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Les éclats de rire parvenaient jusqu’au hall d’entrée. Une soirée entre personnages importants où champagne à cinquante euros la bouteille, caviar et autres mets succulents se battaient pour caresser les papilles gustatives des convives.
Les portes du salon, fermées, étaient gardées par l’incontournable Piotr. La vue de Jules le réjouit à moitié. Le premier round commençait.
- Que fais-tu ici sac à merde ?
- Ce n’est pas toi que je veux voir, laisse-moi passer.
- Le patron est en pleine réunion d’affaire. Impossible de l’interrompre avant la fin, ce sont les traditions.
Tradition mon cul. Encore une excuse pour mettre Balkichvski à l’abri, le rendre intouchable. Quel coup foireux préparait-il ? Qui était la cible ? Quand l’opération aurait-elle lieu ? Trop de questions, pas assez de réponses. Le juriste se transforma en boxeur.
- Dernier avertissement Piotr, dégage où je t’explose ta face de rat.
- Fais-moi rire, tu es un bon divertissement, français.
Le visiteur déposa son sac par terre, remonta ses manches et fixa l’homme de main d’un regard glacial.
- D’accord sale con.
Le poing du garçon traversa la distance qui le séparait de sa cible en un éclair. Il y eu un craquement à l’impact. Piotr bascula en arrière, percuta les portes du salon qui s’ouvrirent et tomba lourdement au sol. Ses deux mains entourèrent son nez alors que le sang dégoulinait à flot.
Le silence gagna la pièce. Tous se retournèrent pour découvrirent la scène, l’air interrogateur.
- Coucou Dimitri. C’est moi. Désolé pour le retard à ta petite soirée, mais j’ai quelques ennuis entre les hommes de main que tu envoies pour me tuer, la société écran de ton pote Kritovsk.
- Tais-toi ! hurla le Russe.
- Mais il est là ! Mon ami ! (Jules posa ses mains sur les épaules d’Andreï). Il a un peu de mal à viser avec un 38, mais pour ce qui du sniper, c’est une pointe le bougre.
- J’ai t’ai dit de fermer ta putain de grande gueule, enfoiré !
- Ça m’excite quand tu roule les « r », tu sais.
L’homme d’affaire avait déjà quitté sa place. Son pas était dynamique, il fonçait vers Jules sous l’incompréhension général des invités. Sa main se referma avec puissance sur le bras du garçon qu’il sortit du salon aussi vite que possible. Piotr était encore sonné, deux hommes autour de lui pour tenter de le soigner.
- Amenez-le aux urgences, ordonna Dimitri.
Jules adressa un clin d’oeil à sa victime avant de monter les marches.
À l’étage, un long couloir desservait pas moins de six pièces par côté. Dimitri emprunta celui de droite et déverrouilla la deuxième porte à sa gauche. Une tension extrême régnait entre les deux hommes, mais aucun ne céda à la tentation de lâcher le premier coup. Ils cumulaient en eux la rage nécessaire pour vaincre une bonne fois pour toute l’ennemi.
Jules, qui le suivait attentivement, prêt à sortir les crocs pour mordre, pénétra le première dans la pièce.
Il n’y avait rien, à part une chaise et de la corde.
Trop tard.
Une lourde masse s’abattit sur son crâne. Jules vacilla, chercha un appui sans y parvenir. Il tomba à genoux, posant ses mains sur le parquet afin de ne pas s’écrouler. La douleur l’envahit peu à peu, mais le second coup le fit sombrer.
***
- Réveillez-moi cet idiot.
Les deux subordonnés s’exécutèrent. Seaux d’eau en main, il aspergèrent le visage du Jules. Il grogna à moitié dans le hébété. D’un claquement de doigt, Dimitri évacua la pièce. Il était seul avec son meilleur ennemi, en position de force pour en finir.
Sa main fouetta le visage du jeune garçon qui retrouva mollement ses esprits.
- Je vous ai gardé une part de gâteau au chocolat malgré ton petit numéro. J’espère que vous la savourerez avec amour, s’il vous reste assez de dents pour mâcher bien entendu.
Le jeune captif froncé des sourcils, cette impression d’avoir la tête dans un étau ne le quittait pas. la douleur n’était malheureusement pas partie, elle le mordait, l’empêchait de réfléchir correctement. Ses yeux luttèrent pour s’ouvrir. La lumière émise par les néons piquèrent les rétines de Jules qui baissa la tête vers le sol. Rien à faire, il était ébloui.
