Le hareng rouge
Mardi 25 septembre 2019 | Station de Police d’Ashlow |12h00
Aujourd’hui est une journée que le sheriff Lindsay Moon n’oubliera probablement jamais. Une journée lourde, écrasante. Le genre de jour où l’air est plus épais, où respirer coûte un effort, où un regard porté sur elle pèse comme une accusation ou un espoir déplacé. Depuis l’arrestation de TLK alias Thomas Washington, désormais surnommé le "Boucher du Rhody Lake Park" par les médias, Ashlow est devenue un nid de vautours. Des journalistes venus de tout l’État, parfois même de l’autre bout du pays, ont envahi la petite ville, transformant son calme sinistre en un brouhaha incessant de caméras, micros et de flashs intempestifs.
La salle de conférence du poste de police, d’ordinaire vide ou réservée à des réunions ennuyeuses comme par exemple l’entretien des routes, est méconnaissable. Tous les sièges sont occupés. Des trépieds débordent dans les couloirs. Les projecteurs braqués sur elle chauffent sa peau comme des flammes lentes. Lindsay est là, droite face au pupitre, sa veste kaki parfaitement boutonnée, ses cheveux attachés de manière stricte, les traits tirés.
Elle balaie la pièce du regard. Un geste mécanique, répété mille fois, mais qui trahit aujourd’hui une nervosité inhabituelle. Les flashs des appareils photos crépitent sans relâche, l’aveugle à intervalles irréguliers, comme des éclairs dans une tempête qu’elle aurait voulu éviter. Elle cligne des yeux, se protège vaguement le visage d’une main tendue, mais la lumière la harcèle, inépuisable. Les éclats vole un peu plus de son énergie, elle se fait lentement drainée.
La fatigue est bien ancrée sous ses paupières, dans ses os, dans sa nuque raide. Et malgré cela, une autre sensation vient s’y mêler, sourde, mais inquiétante : le stress. Il monte en elle comme une marée noire, incontrôlable. Pourtant, elle devrait se sentir soulagée. L’affaire est résolue. Du moins, c’est ce que tout le monde pense.
Addison, sa fille, son héroïne, sa lumière dans cette nuit interminable a neutralisé Thomas Washington après une traque sans merci. Grâce à Addison et Timadie. Ensemble, elles l’ont attrapé. Ensemble, elles ont mis fin à cette série d’horreurs. Ashlow peut enfin respirer. Et pourtant, Lindsay ne respire pas.
Un frisson lui parcourt l’échine. Ce n’est pas une pensée claire, pas une logique précise, juste un nœud invisible qui se resserre dans son ventre. Quelque chose cloche. Un truc en elle résiste à l’apaisement général. Pourquoi ce sentiment de fin inachevée ? Pourquoi ce goût amer dans sa bouche, comme si elle venait de dire une vérité éronnée sans s’en rendre compte ?
Son regard s’égare encore, poussé par un instinct qu’elle ne comprend pas. Et alors elle le sent : ce regard sur elle. Un regard précis. Insistant. Inexplicable. Le genre de regard qui transperce. Celui qu’on sent avant même de le croiser. Elle tourne la tête. Et elle la voit : Mia Wells.
La journaliste névrosée est postée dans un coin reculé de la salle, à l’écart des autres. Elle ne tient ni micro, ni carnet. Elle ne filme pas. Elle ne parle pas. Elle observe. Et son regard, posé sur Lindsay, est tout sauf anodin. Il y a dans ses yeux une tension, une alerte, presque une urgence. Elle ne dit rien, mais Lindsay sait : Mia essaie de lui faire passer un message. Il y a quelque chose qu’elle a deviné. Quelque chose qu’elle sait ou croit savoir. Peut-être n’a-t-elle aucune preuve. Peut-être est-ce juste une intuition. Mais elle est là, gravée dans ses pupilles, ses yeux frappent Lindsay en plein visage.
