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La porte du taxi s’ouvrit sur l’entrée du terminal 2 de l’aéroport Charles de Gaulle. La nuit s’installait pour les prochaines heures, ses étoiles comme des milliers de gardiens prêts à veiller sur chaque mortel au pays des rêves. Une jolie et jeune femme descendit et paya sa course avant de récupérer sa valise et son sac à dos. Le chauffeur lui lança un petit haussement de sourcil, sans retour.

Un bref passage dans la rue de son ancien appartement pour constater les dégâts avait été nécessaire pour se rassurer. Toutes les preuves avaient disparu pour de bon, il serait impossible d’établir un quelconque lien entre elle et cette affaire. Le pigeon qu’elle avait choisi avec son frère croupirait en prison pour l’assassinat d’Alexian Kritovsk et les autres meurtres resteraient à jamais des dossiers non résolus.

Montre au poignet, elle scruta le placement des aiguilles : vingt et une heure deux. Son vol pour rejoindre Saint-Pétersbourg partait dans moins d’une heure. Elle s’engagea dans le bâtiment, l’agitation du lieu bourdonnant dans ses oreilles.

Le bonheur d’une famille prête à partir en vacances lui décrocha un sourire, ce sentiment qu’elle avait oublié avec l’abandon de son père. La mort de sa mère n’avait été que le coup de grâce, mais heureusement que la vie lui avait offert l’opportunité de remonter à la surface.

Olga détacha ses cheveux bruns et les secoua avec sa main. Fini les perruques et autres artifices, elle repartirait à zéro lorsqu’elle foulerait sa terre natale avec son frère. Tout reprendre à zéro, une nouvelle vie s’offrait à eux, une aventure remplie de choses positives.

Du haut de son mètre soixante et onze, talons haut de gamme inclus, elle guettait la porte d’embarquement E. Alexandr devait l’y rejoindre au plus tard à vingt et une heure dix. Un banc se libéra un peu plus loin, parfait pour se fondre dans la masse en toute discrétion. Portable à la main, elle se crispa de ne pas recevoir de message.

Les minutes défilaient et personne à l’horizon. Alexandr était un homme ponctuel, ce retard n’avait rien de normal, et surtout ne lui ressemblait pas. Elle prit ses affaires et se dirigea vers le comptoir pour retirer son billet et enregistrer ses bagages.

- Bonsoir madame, que puis-je faire pour vous ?

Ce sourire plein de dents parfaitement blanches, entourées de lèvres maquillées en rouge avec finesse énervait Olga. Elle avait une irrésistible envie de lui mettre une claque à l’hôtesse. Elle expira une longue bouffée d’air avant de lui répondre :

- Je m’appelle Olga Balkichvski, j’ai réservé une place sur le vol n°8257 de vingt-deux heures. Pourrais-je retirer ma place et faire étiqueter ma valise ?

- Avec plaisir. Auriez-vous votre passeport, votre carte d’identité nationale pour opérer les vérifications obligatoires ? demande soeur sourire.

- Bien sûr.

La fermeture du sac à main glissa pour ouvrir sa poche centrale. La jeune femme y plongea sa main pour extirper une pochette bleue. Les documents nécessaires étaient tous là. Elle les présenta à l’employé qui utilisa son sourire de circonstances lorsqu’elle dut faire face à cet alphabet inconnu.

- Serait-il possible d’avoir votre papier officiel en français, je ne suis malheureusement pas russophone, rigola-t-elle.

- Oui, veuillez m’excuser, juste le temps pour moi de le sortir.

Elle poursuivit sa fouille et mit la main sur le papelard administratif. Ultra white le lut et entama les démarches pour valider la place sur le vol.

Olga observa les autres agents de la compagnie aérienne. Elles se ressemblaient toutes, même carrure, même coiffure, et même costume. Un même modèle standard décliné. Ce pays n’était décidément pas normal.

Après un ultime clic, un refus sonore se manifesta.

- Madame Balkichvski, il semblerait qu’il me soit impossible de confirmer votre billet.

- Comment ?

- Je ne suis pas habilitée à vous délivrer votre place. Je ne saurai vous expliquer la raison, c’est la première fois que ce cas m’arrive. Patientez un instant, je contacte mon supérieur.