Il sentit rapidement les entraves au niveau de ses poignets et ses chevilles.
- Ne vous débattez pas, ces liens sont faits pour se resserrer à chaque fois que vous essayerez de vous y soustraire.
- Sympathique…
- C’est mon noeud préféré, avoua Dimitri.
- J’en suis ravi…
Le gaillard s’empara d’une chaise qu’il plaça face à Jules. Il s’y assit, croisa le bras et attendit que le jeune relève la tête. Les secondes s’égrainèrent, il patienta dans un silence religieux. La lune grimpait doucement dans le ciel, les nuages moutonnaient par-ci par là. Un léger vent frais soufflait par intermittence, secouant les volets en bois mal fixés.
Son prisonnier finit par retrouver une bonne partie de ses capacités après une dizaine de minutes. Le face à face pouvait enfin commencer.
- Pourquoi êtes-vous venu ce soir monsieur Jules ?
- Vous le savez pertinemment. Vous avez tenté de me faire éliminer par deux de vos hommes. Avant cela, ils se sont attaqué à ma petite amie. Que ce passe-t-il ? Vous sentez le vent tourner, la fin de votre petit business lucratif. Il faut supprimer tout obstacle.
- Vous êtes un petit fouineur, vous vous attaquez à des hommes qui ne joue pas dans votre catégorie. Les dommages collatéraux sont monnaie courantes chez nous autres, les hommes de pouvoir.
- Je sais tout. Vous êtes au pied du mur.
Les attaques du garçon n’avait aucun impact sur le vieux roc. Sa préparation à la confrontation ne présentait aucun lacune, il avait probablement bénéficié de l’aide de son ami Andreï Kritovsk. La partie s’annonçait tendue.
- Vous avez fait des découvertes très compromettantes, je vous le concède. Mais votre ami est toujours en prison. Votre objectif n’est pas rempli.
- J’ai de quoi vous mettre en cause. Le trafic, la société écran, le fait que Kritovsk est responsable de la mort de votre fils.
Jules avait décidé de frapper fort.
- Vous ne savez rien !
- Je ne connais pas les circonstances, mais les conséquences ne font aucun doutes. Vous vous êtes venger en faisant tuer Alexian, c’est aussi simple. Je n’ai pas l’élément déclencheur.
- Vous vous méprenez.
- Je ne crois pas. Vous avez fait assassiner Alexian pour vous venger de la mort de votre fils, pour faire payer à Andreï sa dette. Expliquez-moi. Quel était votre intérêt ? Je ne comprends pas.
Dimitri tournait le dos à Jules. Chaque mot prononçait se plantait dans son coeur. Il avait caché à tout le monde la vérité, depuis tant d’années. Une seule personne connaissait ce lourd secret qu’il portait. Vingt-huit ans dans un silence qui l’avait privé de bonheur.
Il était grand temps d’avouer à tout le monde la vérité, de cesser cette comédie.
- Vous ne dites plus rien Balkichvski, aurais-je touché la corde sensible ? Pourquoi l’avoir éliminé ? Donnez-moi des explications.
- Je n’ai pas tué Alexian pour une seul raison.
- Laquelle ?
Le silence perdura. Le langage corporel du mafieux trahissait son mal-être, il se triturait les doigts, tapotait du pied sur le sol. La bombe que lâcha Dimitri coupa net le souffle de Jules.
- Alexian était mon fils.
Le juriste était médusé. Le visage marqué, Dimitri se servit un whisky dont il avala un bon quart d’un trait. Il s’était libéré d’un poids, mais avait dévoiler un moyen certain de l’abattre. Lorsque Kritovsk l’apprendrait, il l’abandonnerait sur le champ et tout son projet exploserait. Il le savait, mais son choix était arrêté.
- Cette nuit-là, ma détresse a fait exploser ma vie entière. Ma femme, ma fille, mon fils mort j’ai tout perdu. Je ne saurais vous donner la raison, les souvenirs sont douloureux, la mémoire cherche à les effacer, les modifier pour qu’ils deviennent supportables. Peu importe, je me suis retrouvé avec Ivana dans cet hôtel miteux. Elle était venue simplement pour me remonter le moral, mais elle aussi avait des problèmes avec Andreï.
