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Le silence demeura dans l’appartement. Un seconde qui n’en finissait pas.
Jules n’osait pas ouvrir les yeux, affronter l’horreur qu’il avait provoqué. Babacar, celui qui avait toujours été là à son secours, tué par sa faute. Son héroïsme avait fini par lui jouer des tours. Il ne se le pardonnerait jamais. Les larmes n’eurent pas le temps de couler qu’un cri déchira cette sombre atmosphère.
- Jette ton arme et mets les mains en évidence, exigea une voix familière.
- Putain ! Mais ça fait mal ! Tu m’as niqué la jambe !
Dans le couloir, l’inspecteur Dupuis pointait son arme vers Vladimir. Il avait ouvert le feu une première fois, la balle fauchant le genou droit du criminel. Il n’hésiterait pas à l’abattre s’il tentait le moindre écart.
Jules, toujours tremblant, laisser la lumière du jour gagner ses yeux. Le soulagement l’envahit à la vue du policier. Il se projeta vers Babacar, sain et sauf. Les larmes coulèrent seules, ils étaient passés tout près de l’irréparable. La chance leur avait une fois de plus souri.
Le flic s’approcha de Vladimir et écarta le pistolet de la pointe du pied. D’un regard noir, il déconseilla toute initiative à l’autre assaillant. Portable à la main, Charles Dupuis appela du renfort et demanda qu’une unité de soin soit dépêché. Il y avait eu du grabuge, tous devraient s’expliquer, à commercer par le juriste.
- Aide-moi s’il te plaît Jules.
Il indiqua le genou de Vladimir en piteux état. Une opération s’imposait au plus vite.
- Fais-lui un garrot au niveau de la mi-cuisse, mais ne sert par trop. Tu risquerais d’obstruer la circulation et derrière, c’est l’amputation.
- Ça marche.
Jules s’empara d’un morceau de corde sur le sol et le noua à mi-cuisse. Il serra jusqu’à entendre les gémissement de Vladimir s’accentuer. Mais qu’est-ce que faisait ce truc là ? Le juriste réalisa d’un coup ce qui l’aurait attendu, une claque si forte qu’il s’assit sur le sol, le regard vide.
Lui qui avait toujours penser être à l’abri du danger, plus malin que la moyenne, élaborant des plans infaillibles… Il avait frôlé la mort deux fois en moins de vingt-quatre heures. Arrêter les conneries et se ranger, attendre que Dupuis et son équipe fasse le travail… Ou persister malgré le danger ? Son choix était vite fait.
- Qu’est-ce que vous foutiez ici ?
- On a eu des informations, on voulait les vérifier.
- Des informations ? Mais tu es sur une scène de crime ici Jules ! Je devrais t’arrêter.
- Je sais.
- Je te retrouve sur ma route tout le temps, aujourd’hui encore. Tu vas devoir me dire ce que tu sais, toute la vérité. Je ne peux pas couvrir tes conneries indéfiniment. Tu es sûrement un fin détective, meilleur que la plupart des mecs du service, mais tu n’es pas flic.
Le lieutenant se releva et, avec une prudence démultipliée, il menotta Balou. La manipulation du coude douloureux lui valut un grognement et un juron en russe. Peu importait.
Jules retourna auprès de Babacar. Il était salement amoché, mais le sourire aux lèvres. L’adrénaline parcourant son corps, il adorait cette sensation. Son ami lui procurait la plus belle des drogue : le frisson de l’inconnu. Il faudrait être fou pour suivre quelqu’un dans une telle aventure sans aucune garantie, les risques étaient démesurés. Pourtant Babacar ne pouvait pas s’en passer.
Dupuis convoqua le faussement héroïque Jules dans le couloir.
- Je t’écoute.
Après une légère hésitation, le juriste se décida à raconter l’entière histoire au policier. Chaque détail, chaque fait et geste, tout y passa. L’épisode du commissariat et celui de la visite nocturne dans l’appartement firent bondir Charles. Bien sûr Jules avait largement dépassé les limites, mais il n’aurait pas pu le faire sans les nombreuses négligences commises par les forces de l’ordre.
Le silence gagna les deux hommes. L’un était peu fier, l’autre ne savait comment réagir. Le lieutenant finit par demander :
- As-tu des pistes sérieuses ?
- Quelques unes, mais jusqu’à connaître l’existence de cette cachette, une véritable impasse.
- Que contient la clef ?
- Je ne sais pas, j’ai voulu la connecter à l’ordinateur, mais sans le mot de passe… Son contenu doit être très important pour qu’Alexian la cache, pour qu’il soit torturé puis tué.
- Je vais l’emmener à nos labos d’experts. Ils pourront sûrement la craquer et accéder aux données. Enferra aussi un révélé d’empreintes et d’ADN. On va faire parler ce précieux indice et l’enquête va avancer bien plus vite après coup.
- Hors de question.
Charles se redressa. Il connaissait ce ton, celui du défi lancé par un inconscient n’ayant pas retenu les leçons et prêt à tomber une nouvelle fois dans l’illégalité.
- Tu vas me remettre cette clef ou je te fait embarquer Jules.
- Non.
Balou se mit à rire.
- Elle est belle la police dans notre pays. Tous des gros nazes.
Ni une, ni deux, Babacar se leva et tapa dans le coude du sbire. Réaction immédiate, l’homme se recroquevilla et chouina de douleur.
Sur la palier de la porte, l’unité de renfort ouvrit la porte, les secouristes derrière eux. Tous envahirent la pièce centrale de l’appartement. Charles Dupuis orienta les hommes vers les deux protagonistes. Un médecin et son coéquipier en formation s’occupèrent de la prise en charge de Vladimir. Le plus jeune eut un rictus de dégoût à la vue du genou.