La sheriff fait un pas en avant, hésite, jette un rapide coup d’œil à la salle. Tous ses yeux sur elle. Tous ces vautours qui attendent. Pourtant, elle veut quitter le pupitre, se précipiter vers Mia, lui demander ce qu’elle sait. Mais Mia lève la main. Un petit geste, discret, précis.
“Plus tard.”
Lindsay reste immobile. Hoche la tête lentement. Ce simple mouvement lui coûte toute sa volonté. Puis elle inspire, se redresse. Et se tourne à nouveau vers la salle. Le sheriff ajuste le micro, le gratte d’un doigt tremblotant. Une vague de chuchotements se lève dans la salle. Elle respire profondément, inspire la tension, expire la peur. Puis elle parle, d’une voix claire mais légèrement rauque. Elle commence son discours.
— Merci à tous d’être présents aujourd’hui. Je sais que la ville d’Ashlow a traversé des semaines de terreur et d’incompréhension. Des familles ont été brisées. Des vies ont été volées. Et pendant tout ce temps, une seule question revenait : qui ? Qui pouvait faire ça ? Qui pouvait porter un masque et s’attaquer à notre communauté avec une telle cruauté ? Et pourquoi ? Aujourd’hui, je peux enfin vous donner une réponse. Thomas Washington, plus connu sous le pseudonyme de TLK, a été arrêté hier dans la journée vers 14h, après le courage exemplaire d'Addison Moon, ma fille et sa meilleure amie, Timadie Fisher, actuellement hospitalisée pour des blessures causée par arme blanche. Ses jours ne sont pas comptés, Dieu merci. Thomas Washington est désormais en détention, dans un lieu sécurisé. Il ne nuira plus à personne. Il a avoué de lui-même sa responsabilité dans les meurtres de Megan Silver, Cassie Bonega, Jeff Bonega, Rebecca Diaz, Sandy Price et Steeve Cheng. Ce cauchemar est enfin terminé. Enfin… Je voudrais pouvoir dire que c’est terminé. Vraiment. Mais il y a quelque chose que je dois partager avec vous. Quelque chose d’important. Ce genre d’affaire… laisse des traces. Des cicatrices que la justice ne referme pas toujours. Ce n’est pas un criminel que nous avons arrêté. C’est un esprit malade, oui. Mais peut-être aussi le symptôme d’un mal plus profond. Quelque chose qui, je le crains, court encore dans les rues sinueuses de notre ville. Ashlow n’est pas une grande ville. On se connaît tous ici, de près ou de loin. Et pourtant… personne n’a rien vu venir. Ou alors, on n’a pas voulu voir. Moi la première. C’est pourquoi, à compter de ce jour, nous allons revoir nos méthodes, nos dispositifs d’alerte, et surtout, notre capacité à écouter. Les signaux étaient là. Trop faibles, trop bien cachés… mais présents. Je tiens néanmoins à remercier tous ceux qui se sont levés face à la peur. Les enquêteurs, les médecins légistes, les citoyens ordinaires… et ma fille, Addison, puis Timadie. Elles ont fait preuves d’un courage que peu de gens possèdent. Si nous avons pu arrêter TLK, c’est en grande partie grâce à elles. Mais ce que je vous demande aujourd’hui, c’est de rester vigilants. Ce n’est pas un appel à la paranoïa. Juste un rappel de conscience. Ne laissons pas ce que nous avons vécu être effacé trop vite. Car dans l’ombre, le silence fabrique parfois des monstres. Et je ne suis pas certaine… que celui que nous avons arrêté soit le seul. Voilà, je vous remercie. Je vais maintenant répondre à quelques questions.
Un court silence suit la fin du discours. Puis des murmures imprégnés d´inquiétudes s'élèvent post-conférence : “Qu’a-t-elle voulu dire ?” Lindsay lance quelques regards vers Mia Wells. Cette dernière reste toujours droite, la culture du silence dans la peau. Puis, comme un barrage qui cède, les réactions explosent enfin.