Avec une attention toute particulière, Jules écoutait le récit du Russe. Peut-être y trouverait-il une information pour lui permettre de piéger son adversaire et le faire avouer.
- Les choses se sont déroulées si vite. J’ai tout de suite comprit que le petit était de moi quand Ivana à changé d’attitude. Elle était froide, distante, elle m’évitait autant que peut se faire. Cette nouvelle épreuve, soldée par un échec encore, m’a fait plonger. J’ai touché le fond avec la drogue. Mais vous savez, une fois dans l’engrenage, il devient impossible d’en sortir, alors j’ai monté mon business.
- Quel lien avec la mort d’Alexian ?
- Aucun. Je me suis servi de Kritovsk pour rester au plus près de mon fils. Il m’avait prit mon petit Alexandr par accident soi-disant, et il me prenait en plus Alexian ! Hors de question ! Jamais je n’aurais fait de mal à ce petit, j’y tenais comme la prunelle de mes yeux.
Le ton de la voix, les larmes chevauchant ce visage à présent plus humain, cet homme disait la vérité. Il était un roc abritant une âme torturée par la vie.
- Monsieur Jules, je sais que vous possédez une clef informatique avec de précieuse informations. Remettez-la-moi.
- Non.
- Je ne vous laisse pas le choix. Je vous y contraindrai si nécessaire.
- Je ne l’ai plus en ma possession.
- Comment ! Où est-elle ?
L’homme coulait sous le poids de ses émotions. Son visage se durcissait, ses muscles se contractaient au moindre geste. Il fallait reprendre la situation en main et au plus vite. Que pouvait-il proposer à Dimitri ? Un marché, oui, mais qu’avait-il à lui offrir ? Pas grand chose.
Dehors, des voix montaient. Une dispute éclatait. Balkichvski s’approcha de la fenêtre, jeté un coup d’oeil sans rien apercevoir. Il se retourna et se précipita sur Jules. Sa tête s’arrêta à dix centimètre du garçon.
- Remettez-moi la clef ou je vous promets que tout vos proches finiront dans un trou. Je vous y enterrerai vivant avec leurs corps.
Un bruit d’affrontement s’élevait depuis l’entrée.
- Vingt-quatre heures et je vous trouve le responsable, en échange de quoi vous me confiez le support USB. Une fois l’enquête clôturée, je vous livrerai les preuves et vous pourrez les détruire.
Ils se fixèrent sans un bruit un long instant.
- C’est un bon deal. Vingt-quatre heures, pas une minute de plus.
La porte de la pièce s’ouvrit avec violence. Dans le cadre, Nicolas Laville et son regard de braise. Dimitri ne bougea pas, puis il se redressa et quitta sans accorder d’intérêt au flic. Jules expira de soulagement.
***
Sur le chemin du retour, le capitaine servit d’oreille à son gendre. Les explications s’enchainèrent sans jamais être interrompu par le flic. Au fond, il était comme ce jeune, un acharné prêt à tout pour les siens. Aujourd’hui, Jules lui avait prouvé qu’il prendrait tous les risques pour sortir Lucas de l’enfer. Et lui, comment l’avait-il traité ? Comme un moins que rien.
Les points de lumières défilaient ici et là comme des espoirs envolés. Plus rien n’avait n’affectait le juriste. Il était dépassé par ce qu’il avait appris. Il faisait fausse route depuis un bon moment, enchainait les erreurs. Tout reprendre, tout analyser avec un nouveau regard.
La voiture ralentit, ramenant le jeune à la réalité. Il ouvrit la porte, et se glissa hors du véhicule. Nicolas Laville se pencha et arrêta Jules.
- Tu remercieras ton ami. Sans lui Dieu seul sait ce qu’il te serait arrivé.
Il n’eut pour réponse qu’un signe de tête.
Dans son appartement, le blond se déshabilla et s’abandonna sous une douche brûlante. La serviette autour de la taille, il s’allongea sur son lit, les bras croisés derrière sa tête. Le réveil affichait minuit et quart. Ses yeux fixèrent le plafond, un large pan plongé dans les ténèbres de la nuit. Son corps réclamait du repos, mais son esprit tournait encore et toujours mille à l’heure.
La réflexion tirailla Jules jusqu’au bout de la nuit. Alors seulement Morphée réussit à adoucir son coeur tourmenté.
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