblissait sous la chaleur de plus en plus intenable, résistant encore, mais elle finirait pas céder.

Mâcon se fit bien plus menaçant. Son canon posé sur le front de Jules, il lança un défi du regard au troisième membre. Babacar serra les dents. L’issue de secours mise en place n’était qu’à une vingtaine de mètres tout au plus. Ils avaient tous une chance de s’en sortir vivants. Il résista un court instant avant de se rendre à l’évidence : en position de faiblesse, il devait céder à la demande de son ennemi.

- Tu es vraiment le pire des enfoirés. La sortie est là et tu veux retourner te faire canarder…

- Je ne t’ai pas demandé ton avis connard. On y va.

L’air brulait les poumons des trois hommes, Jules s’arrêta trois fois pour reprendre tousser. Il se mit à quatre pattes pour inspirer le peu d’oxygène frais qu’il trouvait au sol. L’effet apaisant ne dura pas.

- Lève-toi !

Le dealer attrapa le juriste par le col et le redressa de force, Babacar en joue.

- Mâcon, on sait que c’est vous qui avez tué Alexian. Il vous devait de l’argent, il a tenté de vous doubler.

- Quoi ?

- On a vu votre carnet.

- Je n’ai pas tué le petit Kritovsk. Je n’y avais aucun intérêt, et même tout le contraire. Ce gamin était un putain d’atout pour moi.

Jules adressa un regard d’incompréhension à son acolyte. Tous les indices allaient dans ce sens. Dimitri et lui étaient en danger à cause du gamin, leur business aussi. Ils l’avaient supprimé pour sauver leur peau. Mâcon leur mentait, il tentait de dissimuler son implication dans le meurtre. Il n’y avait pas d’autres explications. À moins que…

- Votre jeu ne prendra pas avec moi.

- Pire, tu nous prends pour des cons mec ! enchérit Babacar.

Mâcon zieuta au niveau de la porte principale. Elle était pliée en deux, le bas arraché sur la gauche et relevé sur la droite. Personne. Il se plaça derrière les deux hommes. Le cortège s’engagea.

- Pourquoi ? Pourquoi l’avoir tué ? Une petite leçon et il serait rentré dans le droit chemin. C’est bien comme ça que vous procédez dans ce milieu, non ?

- Ferme ta putain de gueule, j’ai pas buté ce gamin. Ce soir là j’étais avec…

Ce son si caractéristique du tir siffla dans l’air. Le projectile se logea dans la tête de sa cible. Jules rouvrit les yeux. Il se tourna, le coeur pulsant à mille à l’heure. Le corps sans vie de Mâcon s’effondra.

Sans plus attendre, Babacar prit le pistolet du dealer et les deux compères se précipitèrent vers la sortie. Peu importe ce qui les attendait, mourir asphyxié ou d’une balle dans la tête… Le jeu en valait la chandelle. Encore quelques mètres. L’effort devenait insupportable.

Un duvet d’air frais enveloppa les deux amis qui s’écroulèrent sur le sol jonché de douilles. Au loin, les sirènes des véhicules de polices et des camions de pompiers s’entremêlaient. Le feu déstabilisa la structure, grondant dans une multitude de petites explosions. Jules s’éloigna avec difficulté, mais il n’irait pas plus loin.

- On a perdu les indices, ça m’énerve ! râla-t-il.

- Ou pas mec, j’ai sorti les sacs par la porte de derrière avant que les autres nous attrapent.

- Tu es un putain de génie mec, si tu savais… Je vais finir par demander à ce que l’on te voue un culte. Pars, ne m’attends pas.

Babacar le fixa. Il lui répondit d’un « non » de la tête.

- Casse-toi ! Je vais m’en sortir. Dépêche-toi, Lucas a besoin de ces preuves pour l’innocenter.

Il se résigna. Les sirènes hurlaient à tout va, les pneus crissaient sur le sol. Il ne devait pas perdre une seconde de plus. Il s’éloigne en marche arrière, gardant Jules en visuel. Le blessé lui adressa un pouce, chassant les doutes de son ami. À l’angle du bâtiment, il fit un signe de la tête et disparu.

Sa course fut hasardeuse. Le hangar crachotait sa fumée noire tel un fumeur, masquant la vision de Babacar. Il souffla devant lui, espérant arranger la situation. Brassant l’air avec ses deux mains, il savait que ses efforts ne servaient à rien. Son pied percuta un obstacle : les sacs. Il les ajusta sur son dos et s’enfonça dans le bois, suivant les repères qu’ils avaient placés à l’aller.

Tentant de se relever, Jules ne put que se trainer sur le sol. Au son de la première voiture freinant, il s’allongea sur le sol. Il lutta, la voix d’un pompier lui parvenant aux oreilles, mais ses paupières se fermèrent inéluctablement.

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