La jeune employée se tourna pour composer un numéro sur le téléphone fixe. Elle parlait à son supérieur d’une voix mielleuse, de petits rires ponctuels complètement inutiles pour agrémenter la conversation.

La Russe n’en revenait pas. Certes, ce contretemps n’affectait pas son plan de fuite, mais il tombait à un bien mauvais moment. Celle dont la vengeance s’était déroulée sans aucun accroc ne pouvait pas échouer au dernier moment. Et ce bougre d’Alexandr qui n’était toujours pas là.

Un homme chauve, costume aux couleurs de son entreprise, badge pour déverrouiller l’ordinateur et tenter de résoudre le problème. Il tapa son code et recommença plusieurs fois la procédure, sans succès. Le responsable leva les épaules au ciel, incapable de résoudre l’anomalie informatique.

Olga se mit alors à douter. Tous ces imprévus les uns derrière les autres ne pouvaient pas être une pure coïncidence. Sa respiration était plus profonde, plus rythmée. Ses sens s’aiguisèrent, elle détaillait chaque personne dans le hall, prête à bondir si nécessaire.

Ne tombe pas dans la paranoïa ma fille, ce n’est pas le moment. De la vigilance, simplement.

- Mon billet d’avion et plus vite que ça, exigea-t-elle le doigt pointé sur l’hôtesse.

- Mais madame…

Son regard aurait pu assassiner miss ultra white sur place. Sa main sur la poignée de la valise ne cessait de se contracter. Elle perdait patience, un très mauvais signe.

- Je me fous de vos problèmes informatiques, donnez-moi ma réservation !

Le ton montait entre les deux femmes. L’employée avait perdu son sourire, décidée à ne pas se laisser marcher dessus par cette cliente. De l’autre côté, Olga ne maitrisait plus ses nerfs, son instinct de tueuse non loin de là.

La foule appréciait le divertissement offert par la compagnie. Il n’était pas rare que ce genre de scène se produise, un vieil homme défendait la cliente, lui-même ayant dû râler pour que l’on valide son bagage trop lourd d’un demi-gramme. Juste derrière, une mère de famille secouait la tête, affligée que l’on puisse s’en prendre ainsi à une personne en plein travail.

Dans son dos, un homme s’avança silencieusement. Il se stoppa à cinq mètres tout au plus et croisa les bras. La fille Balkichvski ne le sentit pas arriver, trop concentrée sur l’obtention de sa place pour fuir ce pays qu’elle détestait un peu plus chaque seconde.

- Vous cherchez ceci peut-être ?

Cette voix… Elle la redoutait tout comme ce moment. Un affrontement avec la seule personne qu’elle avait estimé être capable de la démasquer. Bien sûr, elle ne pensait pas qu’il l’aurait fait avant qu’elle ne soit dans sa belle et tendre Russie.

- Je crois que sans ce billet, vous ne pourrez pas nous quitter, continua Jules, le précieux sésame entre les doigts.

- Rendez-le moi !

- C’est fini Olga. Alexandr a déjà été interrogé dans l’après-midi. Il nous a tout dit sur votre plan, bluffa le juriste. Ne compliquez pas les choses plus que nécessaire.

La criminelle ne bougeait plus. Panique, stress, elle était prise de court et dans l’incapacité de réagir avec efficacité pour se sortir de ce piège. Une fois de plus, ce jeune homme se dressait sur son chemin. Son unique adversaire, le seul à lui avoir résisté.

- J’aurais dû vous abattre aussi à l’entrepôt.

Jules lui adressa un léger sourire flatteur. Il prit le billet qu’il déchira en plusieurs morceaux sous le regard incrédule de son interlocutrice.

- Vous auriez dû, effectivement.

Olga n’attendit pas pour réagir, ce geste réveilla son instinct de survie. Elle s’empara de sa valise qu’elle déverrouilla et jeta sur le jeune homme. Les vêtements s’envolèrent de toute part. La manoeuvre d’esquive du juriste ouvrit une fenêtre de fuite qu’elle saisit.

Jules sortit de sa poche une radio et l’alluma. Il mit le canal droit et prévint alors ses complices :

- La chasse est ouverte.

