Vendredi 30 août 2019 | Maison des Moon - Chambre d'Addison Moon | 13h42

Recluse dans sa chambre, une magnifique jeune fille aux cheveux bruns fait les cent pas en scrutant les nombreux textos qu’elle vient de recevoir sur son téléphone portable : Addison ne comprend pas ce qui se passe. Elle se demande pourquoi ses amis lui disent que Megan s’est faite tuer. En allant sur Twitter, le hashtag « #AshlowMeurtre » est en top tendance dans l’Idaho. Le portrait de sa défunte meilleure amie apparaît sur chaque tweet qu’elle regarde. Elle ne peut pas croire ce qu’elle a actuellement sous les yeux. Mais lorsqu’elle tombe sur le tweet du Ashlow Daily News, le sang d’Addison se glace instantanément :

@ADNews

Vendredi 30 août 2019 — 12h40

Megan Silver, jeune lycéenne âgée de 17 ans, a été retrouvée morte dans le lac Rhody de la ville d’Ashlow. À ce stade, la piste du meurtre est privilégiée. L’enquête est en cours et supervisée par le sheriff Lindsay Moon.

#AshlowMeurtre #Ashlow #Idaho #MeganSilver #Meurtre #BreakingDailyNews

Les yeux rivés dans le vide, la jeune fille reste figée, en plein milieu de sa chambre d’adolescente et du bazar qui accompagne cet âge : des carnets remplis de secrets qu’on imagine définitifs, des cartons de pizzas, des fringues un peu partout, et des photos prises au polaroid accrochées au-dessus de son lit, et sur la plupart de ces photos, le sourire de Megan près du sien. Le morceau "Summertime Sadness" de Lana Del Rey, se joue dans son enceinte JBL et apporte une atmosphère mélancolique, presque sombre. Addison est sous le choc.

Son amie d’enfance avec qui elle a grandi pendant des années, vient de mourir. Ici, à Ashlow. « Comment est-ce possible », se dit-elle. Elle a beau se poser la question plusieurs fois, la jeune fille ne comprend pas qu’une telle chose ait pu se produire dans sa petite ville. Addison reprend ses esprits et tente un énième coup de joindre sa mère, mais en vain.

Elle abandonne, en pensant qu’elle est trop occupée pour pouvoir répondre. L’adolescente tente sa chance avec Timadie. L’attente de sa réponse la met dans une situation inconfortable. Son stress augmente à chaque tonalité. La fréquence de ses pas devient maladive, au point de heurter les meubles qui se trouvent autour d’elle. Elle ne ressent plus la douleur physique, seulement celle d’avoir perdu Megan. Timadie répond enfin. Addison interrompt sa marche nerveuse abruptement et lance la conversation.

— Timadie, tu es au courant ?

— Oui… j’allais t’appeler justement. Il faut qu’on en parle, mais pas au téléphone. Retrouvons-nous au Hilltop Coffee à 15h, d’accord ?

— D’accord, à plus tard.

Addison met fin à l’appel. Soudainement prise d’une crise de panique, la jeune fille se réfugie dans la salle de bain pour reprendre ses esprits. Elle ouvre le robinet d’eau froide et laisse couler plusieurs secondes, avant de s’asperger le visage. Après quelques secondes à se contempler devant le miroir, Addison décide de sortir afin d’avoir les idées claires, voir du monde et ne pas rester cloitrée chez elle toute la journée.

Elle quitte la salle de bain, retourne dans sa chambre enfiler un t-shirt et un jeans propre et dévale rapidement les escaliers qui séparent le premier étage du rez-de-chaussée. Elle se dirige vers le bol de l’entrée où se trouvent les clés de la maison. Addison les fourre dans sa poche et sort enfin du domicile.

La lourde chaleur frappe de plein fouet l’adolescente, qui s’empresse de boire de l’eau dans sa gourde. Elle essuie la sueur qui perle déjà sur son visage, dévale le perron et manque de se casser une dent en ratant une marche d’escaliers. Elle traverse son immense jardin, avant d’arriver devant le portail semi-ajouré, qu’elle ferme à double tour après son passage.

Elle hésite à se rendre au garage pour prendre sa voiture, avant d’opter pour la marche à pied. « C’est toujours mieux la marche à pied, pas vrai Megan ? Je sais que tu aurais approuvé… ». Elle arpente la longue résidence de Sunshine Lane Street, magnifiée par divers pavillons, plus beaux les uns que les autres.

À moitié camouflé par une centaine d’arbres, le quartier est relativement calme, notamment grâce à ses nombreux résidents du troisième âge et des jeunes familles avec enfants. Elle vire à droite direction Gillian Street. Sur la route, un vétéran embarrassé par plusieurs sacs de course, reconnaît Addison et lui lance un salut militaire. La jeune fille lui rend son geste, puis lui demande :

— Vous voulez que je vous aide, Monsieur Barrett ?