Babacar était au ange. Le sourire gravé sur les lèvres, il laissait une jolie brune lui prodiguer les premiers soins. Quel veinard, se dit Jules. Aucun doute sur le fit qu’il lui raconterait ses exploits et obtiendrait son numéro avec un brin d’insistance. Il était comme ça, sans limite.
- Je n’en ai pas fini avec toi.
Le lieutenant pointait son doigt vers le juriste. Il ne pourrait pas s’échapper e douce et poursuivre son enquête sans affronter le flic.
- La clef, exigea Charles. Tu ne sortiras pas avant de me l’avoir remise.
- Les mecs vont mettre trop de temps ! J’ai besoin de réponses maintenant. Lucas s’est fait agresser en détention, parce qu’il est fils de flic parmi les gars arrêtés par son père. Dès qu’il va sortir de l’infirmerie, il y passera.
- Demandez une mesure d’isolement au juge dans ce cas.
- Foutaise ! Tu sais très bien que c’est inutile, voire impossible avec la surpopulation carcérale. Laisse-moi la clef, je sais où je peux la faire décrypter.
Dupuis comprenait les impératifs de Jules. Il s’en foutait d’être dans l’illégalité si cela pouvait permettre à Lucas d’être innocenté et de le sortir de son enfer. Mais que ce passerait-il pour lui si ses supérieurs apprenaient qu’il avait personnellement participé à cette entreprise ? Il n’osa pas l’imaginer.
- Je ne peux pas.
- Tu es vraiment le pire des sans couilles Charles ! J’espère que ta conscience te permettra de dormir paisiblement dans les jours à venir.
Jules posa l’objet avec rage sur la table, slaloma entre les intervenants et quitta l’appartement sous leurs regards médusés.
Le lieutenant Dupuis passa les dix minutes suivantes au téléphone. Le commissaire Marone voulait être au courant des moindres détails sur ce dossier. Il supervisait l’ensemble heure par heure. La presse s’était emparée de l’affaire et seuls les résultats lui permettrait de s’en sortir.
Le simple prénom de Jules suffit à électriser le dialogue entre les deux hommes. Le plus gradé jura sur tous les saints avant de se calmer. Sans ce juriste déviant, la police serait peut-être au point mort, voire pire, sur une fausse piste. Charles ajouta la triste nouvelle de l’agression du fils Laville pour museler son supérieur.
Le brancard transporta Vladimir qui continuait de gémir. Les plus durs en apparence sont souvent ceux qui sont les plus fragile au fond. Un exemple de plus. Balou aussi ferait un séjour à l’hôpital pour des examens et il retrouverait son compère au poste pour interrogatoire.
Dupuis aida Babacar à gagner la cage d’escalier, scellant définitivement la scène de crime. Les T.I.C passeraient d’ici une heure pour faire des prélèvements et les comparer à ceux déjà présents dans l’appartement la nuit de l’assassinat.
Dans la rue, Jules attendait patiemment que son Sénégalais préféré le rejoigne. Il avait fort à faire et la perte de la clef allait les handicaper. Tout ses efforts pour rentrer bredouille, le juriste bouillait intérieurement.
La porte du bâtiment s’ouvrit.
- On peut y aller gros, lança Babacar. Il va me falloir de la glace et tout, surtout les médocs, c’est la jolie secouriste qui me l’a dit. Et devine quoi, j’ai pécho son numéro.
- Tu es incorrigible.
- Je suis un as de la drague c’est tout.
Dupuis sortit l’instant d’après. Les traits de Jules se contractèrent. S’il n’avait pas été flic, il lui aurait sauté à la gorge, mais le juriste connaissait certaines limites à ne pas franchir. Il tourna les talons est commença à s’éloigner.
- Deux secondes le malin.
La voix du lieutenant.
- J’ai eu le commissaire au téléphone. Avec beaucoup de mal, il a admis que tu étai une aide précieuse pour cette enquête et que sans toi nous serions probablement au point mort. Il est prêt à fermer les yeux sur tout ce que tu as fait d’illégal à une condition.
- Laquelle ?
Jules s’était retourné, une distance de sécurité entre lui et Charles.
- Que tu partages avec nous toutes les informations que tu obtiendras. Si on te couvre, c’est le moins que tu puisses faire.
- Vous faites de moi un indic.
- Exact. Et je veux participer à vos réunions. En échange, je te fournirai tous les documents que l’on a, autopsies, expertises.
- Bases de données ? ajouta Babacar.
Le lieutenant leva les yeux au ciel et secoua la tête. Toujours plus celui-là.
- Si nécessaire. D’ailleurs, l’un des calibres de l’entrepôt appartient à un dénommé Piotr Lizgov, dit « le sécateur ». Connu pour des faits de tortures et actes de barbarie sous l’U.R.S.S., entre autres. Mais jamais aucune preuve matérielle, ni de témoins.
Un nouvelle élément qui renforçait les forts soupçons de Jules. Dimitri et son homme de main n’était pas étranger à la mort d’Alexian.
- Et avant de partir à l’aventure, prends ceci.
Le flic tendit la clef USB au juriste. Il la prit délicatement du bout des doigts et la rangea dans la poche de son pantalon. Tous s’observèrent un court instant. Dupuis finit par dire :
- Fais-en bon usage. Et n’oublie pas notre accord.
- Merci.
Une réponse courte, mais pleine de sens. Jules soutint Babacar pour marcher et Charles les regarda prendre place dans la voiture qui s’éloigna sans perdre plus de temps.
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