Il s’élança vers les escalators et repéra la fugitive dans la foule. La présence de trois agents de sécurité et du Capitaine Laville obligea la jeune femme à tourner sur sa gauche. Tout se déroulait comme prévu. Le juriste dévala les marches deux à deux et courut à grandes enjambées pour ne pas perdre de vue sa proie.

Ce fut au tour de Charlie d’orienter la fuite d’Olga.

Il traversa un groupe de touriste et apparut dans le champ de vision de la tueuse qui n’eut besoin que d’une fraction de seconde pour changer de cap et échapper au lieutenant. Un officier avait sorti son arme, prêt à faire feu. Les touristes fuyaient dans toutes les directions, leur terreur propageait dans de grands cris. Le flic ordonna à son équipe de ranger leur calibre et de dresser une zone de sécurité.

Jules à sa hauteur, ils se mirent à la poursuivre ensemble. Peu à peu, leurs serres se resserraient.

La fille Balkichvski continuait de progresser dans l’aéroport. Elle n’hésitait pas à bousculer toute personne sur son passage pour garder ses distances avec les deux jeunes hommes. Un coup oeil en arrière pour s’assurer qu’ils ne la rattraperaient pas et elle s’engagea dans un couloir plus étroit.

Ce n’est qu’en percutant Alice qu’elle comprit le subterfuge utilisé par le juriste et ses amis. Elle s’était fait berner comme une bleue, elle, l’experte en la matière.

- Terminus. Tu as perdu, rends-toi, ordonna la fille Laville.

- Ça ne se passera pas comme ça, sale pétasse !

Jules et Charles fusèrent jusqu’au couloir, prêts à prendre à revers leur cible, mais ce qu’ils découvrirent leur glaça le sang.

Face à eux, Olga maintenait Alice devant elle, une lame sur la gorge. Dans son dos, un mur. Le couloir qu’elle avait tenté d’emprunter était sans issue. Pour s’en sortir, elle devait revenir sur ses pas, ce qui n’était à présent plus possible.

Charles dégaina son Sig Sauer de son holster et le braqua en direction de cette femme dont le visage n’affichait plus qu’une seule expression : la haine. Jules savait qu’il ouvrirait le feu si une fenêtre de tir se présentait. Néanmoins, le risque zéro n’existait pas et Alice restait dans sa ligne de mire.

- Écoutez-moi ! brailla Olga. Je ne lui ferai pas de mal si vous suivez mes indications. Je ne veux pas grand chose, juste partir en compagnie de mon frère.

- Nous ne négocions pas avec les personnes de… dans cette situation, se corrigea le lieutenant Dupuis. Posez votre arme et libérez votre otage.

- Hors de question !

L’assaillante fit un pas en retrait et pressa un peu plus sur la lame. La peau d’Alice tournait au rouge écarlate, elle ne tarderait pas à toucher la carotide.

Nicolas Laville arriva à l’entrée du couloir. Le choc qu’il encaissa le paralysa. Sa fille, une fois de plus en danger de mort. Jules attrapa le poignet de Charles et lui dit :

- Laisse-moi la raisonner, s’il te plaît.

- Pas cette fois, mec. La situation te concerne directement, je ne peux pas te donner les commandes, il y a d’autres vies en jeu. Fais-moi confiance, je vais te la ramener. Occupe-toi de Laville avant que ses nerfs ne lâchent.

- Si tu te loupes, je te tue.

- Merci pour ton soutien, ça me va droit au coeur Croquette.

Le jeune homme recula d’un pas. Il rejoint son beau-père, sans jamais quitter du regard celle qu’il aimait plus que tout.

Sa gorge se noua, il réprima un cri de rage lorsque son coeur se déchira. Les larmes lui montèrent aux yeux. Face à lui, sa moitié tentait de garder son calme, de ne pas céder à la peur. Il s’était pourtant juré de ne plus jamais la mettre en danger. Il se maudit.

Et pour la première fois, il était vaincu, incapable de trouver une solution pour venir en aide à Alice. Son seul espoir de ne pas tout perdre reposait entre les mains du lieutenant Dupuis.

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