“Sheriff Moon ! Sheriff Moon ! Est-ce que vous insinuez qu’il y aurait d'autres complices ?"
“Vous avez parlé d’un mal plus profond. Est-ce que la ville est encore en danger ?”
Les micros s’agitent. Les caméras se braquent plus formellement sur elle. Lindsay lève les mains pour demander le calme, mais les voix s’entremêlent dans un tourbillon infernal.
“Pourquoi ne pas divulguer tous les détails de l’affaire ? Le public a le droit de savoir.”
“Est-ce que Thomas Washington a laissé un manifeste, un message, quelque chose pour nous faire part de ses sombres desseins ?"
— Ce que je dis, c’est qu’une enquête de ce genre ne se termine jamais complètement avec une arrestation. Il reste encore des zones d’ombres qu'on doit mettre en lumière. Des incohérences que nous sommes en train de vérifier. Nous ne pouvons pas tirer de conclusions trop hâtives. Mais par principe de précaution, oui, je demande à chacun de rester vigilant.
Un journaliste de Channel 7 enchaîne aussitôt :
“Sheriff Moon, est-ce que vous avez des raisons précises de croire que d'autres tueurs pourraient encore être en liberté ?”
Elle marque un silence. Ce journaliste-là ne l’a pas ratée. Elle aurait pu répondre non, rassurer un chouïa. Mais ce serait mentir comme une arracheuse de dents. Et en tant que Femme de Loi, le mensonge ne fait pas parti de sa personnalité.
— Désolé, je ne peux ni confirmer ni infirmer cette hypothèse à l’heure actuelle.
Des murmures, à nouveau. Des regards échangés entre les journalistes. L’information se propage déjà à toute vitesse.
“Est-ce que votre fille Addison est en sécurité ? Va-t-elle témoigner contre Thomas Washington ?” lance une autre voix dans la foule, plus agressive.
Lindsay serre les dents. L’instinct maternel rugit en elle.
— Je ne commenterai pas la vie privée de ma fille. Tout ce que vous devez savoir, c'est qu'elle a fait preuve d’un courage exceptionnel. Elle ne portera pas ce fardeau sous le feu des projecteurs. Elle restera loin de cette affaire désormais. Addison en a déjà assez fait comme ça.
Un ton ferme, net. La salle comprend que sur ce point, la discussion est close. À l’arrière, Mia Wells n’a toujours pas parlé. Mais elle n’a rien raté. Son stylo gratte furieusement sur son carnet. Elle n’a pas posé de question. Pas encore. Elle attend sagement sa conversation privée avec Lindsay.
***
La salle de conférence se vide lentement. Les journalistes remballent leurs micros, les caméras s’éteignent une à une. Lindsay descend du pupitre, encore secouée par la tension de l’exercice. Elle rejoint Mia Wells près d’une porte latérale, à l’écart de tous.
— Suis-moi. murmure Lindsay.
Elles empruntent un couloir discret menant à une petite salle de débriefing, normalement réservée aux officiers. Une fois à l’intérieur, Lindsay verrouille la porte derrière elles. Les voila seules dans ce couloir sombre, à l'écart de toutes indiscrétions. Les non-dits peuvent enfin être dévoilés.
— Bon, tu peux me dire ce qu’il se passe ? demande Lindsay, les bras croisés, sur la défensive. Je sens que tu as quelque chose pour moi, alors... qu’est-ce que tu sais que je ne sais pas ?
Mia s’avance, sort de sa sacoche un petit carnet noir, élimé, couvert de notes griffonnées à la hâte.
— Bon écoute, j’ai passé les trois dernières semaines à enquêter sur TLK dans mon coin, en parallèle de ton enquête officielle.
— Mia. Tu te rends compte que tu viens de t’incriminer devant moi, le shérif d’Ashlow ? lance Lindsay avec ironie.