Le vieux monsieur ne répond pas oralement, mais se contente d’un hochement négatif de la tête et d’un sourire. « Megan… Te connaissant, tu aurais insisté pour l’aider, hein… peut-être aurais-je dû insister… ». Addison traverse et continue tout droit en marchant vers le nord-est, afin de tomber sur Francisco Street.

Les rues ne sont pas très animées, seules quelques personnes sont présentes dehors. Était-ce à cause du meurtre de Megan ? Les habitants ont sûrement pensé qu’il était préférable de rester chez soi après ce qu’il venait de se passer.

Le téléphone d’Addison continue de vibrer encore et encore : les tweets continuent de pleuvoir. À tel point, que les hashtags #AshlowMeurtre et #MeganSilver se retrouvent tous deux en top tendances à l’échelle nationale. La jeune fille ne veut pas en voire davantage, sous peine de craquer totalement. Elle ne veut pas se torturer psychologiquement.

— Comme si ce n’était pas assez dur comme ça, rétorque-t-elle.

Addison se convainc de mettre son téléphone en mode avion, au moins jusqu’à ce qu’il soit presque l’heure de retrouver Timadie au Hilltop. Elle a encore du chemin avant d’arriver au centre-ville. Elle attrape sa gourde et s’abreuve d’eau, puis avance vers Coleman Street et constate un changement radical : la population est plus dense maintenant qu’elle se rapproche un peu plus du centre-ville. Il se passe quelque chose, Addison en est sûre maintenant.

Vendredi 30 août 2019 | Station de Police de la ville d’Ashlow | 14h26

Un cortège de journalistes se trouvent sur place et des gens se sont rassemblés avec des pancartes à l’effigie de Megan. Ils se tiennent devant le commissariat en scandant à l’unisson « Justice pour Megan ! ». Il y a des personnes de tout âge, parce que Megan ne faisait pas de distinction entre les générations et que tout le monde l’appréciait.

Addison pense à sa mère qui se trouve inévitablement à l’intérieur du poste de police. Elle veut entrer pour aller la voir, mais pense qu’elle sera plus une gêne qu’autre chose. Tant pis, elle veut quand même tenter de la croiser, peu importe qu’elle soit débordée. Addison se fraie un chemin à travers l’amas de manifestants et parvient tant bien que mal à s’approcher de l’entrée du commissariat.

Mais lorsqu’elle arrive devant l’office de police, elle découvre qu’il est momentanément fermé au public. Deux lieutenants de police gardent fermement l’accès, de sorte que personne ne puisse se faufiler en escaladant le portail. Une décision prise par sa mère, évidemment. Il est inutile pour elle de rester ici. Elle décide de continuer sa route vers le centre-ville.

Vendredi 30 août 2019 | Centre-ville d’Ashlow | 14h54

En arrivant sur Bank Street, rue principale du centre-ville, Addison remarque qu’il ne ressemble en rien à ce qu’il est d’habitude : bondé. Saturé serait même le terme le plus approprié. TD, la banque officielle de tous les habitants d’Ashlow, généralement occupée par une clientèle engorgée, ressemble aujourd’hui à un établissement abandonné. En avançant un peu plus loin vers le nord-est, elle passe devant le Cathy & Friends Bar qui a carrément fermé ses portes.

Le célèbre pub est connu pour son ambiance festive et son atmosphère conviviale. Cathy a jugé préférable de fermer boutique, afin d’honorer la mémoire de Megan. « Merci, Cathy. Même si Megan aurait sûrement voulu le contraire… » dit-elle pour elle-même. Addison connaît bien Cathy & Friends Bar : elle y travaille souvent le week-end et pendant les vacances scolaires. Elle a un nombre impérissable de souvenirs en ce lieu avec Megan et Timadie.

De bons comme de mauvais moments. Comme cette fois où elle avait raté son examen du permis de conduire. Elle avait passé le mois de novembre de l’année précédente à se morfondre et à ruminer son échec. Un jour, Megan s’est pointée en voiture chez Addison, l’a emmenée de force avec elle pour pouvoir l’aider à s’entraîner de nouveau à conduire. Deux mois plus tard, elle avait enfin obtenu son permis. Folle de joie, Addison avait invité Megan et Timadie au C&F Bar dans l’intention de fêter ça. « L’échec est la mère du succès », lui répétait souvent Megan. Une vague de nostalgie envahit la jeune fille, qui reste figée devant la fameuse taverne.

