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L’ombre rentra avec futilité dans l’appartement. Elle n’avait pas de temps à perdre, ses préparatifs n’étaient pas terminées. Dans un peu plus de vingt-quatre heures, la dernière phase de son plan serait mise à exécution. Oh oui, sa libération se rapprochait, elle savourerait ce moment d’extase.
La porte se referma aussi vite qu’elle s’ouvrit et les ténèbres regagnèrent la pièce. Cette âme noircie par la douleur et la haine bascula l’interrupteur vers le bas, un très faible courant s’échappa et traversa l’habitat. Faible certes, mais assez puissant pour qu’un halo apparaisse au loin dans l’appartement. Assez pour ne pas toucher le locataire.
Les vêtements s’éparpillèrent sur le sol, de la porte à la petite table basse. Il fallait les changer, procéder à une mue, renouveler son apparence pour ne pas être repéré. Dans un sac, des ustensiles pour dissimuler sa véritable identité à cette population qui la répugnait toujours plus chaque jour.
Il lui restait une petite heure avant de se fondre une énième fois dans cette masse d’êtres abjectes. C’était assez pour finaliser la préparation de son arme et préparer son sac de fuite.
- Nous y sommes presque. Un dernier effort et les erreurs du passé seront pardonnées, effacées, oubliées…
La bougie blanche sur le coin de la table se coiffa d’une flamme rouge au coeur jaune. Doucement, elle commença sa descente.
Face à la petite table, ses doigts saisirent une fiole au liquide jaune flou et l’inclina. Quelques gouttes sur une petite lamelle de verre, pas plus. La poudre noire saupoudrée au-dessus réagit instantanément, un nuage de fumée blanc s’éleva dans les airs. Inodore, parfait, mais surtout indétectable avant le moment fatidique.
Le test concluant lui permit de préparer sa véritable bombe. Puissante pour ne pas manquer sa cible, et tant pis pour les dégâts collatéraux. Il y en avait déjà eu un certain nombre et quelques uns de plus ne ferait recalculer la balance du côté de la lumière. Sa douleur le justifiait de toute façon, tous devaient souffrir autant que son coeur depuis toutes ces années.
Son doigt défila sur la liste des étapes à respecter. Tout était chirurgicalement exécuté, quitte à recommencer le même geste une dizaine de fois. soixante grammes, pas plus par cuillère. Trois pour la réaction, la quatrième pour augmenter les effets et une ultime pour le plaisir. Un peu d’isolant pour transporter les différents composants jusqu’au lieu du grand spectacle.
L’individu eut un sourire. Un vrai, pour la première fois depuis une éternité. Le bonheur se rapprocher pas après pas.
- Qu’ils sont tous naïfs, qu’ils sont tous ignorants ! Tu vas être venger, puis nous pourrons redémarrer une nouvelle vie loin de ce monde corrompu par des pseudo valeurs obscurcies.
Son poing tapa trois fois l’accoudoir du canapé. Tant de rage à contenir. Rester lucide, concentrer. Son rythme cardiaque se stabilisa après plusieurs expirations.
La bombe prête, il fallait prévoir la fuite. Le temps serait compter, le lieu serait rapidement en état d’alerte et sortir deviendrait impossible. heureusement, tout était prévu. Avec ce joli costume volé, impossible de détecter le leurre. Une fourmi parmi les autres. Et puis son propriétaire n’en aurait plus besoin six pieds sous terre.
Le récépissé d’une réservation trônait au sommet d’une pile de papiers. Un billet pour Saint-Pétersbourg, mardi 12 septembre 2017 à 19h00. Un seul bagage, il n’y avait pas besoin de plus pour repartir à zéro, juste l’essentiel. Tout le reste alimenterait un bûcher, même son identité actuelle partirait en fumée.
Il en serait de même pour Sacha, de son côté, pour se retrouver le lendemain et disparaitre vers de nouveaux horizons.
- Un peu de patience, juste un tout petit peu.
Sur une feuille, des horaires étaient griffonnés par-ci par là, reportés sur un large plan que l’individu venait de déplier. Tout revoir de A à Z, le timing était essentiel. De nouvelles annotations s’ajoutèrent aux précédentes.
La flamme de la bougie continuait sa descente, le temps tournait sans jamais s’arrêter.
Les rayures sur la liste de matériels indispensables s’enchainèrent à chaque objet disposé dans le sac de sport noir. La corde, les gants, une seconde perruque et le costume. Quelques accessoires pour parer à toutes éventualités et la fermeture glissa pour sceller le bagage.
L’horloge sur le mur indiquait 18h13. Deux minutes avant le départ. L’arrêt du bus nécessitait trois minutes de marche, puis il fallait encore deux minutes pour rejoindre la résidence. Une dernière fois, elle jouerait cette comédie infâme.
Et après, le grand spectacle pourrait commencer.
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