— J'en ai rien à foutre, Lindsay. De une parce que des vies sont en jeu, dont celle de ta fille, et de deux parce que ce que j’ai découvert est beaucoup plus important que tes règles à la con.
Elle lui tend une photo prise. Un cliché en noir et blanc, capturé par une caméra de surveillance privée, quelques jours avant l’arrestation de Thomas Washington. On y voit un homme encapuchonné, drapés tout en noir, debout, devant la maison de Cassie Bonega.
— Ce jour là, lorsque Cassie et Jeff sont tués, ce n’est pas Thomas Washington sous le masque. dit Mia. Regarde la carrure. Le port de tête. Et surtout, l’heure. Washington était à une soirée caricative avec ses parents. Je le sais, car j'y étais aussi.
Lindsay blêmit. Elle s’appuie contre le mur.
— Ça voudrait dire que... qu'on s'est trompés de coupable ?
— Non. Tu sais aussi bien que moi qu’on ne fait jamais d’erreur avec des preuves ADN et des aveux. Mais tout ça… Mia s’approche d’elle, son regard intense. Tout ça, c’est trop net. Trop parfait. Comme si quelqu’un voulait qu’on le trouve. Un hareng rouge.
Un frisson traverse Lindsay.
— Tu penses qu’on a attrapé un faux TLK.
— Non. Je pense qu’on a attrapé un TLK. Mais Pas "LE" TLK.
Un long silence se dessine entre les deux femmes. Puis Mia sort une dernière pièce de son dossier : un enregistrement audio, qu’elle lance depuis son téléphone. Une voix, étouffée, tremblante :
« Madame Wells... ce n’est pas fini. Il est encore là. Il nous stalke, moi et Thomas.»
— Qui est-ce ? demande Lindsay.
— C'est Jasmyn Hill. La fille disparue, la copine de Thomas Washington. Elle m'a envoyée ce message avant de disparaître le jour même. Un jour avant l'anniverssaire sanglant de ta fille. Et ce n’est pas tout…
— Attend, c'est une blague ou quoi ?! Tu avais tous ces éléments avec toi et tu n'as pas daigné m'en parler ?! Moi, le sheriff de cette putain de...
Mais à cet instant, quelqu’un frappe à la porte. Une voix masculine appelle depuis le couloir :
— Sheriff Moon ? Il faut que vous vous rendez dans votre bureau. Immédiatement. C'est Maria Silver... elle veut parler à Thomas Washington.
— Putain de merde, Maria... souffle-t-elle, exaspérée.
Lindsay échange un dernier regard tendue avec Mia. Elle ne compte pas la laisser filer. Elle veut lui faire cracher toutes ses sources et tout ce qu'elle a récolté de cette saleté d'affaire. Dans le cas contraire, Mia s'expose à une peine de prison pour entrave à la justice.
— Lieutenant, emmenez Madame Wells dans la salle d'interrogatoire.
— Lindsay, tu n'es pas sérieuse, là ! Je suis venue pour aider, et toi tu m'embarques ?!
— Tant mieux si tu es venue aider, car tu vas me donner tout ce que t’as sur l'affaire, ou je t'enfermes pour entrave à une enquête judiciaire. Réfléchis bien à ce que tu vas faire. Je reviens te voir dès que je peux.
Le lieutenant de police, sous les ordres de sa superieure, embarque la journaliste en salle d'interrogatoire.
— Putain de merde, Lindsay ! Je savais que je n'aurais pas dû venir te voir ! Piètre sheriff ! Bave de colère Mia, en se faisant embarquer par le lieutenant de police.