— Quand je pense qu’on avait prévu de se voir ici aujourd’hui. C’est bizarre la vie, dit-elle, envahie d’une profonde mélancolie. Addison se remet péniblement en marche, comme si elle ne voulait pas quitter ce lieu symbolique. Elle quitte Bank St et prend à gauche vers Northgate Mile Street. Elle s’empare de son téléphone portable et envoie un message avec son iPhone à Timadie afin de l’avertir qu’elle va bientôt arriver au Hilltop Coffee.

« Je suis au Hilltop dans cinq minutes. »

En quelques secondes à peine, son amie lui répond :

« Désolé, je vais être un tout petit peu en retard, mais je suis sur le chemin, promis. Tu peux me prendre un Green Lion Mocha à 5$, s’il te plaît ? Je te les rends dès que j’arrive. À toute, xx »

Timadie lui fait toujours le même coup. Timadie lui fait toujours le même coup. Quand elles se donnent rendez-vous, Addison rajoute toujours une marge pour anticiper le retard de son amie, même avec ce délai supplémentaire, qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il neige, elle est toujours la première arrivée.

Vendredi 30 août 2019 | Hilltop Coffee & Diner | 15h07

« J’y suis. À tout de suite. »

Addison arrive en première au Hilltop Coffee. L’ambiance y est tout le temps cosy et il y flotte une agréable odeur de cacao et de chlorophylle, ingrédients qu’ils utilisent pour créer leur fameux Latte à la menthe. C’est ce qu’elle préfère à propos de ce lieu. L’atmosphère satisfaisante et calme où l’on peut discuter avec ses amis de tout et de rien devant une bonne tasse de café. Les couleurs y sont vives et offrent un endroit agréable pour tous les habitués du diner.

Lorsqu'elle franchit le pas de la porte, tout le monde se tait. Elle ne prête pas attention à l’ambiance changeante et aux regards persistants. Addison se contente de faire la queue pour commander, rien de plus. Devant elle, se trouvent deux adolescentes, commérant au sujet de Megan. Là encore, la fille du sheriff préfère laisse couler.

Elle se concentre plutôt sur la carte du café qui se trouve au-dessus du comptoir : Burgers, Cheesecakes, Café, Espresso, Macchiato, Cappuccino, Chai, Latte, Mocha, Milkshakes, Thé, Soda… Il y a l’embarras du choix et Addison n’arrive pas à se décider. Quand ça lui arrive, elle se met à espionner les commandes des autres clients.

Aujourd’hui ce sera donc une part de Cheesecakes au citron vert pour elle. Non. Tout compte fait, Addison ne mangera jamais ça. Tout simplement car elle n’aime pas ces gâteaux caloriques. Elle va prendre un café. Noir. Sans sucres. Car elle est lipidophobe : elle a la phobie de grossir. La jeune fille a toujours fait attention à tout ce qu’elle mange et ne compte pas changer ses habitudes maintenant.

C’est bientôt son tour de commander. Pendant quelques secondes, Addison regarde de tous les côtés les gens qui la dévisagent comme si elle n’était qu'un bout de viande. La fille du sheriff choisit encore de tous les ignorer et d’adopter le « je m’en foutisme ». C’est son tour désormais. Addison s’avance vers le comptoir.

Elle fait face à jeune homme qu’elle croise souvent dans les couloirs du lycée. Austin, est un garçon timide qui ne parle pas beaucoup. Il semble toujours dans son monde ou dans les nuages. Lorsque la jeune fille arrive devant lui, Austin se braque à nouveau. La beauté éclatante d’Addison l’intimide. Au point de bafouiller des mots incompréhensibles. Pour le calmer, Addison avait l’habitude avec Austin : elle pose sa main douce sur la sienne, un sourire amical sur les lèvres.

— Austin, relax. Tu me connais, non ? Depuis le temps que je viens ici. Je suis une habituée, n’est-ce pas ?

— Oui… c’est vrai, répond Austin, en n’osant pas regarder l’adolescente droit dans les yeux. Excuse-moi, Addison. Je vais prendre ta commande.

— Super. Alors, je vais prendre un café noir sans sucres et un Green Lion Mocha.

— Tu prends… comme elle ?

Addison réalise son acte manqué : c’était la commande habituelle de sa défunte amie. Elle comprend aussi dans la remarque d’Austin, que derrière cette petite maladresse, cette timidité qu’il essayait de vaincre mais qui le rendait parfois gauche, il y avait de la tendresse, comme une volonté de lui faire remarquer qu’il faisait attention à Megan, d’ailleurs Addison l’avait toujours soupçonné de l’aimer secrètement.
— Ça fera sept dollars, dit-il, d’un ton navré.

Addison paye en espèces, avant d’aller chercher une table pour deux. La jeune fille redescend en température afin de ne pas exploser devant tout le monde. Elle trouve la table parfaite, au fond à droite, près de la fenêtre, en surplomb et loin des autres clients. Elle se dirige vers cette dernière, esquivant du regard un raz de marée de curiosité et s’assoit pour attendre sa commande et Timadie. Tout le monde dans le café continue de la regarder.

