Solitude ...
Solitude...
Vieille garce, putain céleste, maîtresse-fantôme
Je te connais comme ma propre ombre, comme le revers de mon âme
T'ai tant arpentée de long en large, en tous sens
Jusqu'à m'abîmer en toi, me diluer dans ton encre de seiche
Ô Solitude des multitudes, des mascarades mondaines !
Quand rien ne fait barrage, quand rien ne jette un pont
Entre mon être chaotique et ces pantins qui s'agitent
Si creux, si futiles, d'une vacance épileptique
Qui me tétanise d'effroi et d'ennui infini
Solitude de l'antre marital, sépulcre de chairs transies
Deux noyés s'agrippant dans le noir visqueux des draps
Chacun prisonnier de sa nuit, retranché dans son île
À portée de main, à mille lieux pourtant
Seul, irrémédiablement seul
Solitude des aubes blafardes, pétrifié à ma croisée
Telle une gargouille scrutant l'agitation indécente des vivants
Atome aberrant, fou-météore zigzaguant sur l'échiquier
De ce ballet grotesque auquel je n'appartiens pas
N'appartiendrai jamais, dussé-je crever d'incohérence
Solitude des besognes serviles, dénuées de toute gloire
Collègues rampant, œillères aux tempes, sous le joug omnivore
Du dieu Rendement, ce Moloch obèse et cirrhosé
Moi le paria, le pestiféré, le désaxé, inapte à communier à leur mystique du faire
Pur esprit dyslexique en ce royaume de la matière
Solitude des grandes tablées parentales, mélodrame récurrent
Sous les fards de la convivialité, le fossé s'élargit, abrupt et lézardé
Mon inadaptation foncière, mon autisme social en étendard
Pièce rapportée à jamais dans le puzzle trop net des liens du sang
Vilain petit canard chuintant, brebis noire bêlant son désarroi
Solitude...
Tunique de Nessus, linceul intime que je traîne en tous lieux
Muraille de vide, bang glacé qui m'emmure vivant
Me soustrait au commerce charnel et tiède des humains
Spectre translucide hanté d'hyper-lucidité
Momifié dans le sarcophage de ses névroses
Soubresauts convulsifs parfois, hoquets d'humanité
Quand je me rue sur les feux follets de l'amour
Ma femme, mes enfants, ultimes oasis, lignes de vie
Îlot fugace de réconfort au cœur de mon désert existentiel
J'y lape, goulûment, la rosée de quelque douceur
Le temps d'une trêve, le temps d'un mirage
Avant de replonger dans le grand tout du Vide
Cloaque fécond et matrice de mes affres
Car toujours la solitude revient me cueillir
Comme une Faucheuse jalouse et despotique
Me rappelant à son étreinte de plomb, à ses épousailles funèbres
Face-à-face impitoyable dans l'arène de l'Absolu
Où seule ma vacuité béante me contemple en ricanant
Tournoi sans merci, combat perdu d'avance
Entre le Néant et moi, infinitésimal pantin d'angoisse
Ainsi soit-il ! À chacun son chemin de croix, son Golgotha!
Moi, l'orphelin irrémédiable, le condamné à perpétuité
Je ne déserterai pas la vigie où le sort m'a commis
Veilleur éperdu, à jamais debout au bord du gouffre
Crucifié entre deux infinis, celui du Dedans et du Dehors
Ô Poésie, ultime Amante, sempiternelle Consolatrice!
Celle qui jamais ne trahit, jamais ne faillit
Puisses-tu me posséder en plein cœur de mes Limbes!
Fais de moi ta Pythie, ton œuvre, ton champ de bataille
Quand Solitude viendra pour l'assaut final!
Que tes mots-sorciers, tes formules d'alchimiste
Se muent en lichen, en mousse sur mes ruines calcinées!
Qu'ils soient l'Ellébore fleurissant sur mon ossuaire
La source vive jaillissant de mon aridité abyssale
Pour illuminer la cécité du monde, fût-ce un instant de grâce!
Solitude, Solitude mon Enfer et Paradis !
Pour toi j'ai chanté, blasphémé, déliré
Tu as fait de moi ton égérie, ton esclave halluciné
M'as amputé de toute illusion de plénitude
Mais de ce terreau d'humus putrescent et fertile
Contre vents et marées, j'émerge
Phénix des mots, Lazare frémissant de sève
Plus vivant que les vivants, plus ivre qu'un dieu
Car du chaos de mes gouffres, j'engendre des galaxies
Et de mon bagne intime, je tire ma liberté royale!
Je te brave, je t'embrasse, je m'abandonne!
Fais de moi ce que tu voudras : ton damné, ton élu
Au firmament noir de ta Nuit, je serai l'étoile scintillante
Qui polarise les âmes veuves et les cœurs transis
Attirant à moi les cohortes d'éclopés du sublime
Pour la Grande Croisade de l'Indicible
Dont je serai le Général, le Héraut, le Porte-étendard!
Solitude ma Muse obscure, ma Sainte délétère
Ensemble, bravons l'opprobre et les bûchers!
Que nos noces chimiques enfantent l'Opus des Éternités!
Annotations
Versions