Mardi 25 septembre 2019 | Hôpital d’Ashlow | 12h44
Le couloir du troisième étage est d’un calme assourdissant, troublé par les cliquetis lointains des chariots, les murmures voilés du personnel soignant, les pas incessants d’Addison qui tourne en rond depuis près d’une heure. Ses baskets crissent sur le sol lustré, elle marque ses va-et-vient d'une nervosité contenue. Elle passe une main dans ses longs cheveux lisses, jette des regards furtifs en direction de la porte blanche sur laquelle est inscrit en lettres noires et impersonnelles : « Chambre 306 ». À l’intérieur, repose Timadie, sa sœur d’âme. Depuis hier, Addison n'a pas quitté l’hôpital. Elle a dormi sur une chaise pliante, mangé des barres de céréales bio achetées au distributeur, s'est lavée à moitié dans les toilettes du hall. Elle ne rentrera pas que tant que Timadie ne sera pas sorti d'affaire. Elle ne peut pas, ne veut pas. C'est désormais la seule meilleure amie qui lui reste. Elle fera tout pour la protéger. Maintenant, le moindre battement de cœur de Timadie compte plus que tout le reste.
Derrière la porte close, dans cette chambre aseptisée où l’odeur du désinfectant se mêle à celle, plus douce, des draps propres, Timadie ouvre lentement les yeux. La lumière crue du néon la frappe de plein fouet, et elle cligne plusieurs fois des paupières, comme si elle devait réapprendre à voir. Son corps est lourd, engourdi, une douleur sourde pulse dans son ventre. Elle sent la présence d’un corps étranger dans son bras : la perfusion, toujours là, injecte un médicament au nom imprononçable, censé apaiser ses douleurs. Mais elle ne veut plus de tout ça. Ni de la douleur, ni des soins. Elle pense simplement à quitter l'hôpital et rentrer chez elle. Revenir à quelque chose de normal, de tangible. Son lit. Sa chambre. Son miroir fendu. La musique du glacier qui passait à dix-sept heures trente dans son quartier. Tout sauf cette atmosphère de maladie.
Elle inspire profondément, comme pour se donner du courage, et tire d’un coup sec sur le tube de la perfusion. La jeune femme sent une légère brûlure dans ses veines, mais elle serre les dents. Le plus dur est déjà derrière elle. Timadie a survécue. C’est déjà un miracle. Alors à quoi bon rester ici, prisonnière d’un lit étranger ? Elle pousse les draps, met les jambes au sol. Un vertige la saisit aussitôt, mais elle ne se laisse pas abattre. À petits pas incertains, comme une enfant qui apprend à marcher, elle avance vers la porte. Quand elle l’ouvre enfin, le monde de Timadie bascule dans une autre réalité. Celle qu'elle chérit plus que tout au monde : la liberté.
Addison, surprise, s’arrête net dans sa marche. Elle reste bouche bée en voyant Timadie, en chemise d’hôpital, pâle comme un fantôme, les cheveux en bataille et les bras nus, debout face à elle, sans perfusion ni assistance. Le sang d’Addison ne fait qu’un tour.
— Mais qu’est-ce que tu fous, Tim’ ?! s’écrie-t-elle en se précipitant vers elle. Tu tiens à peine debout ! Tu devrais être au lit, pas ici, à jouer à les héroïnes de série B !
Timadie la fixe, le regard un peu flou, blasé, mais déterminé. Elle n’a pas l’énergie de crier, mais les mots qu’elle prononce sont chargés de cette obstination typique d’elle, cette force tranquille qu’Addison connaît trop bien.
— Non. Je rentre chez moi. J’en ai marre, murmure-t-elle, la voix éraillée.
Addison secoue la tête, à la fois exaspérée et bouleversée. Elle la soutient par le bras, la sent vaciller, mais n’essaie pas de la ramener en arrière. Pas tout de suite. Elle l’aide à s’asseoir sur le banc le plus proche, juste en face de la grande baie vitrée qui donne sur le parc de l’hôpital. Les arbres y perdent leurs premières feuilles, tâchées de rouille, le vent d’automne secoue paresseusement les branches.