Addison continue elle aussi de tous les effacer de sa mémoire en mettant son nez dans son portable. Mais ce n’est pas assez. Elle en a marre et ne veut finalement pas rester une seconde de plus dans ce café de stalker.

La fille du sheriff se lève de sa chaise pour se diriger au comptoir et prendre sa commande à emporter, avant de se heurter à une éblouissante jeune fille aux cheveux noirs de jais. Cette dernière la prend dans ses bras sans hésiter. Ce parfum, Addison le reconnaît entre mille. C'est celui que porte sa meilleure amie, Timadie. Les deux filles s’étreignent fort.

­— Pardon pour mon retard, Adi’. C’est ma mère qui m’a pris la tête. Elle ne voulait pas que je sorte à cause de la mort de Megan.

— Ce n’est pas grave. Je suis contente que tu sois là. Allons-nous en maintenant. Je ne supporte pas ces regards incessants de jugements.

— On s’en fiche qu’ils nous regardent, Addison. Je suis là pour toi, pas pour eux. Allons-nous asseoir.

— Bon d’accord, acquiesce-t-elle, en montrant la table où elle était assise à sa meilleure amie.

« Oh putain de merde ! Elles sont là ! Je vous l’avais dit ! »

Le sang d’Addison se glace, en reconnaissant cette voix ô combien agaçante. Celle de la reine des garces. En se retournant, elle voit au loin une blonde super sexy, accompagnée de ses plus fidèles copines. La fille du sheriff met ses mains sur la tête et dit :

— Oh non, putain.

— Quoi, qu’est-ce qu’il y a, Addison, demande-t-elle en attendant son Mocha.

— Regarde qui est là.

Sandy Price entre à son tour, accompagnée de plusieurs de ses copines. C’est la fille que tu ne peux pas lâcher du regard, tant sa beauté naturelle éblouit. Son insolence, son extrême confiance en elle, et son regard qui semble défier l’humanité entière sont autant d’arguments qui en font une fille à la fois détestable et envoûtante. Sa popularité et sa façon de cristalliser les attentions ont fait d’elle la cheerleader de l'équipe masculine de football américain et la fille la populaire du lycée d'Ashlow. Elle sort aussi avec le quarterback des Ashlow Deers : Steeve Cheng. Si Timadie la déteste autant, c'est parce qu'elle lui a volé Steeve.

Depuis, les deux filles ne peuvent plus se voir en pâture... mais aussi car elle s'en est prise à Megan au collège et au lycée avant qu'Addison ne lui règle son compte une bonne fois pour toute. Son plus grand accomplissement est sa carrière de mannequin. En effet, elle a remporté la victoire au concours de Miss Idaho en 2019, ce qui va la conduire à participer à Miss America. Elle fait la fierté de toute la ville, et est quasiment intouchable à Ashlow.

Et sa notoriété ne s'arrête pas là, puisqu'elle cumule actuellement plus d'un million de followers sur ses comptes Instagram, Twitter et Tik Tok. Sandy Price semble avoir un avenir tout tracé. Tout ce qu'elle attend, c'est d'accéder au niveau supérieur, afin de pouvoir s'émanciper et quitter la ville d'Ashlow qu'elle qualifie de "trou du cul des États-Unis". Quand son regard croise celui de Timadie, la jeune fille se met subitement à éclater de rire. Timadie enrage, mais Addison prend sa main et la supplie de garder son calme, quoi que Sandy dise.

— Putain, elle vient vers nous cette connasse, dit Timadie en se mettant rapidement sur les nerfs.

— Surtout reste calme Timadie, répond Addison. Pas de bêtise, ok ?

Mais quand il s’agit de Sandy, la fille aux cheveux cendrés perd toute notion de self-contrôle. Elle lui voue une haine sans pareille et rêve de la tuer, encore et encore. La mannequin blonde s’arrête à la table des deux meilleures amies.

— Les filles. Toutes mes condoléances. J’ai cru comprendre que la rouquemoute ne serait finalement pas présente au bal de cette année… ni à aucun autre d’ailleurs, dit-elle, un large sourire aux lèvres.

— Quoi ?! Espèce de… !

­— Tim’ ! Ne rentre pas dans son jeu, dit Addison, en calmant sa meilleure amie. Elle n’en vaut pas la peine.

— Quelle grosse connasse ! Addison... je sens que la dernière année va être explosive, répond Timadie.

La meilleure amie d’Addison ne peut s’empêcher de suivre Sandy Price des yeux, alors qu’elle se dirige vers la sortie du café avec ses copines.