— Tu ne peux pas partir comme ça, Tim. T’es pas en état. T’as failli crever, merde !
— Justement, chuchote Timadie, les yeux fixés sur le paysage. J’ai failli crever. Alors j’ai pas envie de passer une minute de plus dans ce lit. Maintenant que toute cette histoire est terminée, que dis-je, ce cauchemar ! J’veux vivre, tu comprends ?
Addison reste stoïque. Une partie d’elle comprend, oui. Elle compatit pour son désir brûlant de refuser le rôle de la victime, de retrouver un semblant de contrôle. Mais l’autre partie, celle qui a veillé pendant une nuit entière, qui a eu peur comme jamais, qui s’est accrochée à la moindre variation sur le moniteur cardiaque, cette partie-là veut hurler, la supplier de rester, de guérir complètement.
— Oui je comprend, je t'assure. Mais tu crois que vivre, c’est te lever, arracher ta perf et partir sans prévenir personne ? Tu vas t’éffondrer dans la rue et finir encore pire, c’est ça ton plan ? Parce que si c’est ça, c’est égoïste. Tu penses à moi ? À ta mère ? Aux gens qui tiennent à toi ?
Brutalement, Timadie attrape Addison par les épaules, une expression grave, éclaté dans les yeux, le visage déformé par la fatigue, le stress, shootée aux calmants. La jeune femme ressemble à un cadavre, prêt à s'éffondrer. Presque une folle à lier avec ses cheveux en bataille. Addison, oppréssée, ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle essaie de se défaire de l'étreinte violente de sa meilleure amie, mais n'y échappe pas.
— Tu me fais confiance, Adisson ?! Demande-t-elle, dans l'urgence.
— Toujours ! Mais là, tu me fais mal, Tim' ! Lâche mes bras !
— Je m'assure juste d'avoir ton entière attention, alors regarde-moi bien dans les yeux !
— Ok vas-y, dit ce que tu as à dire ! Répond Addison, agacée.
— Je suis convaincue... que Thomas n'est pas TLK.
Addison écarquille les yeux. Elle prend cinq secondes à toiser sa meilleure amie avec un air perdu. Elle ne comprend pas les dires de Timadie, ne sait pas si elle doit continuer à l'écouter, ou bien la renvoyer dans sa chambre d'hôpital. Et pourtant, malgré son état groggi, elle semble plus que sérieuse.
— Ok donc, explique-moi pourquoi tu penses ça au juste ? Tu as pris trop de morphines ou quoi ?
— Thomas est un leurre, Addison ! Je l'ai vu à l'oeuvre lorsqu'il m'a attaqué ! Il aurait pu me tuer, clairement ! Mais je l'ai trouvé faible, hésitant ! Et il n'a touché aucun de mes points vitaux.
— Où tu veux en venir, Timadie ? Demande Addison en se mettant sur la défensive.
— Ce que je veux dire, c'est que le vrai TLK, lui, est vicéral dans sa façon d'opérer. Jamais il ne laisse ses victimes avec de simples blessures ! Rappelle-toi les corps de Sandy et Steeve ! C'était une véritable boucherie, ils étaient méconnaissable !
Addison se rappelle bien des corps de Sandy et Steeve et surtout la brutalité de leur mort, vu qu'elle a été aux premières loges. Une torture psychologique qui l'obsesse, Steeve et Sandy, les entrailles à l'air. Elle y repense maintenant, les images sanglantes dans son esprit lui donnent des hauts le cœur, mais elle ne veut pas montrer ses faiblesses devant Timadie. Alors la jeune Moon résiste, montre un faciès impassible.
— Si ce que tu dis est vrai, il faut qu'on trouve des preuves ! Et je ne vois pas comment y parvenir sans passer par ma mère. Elle ne voudra en aucun cas que je me replonge dans cette histoire.
— Moi je pense savoir où trouver des preuves. Et c'est au lycée !
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